Le chômage : contrôle des masses ?
Il existe plusieurs formes de contrôle des masses, en passant par les idéologies ou les religions, mais la plus efficace s’avère la peur. Les sentiments négatifs ont ceci de particulièrement exploitables qu’ils sont particulièrement prégnants à court terme. L’exploitation des peurs est devenu l’inspiration principale des partis politiques. De la peur de l’étranger à celle de l’insécurité, en passant par celle du terrorisme jusqu’à celle du chômage, toutes les peurs sont exploitées. Lorsque je dis que ce sont les peurs qui sont exploitées, je le dis en réaction au langage employé en politique : lutte contre le terrorisme, bataille contre l’insécurité, guerre contre le chômage, etc. Les termes employés sont tous forts, particulièrement belliqueux, et tout le monde sait qu’en langage politique, tous les termes sont soigneusement choisis.
Contre l’insécurité ou le terrorisme, la lutte, c’est le renforcement des contrôles, que ce soit celui des déplacements ou celui des communications. Contre le chômage, c’est la manipulation des chiffres, des statistiques qui est employé, puisque la réalité est beaucoup moins facilement influençable, parce qu’elle ne dépendrait pas seulement du bon vouloir des autorités politiques.
Il semblerait toutefois que ce ne soit pas tout à fait exactement le cas, mais que certaines décisions puissent influencer très sensiblement les taux de chômage. Le professeur Modigliani, éminent économiste, s’exprimait ainsi déjà en 2000 :
"POUR LE PROFESSEUR MODIGLIANI, LA BCE EST RESPONSABLE DU CHÔMAGE ÉLEVÉ EN EUROPE.
M. Franco Modigliani, professeur au MIT et lauréat du prix Nobel d’économie en 1985, a accusé hier la Banque centrale européenne d’être responsable du taux de chômage élevé que connaît l’Europe.
Intervenant dans le cadre de l’audition publique organisée par la Commission économique et monétaire, présidée par Mme Christa Randzio-Plath (PSE, D), il a exprimé son affliction devant cet « affreux chômage massif », et a dénoncé le manque d’ambition de l’objectif de 10% de chômeurs. « Aussi longtemps que ce taux n’est pas descendu à 3%, les efforts ne peuvent être relâchés », a-t-il déclaré. A ses yeux, si ce taux est aussi élevé, « c’est que la BCE le veut ». La BCE « programme le chômage », a-t-il ajouté, avant de proposer que la commission invite la Banque centrale à exposer sa stratégie de l’emploi et à expliquer son attitude quand elle considère le chômage comme « quantité négligeable ». « Ils ne peuvent pas vous dire qu’ils ne maîtrisent pas la demande, parce que pour maîtriser l’inflation, vous devez maîtriser la demande ». Rapporteur du Parlement sur les grandes lignes directrices pour l’économie en 2000, M. Giorgos Katiforis (PSE, Gr) l’a approuvé et a appelé la commission à envoyer une lettre officielle en ce sens à la Banque centrale.
Le professeur Modigliani a rappelé aux députés que les salaires étaient extrêmement rigides en Europe. Dans ces conditions, il est nécessaire de s’inspirer de la pensée keynésienne et de l’idée de doper la demande réelle pour créer des emplois. « Le chômage existe en Europe parce qu’il n’y a pas d’emplois », devait-il souligner. Et de préciser encore que « l’emploi est déterminé par l’investissement », et que là, le rôle de la BCE est évident, puisqu’elle agit sur l’investissement au moyen des taux d’intérêts. « Peut-être la BCE ne le sait-elle pas, mais tous les autres le savent ».
Le professeur Modigliani a également constaté l’existence d’autres rigidités sur le marché européen du travail, et a évoqué la « surprotection » des travailleurs. Il a noté que des changements s’opéraient et, tout en reconnaissant l’importance de mesures favorisant l’offre, il a insisté sur la complémentarité entre les politiques favorisant l’offre, d’un côté, et celles axées sur la demande, de l’autre."
