La véritable révolution économique est à venir
A moins de trois mois du premier tour de la présidentielle, les candidats s’activent. Le temps pour Bayrou de poursuivre son tour de France, pour Ségolène celui du monde. Sarkozy, lui, estime qu’il est l’heure. L’heure de dévoiler ce qui se cache derrière ses formules politico-médiatiques.
De la rupture en passant par la France qui gagne opposée à celle qui souffre qui réhabilita la rupture devenue entre temps tranquille pour finalement s’achever sur une note sans nul doute positive puisque tout devient possible, les conseillers en communication de Sarkozy (si ce n’est lui-même) nous en auront fait voir de toutes les couleurs.
Qu’importe, puisqu’est venu le temps du concret ! Du moins dans les propositions. Ce qui, pour un homme qui se revendique d’action, n’est qu’une simple formalité ; on ne peut en mettre en cause la sincérité car Sarkozy l’affirme : « Je dis ce que je pense et je pense ce que je dis. »
Ses premières propositions en tant que candidat officiel seront d’ordre économique. Passant en revue la fiscalité, l’entreprise et la dette, Sarkozy nous livre, là, le socle de son programme économique. Un programme qu’il qualifie (on ne rompt pas si vite avec ses habitudes) de véritable révolution économique. Voyons ce qui se cache derrière cette alléchante formule et comparons les solutions apportées avec celles de ses concurrents directs. Etant donné qu’à l’heure où j’écris cet article, Ségolène et le PS n’ont pas clarifié leur position sur la question, et que le programme de Le Pen ne peut être considéré comme économiquement sérieux, je prendrai comme seuls points de comparaison les propositions formulées par Bayrou. C’est peu, mais ce n’est déjà pas mal. Sachons que toutes les propositions de candidats énoncées ci-dessous sont valables pour l’instant présent, mais leur maintien tel quel au cours du temps n’est pas certifié. Cela dépendra de l’évolution des propositions des candidats.
Ayant déjà trop traîné dans mon introduction, je n’irai plus par quatre chemins.
Pour moi, la véritable révolution économique souhaitée par Sarkozy annonce avant tout un inévitable naufrage social. Explications !
Quelle valeur donner au travail ?
La proposition de Sarkozy qui me choque le plus porte sur la manière dont il veut assouplir les 35 heures, je le cite : « J’estime qu’on a payé son dû à la Sécurité sociale quand on a payé les cotisations pour la durée moyenne de travail. Je propose donc que les entreprises ne payent pas de cotisations sur les heures supplémentaires - ce sera une incitation à l’entreprise à en donner - et que le salarié ne paie pas d’impôt sur le revenu supplémentaire qu’il perçoit. » [1]
Alors au début, je me suis dis naïvement : C’est vrai que les charges sociales sont trop lourdes pour les entreprises, sa solution est peut-être la bonne. Puis après un temps de réflexion, le constat m’est apparu sans appel.
Comment peut-on accepter l’idée que les employeurs ne payent plus de cotisations au-delà des 35 heures et que le salarié ne soit pas imposé sur ses heures supplémentaires ? En effet, par une telle mesure, les retombées du capital travail s’en retrouveront amoindries pour l’Etat. Alors Sarkozy se justifie : « [...] l’Etat y trouvera son compte car lorsque les salariés ont plus de pouvoir d’achat, ils consomment davantage et les recettes de TVA augmentent. » Je doute que les recettes perdues d’un côté se compensent de l’autre, mais n’étant pas un économiste chevronné, je laisse à Sarkozy le bénéfice d’un raisonnement qui dans la forme se tient. Sarkozy démontre alors par un exemple concret le bien-fondé de sa proposition : « Songez qu’un salarié rémunéré au Smic qui fera quatre heures supplémentaires par semaine augmentera son revenu de près de deu mille euros par an. C’est un double bonus. » Soit. Seulement, après une deuxième vague de réflexion, je conclus que Sarkozy a tout faux...
Double bonus, dit-il ? Moi, j’y vois davantage un double effet pervers contre la société. En effet, hormis le fait que l’Etat se verra amputé d’une partie de ses recettes fiscales (alors qu’il en a cruellement besoin), l’application de cette proposition freinera inévitablement l’embauche. Admettre cela, ce n’est que preuve de bon sens. Démonstration !
Sachant que Sarkozy propose de majorer de 25% le revenu salarié dans la tranche des heures supplémentaires pour toutes les entreprises :
Une heure réglementaire sur une base de 100 :
Rapporterait 100 au salarié, rapporterait 100 à l’Etat, coûterait 200 à l’entreprise
Une heure supplémentaire avec la proposition de Sarkozy sur une base de 100 :
Rapporterait 125 au salarié, rapporterait 0 à l’Etat, coûterait 125 à l’entreprise
Il apparaît alors que le coût du travail est séparé en deux tranches très distinctes, ce qui a pour conséquence de déréguler le marché du travail car l’une des variables changeantes concerne directement l’employeur. Il est évident qu’une entreprise aura tout intérêt à privilégier une politique qui poussera ses employés à effectuer des heures supplémentaires plutôt qu’une politique d’embauche, puisque le taux horaire de ces dernières est moindre que celui des heures réglementaires. En revanche, l’Etat sera perdant alors que le salarié qui souhaitera arrondir ses fins de mois sera gagnant et n’aura donc aucune raison de broncher.
