Laurence Danon, l’hirondelle...
Laurence Danon, présidente du Printemps, fait la une des journaux : l’hirondelle -qui a fait le nouveau Printemps- aurait bénéficié d’un parachute doré dont le montant cité par les différents médias oscille entre 2 et 6 millions d’euros. Scandale ? Business as usual ?
Si l’on croise les différentes informations publiées, on arrive assez logiquement à la conclusion que Madame Danon a probablement reçu environ 2 millions d’euros en tant qu’indemnités de départ et environ 4 millions d’euros en tant que prime de succès sur la cession du Printemps par PPR à Maurizio Borletti (soutenu par la Deutsche Bank) en 2006 pour 1,1 milliard d’euros.
On peut bien sûr immédiatement porter un jugement moral sur le caractère obscène des sommes citées : le total des sommes qui auraient été reçues correspond à 6 années de rémunération pour moins de 6 ans de présence à la tête de l’entreprise. Il correspond également à près de 500 fois le salaire moyen mensuel des employés du Printemps...
Personnellement, je ne pense pas qu’on puisse se contenter d’une réaction "morale" à l’énonciation de tels chiffres et je propose ici d’en faire, au contraire, une analyse froide, dépassionnée mais non complaisante.
Je m’étais déjà exprimé en juin 2006 suite à l’affaire Vinci/Zacharias (cf. Rémunérations des grands patrons...). Le cas de notre hirondelle peut se décrypter comme suit.
Indemnités de départ
Maurizio Borletti interrogé par la presse, parle, sans doute à tort, d’une "indemnité légale". Comme la plupart des PDG mandataires sociaux, Laurence Danon n’était vraisemblablement pas salariée du Printemps et, par conséquent, pouvait être révoquée "ad nutum" (sans préavis, sans motivation et sans indemnité) et n’a le droit à aucune indemnisation de "chômage". Ceci dit, il est fort probable que son contrat (ou un avenant à son contrat), a prévu une "indemnité de départ contractuelle" (ce que l’on appelle les "golden parachutes"). La question qui suit concerne la justification du déclenchement d’un tel mécanisme et du montant associé.
Que ce montant corresponde à 2 années de "salaire" (le mot salaire est ici utilisé de façon impropre, on devrait parler de rémunération ou de compensation) après 6 ans au poste de PDG et un bilan qui paraît positif économiquement, est dans la fourchette des pratiques courantes et, selon moi, acceptables mais le cas de séparation qui le déclenche paraît plus discutable.
S’il s’agit, comme officiellement annoncé, d’un départ volontaire, il paraît en effet contestable qu’un dirigeant puisse à loisir déclencher son parachute même si le montant associé est "raisonnable". Le parachute est censé couvrir le cas de la révocation (hors fautes graves ou lourdes) par le Conseil de surveillance qui décide de changer le président du directoire de la société.
La seule et plausible explication qui rend compréhensible le versement d’une telle indemnité de départ alors que c’est l’intéressée qui décide de démissionner est que cette indemnité contractuelle ait été négociée lors du rachat du Printemps par ses nouveaux actionnaires et que, devant l’incertitude créée par ce rachat, les deux parties (la société et madame Danon) aient décidé de se donner la liberté de continuer ensemble ou de mettre fin à leur coopération en fonction de l’évolution de la stratégie de la société et des relations entre le conseil et la Pprésidente du directoire. Si tel est le cas, notre hirondelle ne fait que recevoir une indemnité liée au changement d’actionnaires et, consécutivement, à un changement substantiel dans l’exécution de son mandat.
On est alors dans une situation que l’on peut qualifier de classique, qui montre, si besoin est, qu’un dirigeant d’entreprise n’est pas seul maître à bord et peut se retrouver "victime" de changements légitimant son départ. Bien que niant partiellement le principe qui m’est cher du "high risk, high reward", ce type d’indemnité de départ trouve, en outre, une justification complémentaire dans les clauses strictes de non-concurrence et de non-sollicitation que Laurence Danon a vraisemblablement acceptées de signer au moment de son départ.
La prime de succès perçue pour la conclusion positive du rachat du Printemps par ses nouveaux actionnaires pose quant à elle un certain nombre de questions.