Source ici : Parlement européen
Il convient de s’interroger sur le bien-fondé de telles déclarations à caractère économique. En effet, il est légitime alors de se demander s’il y a d’autres raisons à un taux de chômage aussi élevé que des raisons économiques, ou plus précisément financières. Ceux qui seraient tentés de croire le contraire se trompent : des études très approfondies montrent que le taux de chômage diminue très fortement si l’offre de travail augmente. Logique, me direz-vous ? Pas pour tout le monde, puisque certains continuent d’affirmer que les chômeurs sont au chômage parce qu’ils ne veulent pas travailler...
Le chômage serait donc le résultat d’une politique financière ? Dans quelle mesure, puisqu’il semblerait paradoxal d’accepter de priver des millions de personnes du pouvoir de consommer afin de favoriser la finance ?
En Europe, la politique monétaire est déterminée par la Banque centrale européenne, indépendante de toute autorité politique, et ayant pour objectif principal de maintenir la stabilité des prix et par là-même de limiter l’inflation. Y aurait-il donc un lien entre inflation et chômage ?
Cela semblerait a priori logique, puisque si l’on augmentait les revenus de toute une population, on inciterait à la hausse des prix, mais ceci est-il prouvé par des statistiques ? Eh bien oui, les courbes juxtaposées du chômage et de l’inflation annuelle parlent d’elles-mêmes :
Source ici : Université d’Orléans
Il apparaît donc clairement que le taux d’inflation est inversement proportionnel au taux de chômage. Cependant, il est difficile d’analyser ces courbes en d’autres termes : lequel initie la tendance de l’autre ?
Par contre, il est indiscutable que ces deux courbes sont corrélées, et il est évident que les responsables financiers et économiques de nos institutions le savent.
Or, les statuts de la BCE sont très clairs là dessus : totalement indépendante, elle a pour mandat de maintenir la stabilité les prix, et donc de limiter l’inflation, en sachant pertinemment que le taux d’inflation est proportionnellement inverse au taux de chômage : cela suscite tout de même quelques interrogations...
Je n’irai pas jusqu’à affirmer que ce taux de chômage élevé est voulu et recherché, mais je constate que le critère humain passe bel et bien très loin après une politique économique pour nos institutions. C’est aussi ce qui avait été massivement exprimé lors du référendum sur le TCE : combien de pages, pour le Titre III, et combien mettant l’homme au centre ?
Maintenant, prenons en compte les conséquences humaines qu’entraîne une telle peur du chômage : il y a fort à parier que le taux de chômage ne subira pas de chute significative sans politique budgétaire appropriée, or celle-ci est impossible, tant les marges de manoeuvre sont faibles, et tant elles sont restreintes par les institutions européennes. Le taux de chômage réel atteint près de 20% en France (comme dans les pays développés de l’Union d’ailleurs) : outre la précarisation de ceux qui sont concernés, le plus intéressant est le formidable moyen de contrôle des velléités salariales de ceux qui ont la “chance” de travailler. En effet, la peur du chômage sape toute volonté de faire valoir une telle revendication tellement d’autres personnes sont dans des situations bien pires... Ajoutons à cela que la plupart des nouveaux contrats de travail se signent en CDD ou CNE, contrats précaires, comment manifester une telle volonté ou une quelconque revendication, lorsque la menace du retour à l’inactivité est patente, voire exprimée de vive voix ? Cela rejoint bien quelque part un contrôle indirect de l’inflation, non ? En outre, le fait de contenir les salaires, tout en renforçant la productivité sans embaucher, conduit à augmenter les marges, donc les bénéfices, et ainsi les valeurs des actions des sociétés cotées en bourse. N’est-ce pas ce qui se produit actuellement ? Il est à noter que tout ceci est enseigné dans le détail en sciences politiques.
Alors, même si l’on ne se range pas derrière un hypothétique complot capitaliste, il faudrait peut-être bien admettre que cette situation arrange bien du monde parmi ceux qui auraient le pouvoir de changer les choses. Bon, ce n’est peut-être qu’une façon personnelle de voir la situation, mais j’avoue que j’ai bien du mal à la voir par les yeux de ceux qui décident... De même qu’ils mettent bien de la mauvaise volonté à la voir par les miens, n’est-ce pas ? Je ne pense pas me situer bien loin de la réalité.
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