En bref, c’est tout bénéf. pour l’entreprise et le salarié, mais cet arrangement employeur/employé se fait contre la société, et plus particulièrement contre l’Etat et les personnes à la recherche d’un emploi. Voilà le double effet pervers de cette proposition. A partir d’une certaine zone, l’Etat n’a plus pied tandis que les chômeurs sont asphyxiés sous l’œil complice du tandem employeur/employé.
Mais que faire, alors ? Le problème des 35 heures est-il insoluble ?
Bayrou semble démontrer le contraire.
Lui aussi veut assouplir les 35 heures, mais différemment. Il propose que les heures supplémentaires soient majorées de 35% [2] (plus que ce que propose Sarkozy !). La véritable différence avec la proposition de Sarkozy est que l’exonération des charges portera seulement sur la différence du coût horaire supplémentaire par rapport au coût horaire normal. Comparaison !
Une heure supplémentaire avec la proposition de Sarkozy sur une base de 100 :
Rapporterait 125 au salarié, rapporterait 0 à l’Etat, coûterait 125 à l’entreprise
Une heure supplémentaire avec la proposition de Bayrou sur une base de 100 :
Rapporterait 135 au salarié, rapporterait 65 à l’Etat, coûterait 200 à l’entreprise
Ainsi, le marché du travail n’est absolument pas dérégulé car l’entreprise paie la même chose. Le salarié qui voudra travailler plus pour gagner plus le pourra. Quant à l’Etat, il y perdra un peu par rapport à la législation actuelle mais s’en sortira convenablement puisque Bayrou ne propose pas que le revenu supplémentaire du salarié soit exonéré.
Comment donc dynamiser le marché du travail ?
La principale mesure contestable dans la révolution made in Sarkozy est donc le statut qu’il accorde aux heures supplémentaires. Un statut qui freine l’embauche. Quelles sont alors en contrepartie ses mesures pour favoriser l’embauche ? Le taux de chômage est déjà suffisamment élevé pour qu’il soit urgent de s’en préoccuper.
La seule mesure allant dans ce sens est la réforme de l’ISF. Voilà ce qu’il propose : « J’entends donc donner à ceux qui paient l’ISF la possibilité de déduire de cet impôt, par exemple jusqu’à 50 000 euros, à condition de l’investir dans les PME. Je veux que tous ceux qui ont des projets puissent les financer et pas seulement dans la high tech ou dans Internet. ».
Je qualifierais cette proposition de bonne intention, mais elle ne sera pas suivie de l’effet souhaité. Déjà, il faut savoir que l’ISF touche seulement 300 000 citoyens pour un montant des recettes totales s’élevant à un peu plus de trois milliards d’euros (même pas 1% des recettes totales).
Très franchement, je ne sais pas exactement quelles sont proportionnellement les situations de ceux qui y sont assujettis, mais j’imagine que parmi eux, il y a des entrepreneurs qui ont déjà réussi, de modestes propriétaires ayant hérité d’un patrimoine immobilier de grande valeur, des fortunes familiales, etc. Bref, pas forcément des gens qui ont le temps, l’envie ou la nécessité d’investir dans une PME, et certainement très peu qui ont une réelle idée de projet. De plus, les transferts de fonds publics en fonds privés ne sont possibles que par une certaine synergie, absente dans le cas présent.
De son côté, Bayrou propose une réelle politique de fond pour redynamiser l’embauche. Une politique pro-entreprise avec un fort soutien aux PME qui représentent 90% de l’emploi en France et ça ne passera par l’ISF puisque lui propose d’en faire un impôt à base élargie (par exemple, en incluant les œuvres d’art, qui actuellement ne sont même pas comptabilisées dans l’ISF !!!) mais à taux léger (de l’ordre de 1 pour 1000 !). Ajoutez à cela la suppression de toutes les niches fiscales (ce que ne propose pas Sarkozy alors que beaucoup s’en servent pour passer au travers de cet impôt). D’après les calculs de l’UDF, le montant imposable serait de 3 000 milliards et rapporterait donc 3 milliards [3] soit la même somme qu’actuellement.
Alors comment Bayrou compte-t-il booster l’emploi ? [4]
-Par simplification pour les PME des tâches administratives qui occasionnent une perte de temps considérable.
-Par la possibilité pour toutes les entreprises de créer deux nouveaux emplois sans charges pour une période de trois ans quel que soit le poste pourvu. C’est donc davantage une mesure pour relancer rapidement le marché de l’emploi.
