Le choc des années 2010 : croissance démocratique ou chaos ?

Visiblement, un choc économique nous attend mais il ne sera pas comparable à celui de 1929, différant dans son ampleur et surtout sa nature. Dans tout processus historique, une situation se comprend à la fois par son passé, par les causes qui l’ont produite, mais aussi par son futur. Car l’évolution d’une situation repose sur des possibilités. Dans le feu de l’action, la plupart n’ont aucune idée de ce qui est possible mais certain trouvent des solutions. Par ailleurs, des innovations inattendues et des mouvements sociaux imprévisibles viennent se greffer à un processus historique. Si bien que rétroactivement, on comprend que ce qui a pu sortir les pays d’une crise ne tient pas au miracle mais à des possibilités qui ont réussi parce qu’elles ont été mises en œuvre. Ainsi, la crise de 1929 fut liée aux égarements de la finance, aux erreurs d’intervention, à un dispositif productif mal consolidés, à une absence de mécanismes compensateurs et régulateurs. La chute de la production a été impressionnante par son ampleur et surtout sa durée. 15 ans de labeur ont été nécessaire pour que les Etats-Unis en viennent à bout et partent sur des fondamentaux plus sûrs. Europe et Japon ont emboîté le pas.
En 2008, la situation est différente. L’économie est consolidée mais la crise se fait sentir au niveau des institutions financières qui ne peuvent plus trouver des dispositifs de rendement à court terme. On a dit que le dispositif des fonds à risque était capable de dynamiser l’économie. Cette époque semble achevée. La bourse, l’immobilier, l’art, tout a été essayé. Il ne reste plus que les matières premières. Et quand le round sera achevé, il n’y aura plus que la drogue et le trafic d’organes pour satisfaire l’appétit des financiers. Bon, il reste quand même les marchés asiatiques. Mais les bourses sont déjà secouées par les appétits locaux. Un Chinois ressemble à un Américain. S’il peut placer 10 sous pour en obtenir 12 l’année suivante, il le fera.
Mais le principe du profit c’est aussi de favoriser l’innovation et la productions de biens accessibles à tous, du moins ceux qui sont solvables. Or, l’économie donne des signes de faiblesse. Et le choc est à la fois psychologique, autant sinon plus qu’économique. Prenons les années 1960. La croissance était importante et partagée par presque tous. Les gens, à peine remis de la guerre, ont vu leur niveau de vie augmenter d’une manière plus importante qu’ils n’espéraient. D’où ce sentiment positif. Actuellement, le niveau de vie est trois fois plus élevé mais il stagne, alors que les « gens » exigent un progrès que ne peut plus fournir le système. Et les « gens » ont un sentiment négatif. En fait, il existe deux processus inverses sur le marché.
Premièrement, ce qu’on appelle démocratisation des biens de consommation. Un type de produit voit son prix baisser, alors que les revenus moyens augmentent. Au final, le nombre d’accédant à ce type de produit est en augmentation constante. Ce fut le cas de la plupart des biens produits pendant les Trente Glorieuses et même après. Machine à laver, télévision, transport aérien, ordinateur personnel, automobile, magnétophone, chaîne stéréo, tous ces biens se sont démocratisées depuis 1950.
Deuxièmement. Récemment, on a assisté à une tendance inverse. Prenons les automobiles. Entre la sophistication des modèles et le coût de l’entretien, l’accès à l’automobile n’a plus suivi le processus de démocratisation et ce n’est que grâce au marché de l’occasion et à la débrouille que les bas revenus peuvent avoir un véhicule personnel. Le prix de l’essence ne peut que renchérir le phénomène. Le marché de la télévision a subi aussi une tendance similaire. Mais c’est dû à un changement de technologie. Alors qu’un écran cathodique de 70 cm aurait pu se vendre pour 300 euros, il faut débourser plus du double pour disposer de l’équivalent en technologie LCD ou bien en plasma. La distribution ne commercialise plus que des écrans plats et on comprend pourquoi, puisque les marges sont largement supérieures. L’accès à la propriété a aussi subi cette tendance élitaire, tout comme par exemple la location des gîtes pour les vacances. Les prix ont explosé depuis une décennie A la « consommation démocratique », on doit opposer une tendance inverse, celle de la « consommation élitaire ». A noter l’effet de la mondialisation qui dans les pays avancés favorise la consommation démocratique grâce à l’importation de produits manufacturés à bas prix. C’est notamment le cas pour l’habillement. Mais l’inflation dans les pays émergents va infléchir ce processus.
