Le bouc émissaire des pompiers pyromanes
Lutter contre les paradis fiscaux pour éviter les crises, d’accord mais... pourquoi, au fait ?
Le G20 se réunira à Londres le 2 avril sur fond de crise financière. Au menu cette année, la lutte contre les paradis fiscaux. C’est très important de lutter contre les paradis fiscaux, pour éviter que ne se reproduisent les errements du capitalisme qui ont conduit à la crise systémique que nous vivons. Vilains les Monégasques ! Caca les Suisses ! Pas beaux les Naurustanais ! Si on est dedans, c’est à cause d’eux.
Et là, je demande : pourquoi ?
En quoi l’existence des paradis fiscaux est-elle responsable de l’effondrement de la finance mondiale ? Apparemment, personne ne se pose la question, alors je le fais.
Parce que si vous vous souvenez bien, toute l’histoire est partie de la crise des subprimes. Il s’agissait de prêts à taux croissants octroyés à des indigents pour qu’ils accèdent à la propriété foncière. Lorsque les clients n’ont plus pu payer, les créanciers ont saisi les biens mais, contrairement à ce qu’ils avaient anticipé, l’immobilier s’est effondré, et ils ont subi de lourdes pertes. Comme durant les années 90-2000, on avait procédé massivement à la titrisation des créances (c’est à dire que les banques vendues comme des placements à leurs pigeons de clients et à d’autres banques), cette perte ne s’est pas soldée par la faillite des seuls établissements de crédit hypothécaire, mais s’est propagée à tout le système financier. Les pertes subies par les banques les ont conduites à raréfier le crédit (ce qu’on appelle la crise de liquidité). Ce qui a entraîné que les hedge funds ont eu beaucoup moins d’argent pour spéculer sur, par exemple, les actions et les matières premières, qui se sont effondrées à leur tour. Et puis après quelques mois, l’onde de ruine s’est propagée à l’économie réelle, d’où chômage, récession, baisse des investissements, etc...
Quel est le rapport avec les paradis fiscaux ?
Il est ténu. Car à la vérité, tout ça s’est préparé au grand jour. Ça ne s’est pas déroulé sur un quelconque îlot des Bahamas ou une dictature caoutchoutière d’Asie du Sud-Est. Tout ça s’est déroulé aux USA, en Europe, au Japon, bref, dans le "monde qui compte", dans des "vrais pays" avec des autorités de contrôle, des législations pointilleuses, des comités d’éthique et des formulaires à remplir en quatre exemplaires avec tampon de la Préfecture. Ça s’est déroulé malgré les ratios comptables "Bâle II" et les lois Sarbanes-Oxley nés de la crise de 2000 - vous savez, celle qui "nous a bien servi de leçon" et que "plus jamais ça". Ça s’est déroulé dans les plus prestigieux établissements financiers du monde, et pas dans les banques mafioso-privées de Zoug et Locarno.
Tiens, et puisqu’on y est, qu’est-ce qu’on leur reproche au juste, aux managers d’AIG ou de Citigroup ? Oh, les salauds de banquiers, ils ont essayé de gagner de l’argent en vendant des produits financiers ! Ben, oui, mais c’est quand même un peu leur boulot non ? Qui donc déplore qu’un paysan fasse des trous dans la terre pour y mettre des graines ? Est-ce que ce n’est pas un peu hypocrite de reprocher à un banquier de proposer des crédits à ses clients ? Est-ce que c’est pas un peu faux cul de lui reprocher de vendre des placements ? Est-ce que seulement ils ont fait quelque chose d’illégal, les vilains banquiers qui s’en mettent plein les poches avec leurs bonus ? Jusqu’ici, non. Ils ont respecté la loi, parce que de toute façon ils n’avaient pas le choix vu l’étroitesse avec laquelle les pouvoirs publics encadrent leur activité. Evidemment il y a le cas Madoff. Encore un qui, sans la crise, aurait pu continuer longtemps sa petite escroquerie. Encore un qui n’habitait pas au San Sombrero mais à New York, New York, USA, où ses comptes étaient certifiés chaque année et approuvés par les autorités dites compétentes.
Bref, on veut, comme à chaque fois, resserrer les contrôles comptables qui comme on l’a vu, ne servent à rien, mais il faut bien faire semblant de s’occuper du problème. La seule chose qu’on ne va pas faire, c’est s’attaquer aux vraies causes de la catastrophe. On ne va pas s’attaquer aux vrais responsables. On ne risque pas de poursuivre les gens qui, en 2001, ont décidé de sauver la croissance à tout prix, en "parachutant des liquidités" pour reprendre le mot de l’actuel président de la réserve fédérale Ben Bernanke. On ne va pas chagriner l’administration Bush qui a fait tourner la planche à billets pour se sauver d’un désastre électoral. On ne va pas demander des comptes à ceux qui, aux USA comme ailleurs, se sont faits les champions de l’accession à la propriété pour tous, y compris et surtout ceux qui n’en avaient pas les moyens. On ne risque pas non plus de chercher des poux dans la tête à ceux qui, à coup de matraquage publicitaire, ont fait rentrer dans la tête des ouvriers que si on n’est pas propriétaire à 30 ans, on a raté sa vie. Il y a peu de chances qu’on désigne à la vindicte populaire les politiciens opportunistes qui, il y a un an seulement, excitaient encore la foule contre la BCE qui ne baissait pas ses taux assez vite (vous vous souvenez, ils beuglaient "Trichet, des sous !" à chaque occasion). Et vous savez pourquoi le G20 ne va pas les inquiéter ces gens là ?
Parce que ces gens là, ils seront tous assis autour d’une table, à Londres, le 2 avril, à discuter entre gens du même monde des meilleurs moyens de juguler la crise.
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