-En réservant à ces PME des parts dans les marchés publics (de l’ordre de 20%) qui, en France, sont monopolisés par les grandes entreprises.
Voici des réformes tantôt de fond, tantôt immédiates, dont la pertinence semble réelle. Mais ce n’est pas tout, l’autre thème d’importance pour nos entreprises reste la question du prélèvement des charges. Pourquoi ? Parce que les produits importés en France depuis l’Asie (par exemple) ne sont pas soumis aux mêmes contraintes financières. C’est pourquoi Bayrou propose de mener une réflexion sur la possibilité de déplacer ces charges sur d’autres sources de revenus.
Quatre pistes sont à l’étude :
-Mise en place d’une taxe sociale (comme va le faire l’Allemagne)
-Augmentation de la CSG
-Pratique d’un très faible prélèvement sur les flux de capitaux
-Mise en place d’une TVA qui vaudrait aussi pour les produits importés (comme au Danemark et prochainement en Allemagne)
On peut évidemment imaginer une combinaison pondérée de plusieurs de ces pistes.
Il apparaît alors que le programme de Sarkozy serait dans l’incapacité de compenser la carence que générerait son assouplissement des 35 heures, alors que Bayrou, non content de ne pas déréguler le travail, mettrait en place une sorte de "Small Business Act" à la française pour relancer l’activité.
Et la dette de l’Etat, dans tout ça ?
Le plan Sarkozy semble donc bien maigre. Seulement, la pilule serait plus facile à avaler si le sujet de la dette était mieux traité ; mais ce n’est pas le cas. Que propose-t-il pour réduire le déficit ? Rien, si ce n’est supprimer certains dispositifs. Tailler dans la formation professionnelle rapporterait 23 milliards d’euros. Pourquoi pas ? Il est vrai, l’inefficacité de cette mesure est avérée. Cependant, il sera nécessaire de continuer à porter des efforts sur la valorisation des compétences pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises. Il ne s’agit donc pas de supprimer mais de réorienter une partie de ces ressources. Combien cela coûtera-t-il ? Plus ou moins que l’actuel dispositif ? Je n’en sais rien mais une chose est sûre, il n’y aura pas de possibilité de faire de grosses économies en procédant de la sorte.
Avant d’ajuster tel ou tel paramètre, il s’avère nécessaire de refonder la structure par laquelle ces paramètres agissent. Sarkozy semble l’ignorer, Bayrou l’a bien compris. Voici les propositions [5] [6] formulées par ce dernier pour y remédier :
-Un Etat exemplaire avec la réduction de 20% du budget de l’Elysée et la réduction du nombre ministères (quinze ministères au maximum)
-Une meilleure gestion des ressources, notamment par la réorganisation complète de la hiérarchie administrative territoriale, qui n’a cessé de se complexifier au fil du temps. La principale réforme sera la fusion des administrations départementales et régionales (ce qui ne plaira pas à tous les élus) pour qu’il n’y ait pas plusieurs donneurs d’ordre sur un même territoire.
-Un parlement vraiment indépendant qui aura le pouvoir de demander des comptes à l’exécutif sur la bonne utilisation des ressources allouées.
-L’inscription dans la constitution de l’interdiction pour le gouvernement de proposer un budget en déficit de fonctionnement.
-De plus, Bayrou veut limiter le cercle d’action de l’Etat aux tâches essentielles. Ainsi pour pallier ce qui pourrait manquer, il donnera plus de pouvoir aux associations, avec le souci d’un apport qualitatif.
Une révolution fait toujours des dégâts
Dynamique d’embauche et restructuration du fonctionnement de l’Etat, voilà deux critères non ou mal traités par Sarkozy, ce qui me pousse à dire que sa révolution sera avant tout un naufrage. Je laisserai toutefois à Sarkozy le bénéfice de formuler d’autres propositions au cours de la campagne, mais à l’heure actuelle, ses propositions ne me semblent pas pertinentes, et pis, elles apparaissent comme dangereuses pour la cohésion de la société.
De plus, je ferai remarquer que la formule qui sert de base à l’argumentaire de Sarkozy est fausse. Ce que veulent réellement les Français n’est pas de travailler plus pour gagner plus. En réalité, certains veulent juste gagner plus et d’autres juste travailler.
Comme quoi, il y a plus d’une formule choc à mesurer, et des révolutions douces desquelles il faut se méfier...
[1] [http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/interviews/pour_une_veritable_revolution_economique ]
[2] [http://www.bayrou.fr/propositions/35-heures.html
]
[3] [http://www.bayrou.fr/propositions/isf.html]
[4] [http://www.bayrou.fr/propositions/entreprise.html
]
[5] [http://www.bayrou.fr/propositions/1minute/deficit-public-role-etat.html]
[6] [http://www.udf.org/participer/colloques/racines/actes_table1.pdf]
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