La première et plus évidente est de savoir si le payeur de cette prime est la société ou l’ancien actionnaire unique PPR. Il semble que ce soit bien le second cas de figure, ce qui est conforme au fait que la cession d’une majorité du capital sur la base d’une valeur d’entreprise de plus d’1 milliard a exclusivement profité à l’actionnaire cédant. Si cette somme avait été à la charge du Printemps, nous aurions fait face à ce qu’on appelle un "abus de bien social" à savoir que l’on demande à la société de payer un service qui ne lui profite pas. Cela n’est visiblement pas le cas.
La seconde question que pose cette attribution d’une prime de succès concerne les éventuels conflits d’intérêt créés par la potentielle obtention d’un montant très significatif et l’exécution du mandat de présidente de la société. La présidente motivée par le gain aurait-elle pu perdre de vue l’intérêt social de la société qui doit seul conduire son comportement et ses décisions ? (NB : quand on parle ici d’intérêt "social", on parle de l’intérêt général commun des actionnaires, des employés, des créanciers... dans la recherche de prospérité et de continuité que la société, personne morale, doit poursuivre).
Le cas de monsieur Zacharias et de sa prime astronomique liée à l’acquisition d’une société d’autoroute par Vinci recélait potentiellement un tel conflit d’intérêts : aveuglé par la prime et mal encadré par un conseil d’administration "impuissant", le dirigeant aurait pu être tenté de procéder à cette acquisition à tout prix y compris dans des conditions mettant en péril l’intérêt social de Vinci.
Concernant le cas du Printemps, si le dirigeant d’une société est informé par son unique actionnaire que celui-ci souhaite vendre une majorité de ses actions et céder le contrôle de la société à un tiers, il me paraît être dans l’intérêt social de la société que le dirigeant participe à l’opération de cession, défende la valeur de ladite entreprise et établisse avec les repreneurs le "business plan" de la société adossée à un nouvel actionnaire industriel ou financier. Même en me grattant la tête, j’ai du mal à voir les cas où il serait "davantage dans l’intérêt social" de la société d’être cédée à un acquéreur souhaitant acquitter un prix plus faible pour en prendre le contrôle ; Si l’intérêt social de la société est la prospérité dans la continuité, il est plus que probable que le mieux disant soit aligné sur cet objectif. Il n’est donc pas choquant que notre hirondelle, qui a permis à PPR de réaliser une plus-value de plusieurs centaines de millions d’euros, se soit vu attribuée une prime vraisemblablement indexée sur la valeur de reprise de l’entreprise.
Si le "plan" du repreneur ne devait pas correspondre à l’intérêt social de la société et l’affaire de la Samaritaine peut faire penser à des scénarios tels que la transformation des magasins du Printemps en immeubles de bureaux ou en hôtels de luxe, le cas pourrait être débattu... En l’occurrence, le groupe Borletti, fondateur des grands magasins italiens Rinascente, a sans grand doute pris le contrôle du Printemps pour continuer et faire prospérer cette activité de distribution.
Enfin et quand bien même, les nouveaux actionnaires auraient eu un dessein caché ("hidden agenda") pour le Printemps, il aurait appartenu au successeur de madame Danon d’en vérifier l’adéquation avec l’intérêt social de la société. Ni l’actionnaire cédant, ni le dirigeant en place ne peuvent réellement préjuger d’une intention "douteuse" de la part de l’acheteur sauf à ce que l’objet social de celui-ci ou le plan proposé soit une déclaration explicite de déviance future.
En conclusion et sur la seule base des informations disponibles, il semble que le départ de notre hirondelle vers d’autres cieux se soit effectué dans des conditions juridiques et éthiques "propres". La question du niveau de rémunération des quelques centaines de dirigeants d’entreprises valant plus d’1 milliard d’euros en France reste bien évidemment ouverte comme celle du niveau de leur bénéfice financier issu de la création de valeurs qu’ils orchestrent : il est très difficile de fixer arithmétiquement ces équations.
Ma recommandation : "Point trop n’en faut" et/ou "pas de beurre et d’argent du beurre" et/ou "high risk, high reward" et/ou "pas de création de valeur, pas de prime" doivent être les règles suivies par les administrateurs de ces entreprises : c’est à eux de jouer, de contrôler et d’éviter que de vraies dérives décrédibilisent notre élite économique qui n’en a pas besoin...
Dernière remarque à ceux qui réclament plus de transparence : ce n’est pas en criant au scandale dès qu’un chiffre est cité que vous permettrez à cette transparence de se mettre en place sereinement, offrant une vraie possibilité pour l’observateur de faire le tri entre des pratiques correctes et d’éventuels abus.
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