Compte tenu de la conjoncture actuelle, il semblerait que les sociétés en pointe ne puissent plus progresser, sauf élitairement. La marge de manœuvre se rétrécit d’année en année. Il faut être naïf pour croire qu’on peut aller chercher la croissance en faisant des réformes. Je parle évidemment d’une croissance au service d’une « consommation démocratique ». Le mur du progrès se dresse. Vivre mieux avec plus de moyens est devenu un luxe accessible à une minorité. Vivre mieux ensemble en gérant les moyens est devenu une évidence accessible à une majorité. Le but de la minorité étant de faire croire à la majorité qu’elle peut s’en sortir. La faiblesse de la majorité étant de tout miser sur le matériel et l’arrangement dans un système qui lui est défavorable dans la moyenne mais laisse gagner quelques-uns. Bref, de vouloir faire comme la classe minoritaire en épousant ses codes, un classique de la sociologie ! Le prototype du système actuel c’est la Française des jeux. Beaucoup de petits gagnants, autant de petits perdants, de rares gagnants et une structure qui vit du système avec quelques cadres bien payés mais moins que les supers gagnants. Le système, plein de travailleurs, les uns s’en tirent, les autres sont à la peine. Un Etat et une Finance gèrent l’ensemble. Les hauts fonctionnaires, administrateurs, investisseurs, professions faussement libérales et cadres sup en vivent très bien et quelques stars empochent de gros gains, Boon, Clooney, Carey, Zidane, Madonna, Clinton...
Le choc qui arrive, c’est celui d’une « croissance qui n’est pas démocratique ». Le concept est parfaitement ficelé. Démos, le peuple, kratos le pouvoir. Croissance démocratique, pouvoir d’achat qui augmente pour tous, qui se répartit équitablement. Or, ce n’est plus le cas depuis une bonne décennie sinon plus. Diverses raisons, mais essentiellement, la structure de répartition des revenus, de production des profit et d’autre part, la technologie galopante qui impose ses innovations et qui pour se vendre, nécessite une croissance non démocratique. A cela s’ajoute maintenant une tension sur les matières premières et agricoles. La rareté fait monter les enchères. Malheur à ceux qui ne sont pas solvables. Le choc sera terrible, pour les pauvres des pays pauvres. Le choc sera mal vécu, pour les pauvres des pays riches. Emeutes de la faim chez les uns et qui sait, insurrection du pouvoir d’achat chez les autres.
Trois évolutions sont envisageables chez nous. 1 Un long désenchantement, une résignation, un consensus de la population pour exister et survivre sans grand espoir avec les peines et les petits plaisirs accessibles, une morosité, un lent déclin, comme l’Empire romain, peu d’enthousiasme sauf pour ceux qui ont les moyens. Peu d’innovation, moins de solidarité, société aride, sèche, sans esprit et sans âme. 2 Les gens n’en pouvant plus, étranglés par le pouvoir d’achat en berne, on assiste à des insurrections, des résistances, des incivilités contre une hiérarchie et des classes supérieures jugées à la fois responsables de la situation et incompétentes. Un chaos social qui ne peut qu’amener un régime autoritaire et policier, une surveillance accrue pour protéger les points sensibles et faire fonctionner toute cette machine sans laquelle les élites minoritaires ne peuvent prospérer. 3 Une transformation du système avec quelques mesures fortes qui vont permettre à la croissance de s’infléchir dans un sens démocratique et une nouvelle société où la vie politique, intellectuelle, culturelle, sociale, sera florissante, du moins on devrait l’espérer.
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