Le Danemark est-il un super modèle ?
Le Danemark apparaît depuis un moment déjà aux premières places d’une remarquable série de classements internationaux (Global Competitiveness Report, European Innovation Scoreboard, Doing Business…) et bénéficie aujourd’hui d’un intérêt accru de la part d’une série d’acteurs institutionnels (Deutsche Bank, les revues Forbes et The Economist, Economist Intelligence Unit, OCDE, FMI, European Economic Network for Economic Policy…) (1).
Un intérêt qui risque bien d’aller en s’accentuant dans le contexte actuel de crise, qui impose la recherche d’autres cadres de référence que ceux proposés par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. La question qui se pose est donc la suivante : le Danemark pourrait-il assurer la relève et tenir le rôle de super modèle ? Humbles, les Danois ne parviennent pas à y croire eux-mêmes. Quant à nous, comment le pourrions-nous sans aller au-delà des poncifs circulant sur le pays ?
La conférence organisée à Copenhague les 2 et 3 février derniers par le groupe VL 67, qui a réuni pas moins de 600 participants du monde de l’entreprise, du monde universitaire et des groupes de réflexion était donc intéressante à plus d’un titre : pour les Danois, il s’agissait de mieux cerner les véritables recettes à la base des succès du pays (afin de délimiter la voie à suivre à plus long terme), pour les étrangers présents, principalement des Etats-Unis et du Royaume-Uni, de saisir les apparentes contradictions du modèle (2).
Comment en effet expliquer l’avancement du Danemark lorsque tant d’indicateurs sont à première vue handicapants (niveau particulièrement élevé des salaires, fort niveau de prélèvements obligatoires, fort taux de syndicalisation (75%), importance du secteur public, 6 semaines de congés payés, opposition viscérale aux heures supplémentaires…) ?
La réponse est d’ordre institutionnel et culturel. Des champs d’étude étonnamment négligés en France dans des rapports dont on aurait pourtant pu attendre davantage, comme celui rendu l’année dernière par Jacques Attali (3). Une réponse qui va donc au-delà des points forts habituellement avancés lorsqu’il s’agit de faire l’éloge du Danemark (fonctionnement du marché de l’emploi, système de négociation collective, justice sociale, meilleur système de crédit foncier au monde, dixit Soros…).
Selon les résultats des travaux de recherche effectués par Laurence Harrison, Directeur de l’Institut du Changement Culturel au sein de l’Université américaine de Tufts, le succès du Danemark serait ainsi avant tout basé sur des facteurs culturels, à savoir l’ensemble des valeurs et des prises de position structurant la manière de penser et d’agir. Ces mêmes études mettent l’accent sur le concept de compétitivité institutionnelle. Des exemples ?
- La culture de travail. Les structures modernes, souples, c’est-à-dire sans hiérarchie pesante ou obsession du contrôle, donneraient largement plus de résultats que les structures organisées d’une manière plus traditionnelle. Dans le cadre d’un système de gestion des ressources humaines typiquement français, n’avez-vous jamais eu l’expérience d’être « ignoré » par votre grand patron, qui préfère systématiquement s’adresser à votre supérieur hiérarchique à propos de tâches que l’on vous a pourtant personnellement attribuées et sur lesquelles vous avez développé une certaine expertise ? De vous sentir obligé de travailler presque tous les soirs jusqu’à 19 heures (voire plus) par simple « pression » sociale ? De ne pas réellement vous sentir membre d’une équipe ? Avec comme résultat, une démotivation rimant souvent avec baisse de productivité et perte d’illusion totale sur le sentiment d’appartenir à une communauté tendant vers un objectif commun ? La gestion de la crise antillaise en offre encore un exemple flagrant : “Le principe de solidarité gouvernementale ne joue pas, révélant les effets pervers du mode de management Sarkozy : pas de jeu d’équipe, concurrence à tous les niveaux, valorisation des gagnants, humiliation des perdants” (4).
- La culture éducationnelle. Si l’on consulte les classements dits PISA, le Danemark dépasse à peine la moyenne européenne. Mais il ne s’agit pas d’appréhender tous les concepts du seul point de vue de l’efficacité brute. Le système éducatif danois met dès le plus jeune âge l’accent sur le collectif, développant ainsi les aptitudes de chacun à effectuer un travail d’équipe sans lequel rien n’est possible. Une vision qui tranche avec la nôtre, où à l’autre bout de la chaîne, la plupart de nos dirigeants sont souvent davantage des compétiteurs que des manageurs…Au bourrage de crâne s’oppose également au Danemark la promotion de l’esprit critique, véritable vecteur d’innovation.
La culture d’Etat-Providence, qui permet de mobiliser les compétences, les idées, les motivations d’une partie plus large de la population, notamment des femmes. Afin de décrédibiliser le modèle danois de flexicurité, on met souvent en avant le nombre de préretraités que compte le pays (145 000). Mais sans tenir compte ni de l’âge minimum pour en bénéficier, ni de l’âge légal (et effectif) de départ à la retraite, plus élevé que dans notre pays…Et surtout sans tenir compte d’un taux d’emploi de 78% (1ère place au sein de l’UE), contre seulement 65% en France (5). La « faute » aux femmes (taux d’emploi de 75%) qui sont aujourd’hui plus nombreuses que les hommes à suivre une formation supérieure…Sans oublier qu’au-delà de la gamme des dispositifs favorisant le travail des femmes, la culture d’Etat-Providence, en garantissant à chaque citoyen un matelas de sécurité confortable, libère l’énergie, la créativité et l’envie ? Les Danois ne sont pas les plus heureux du monde pour rien…
Les causes culturelles du retard français de croissance (mode de management, posture défensive vis-à-vis de la mondialisation, retard en termes de langues étrangères, qui résulte notamment de l’incompréhensible refus de supprimer les doublages de voix à la télévision et qui est à la base des problèmes rencontrés à l’export, inefficacité du dialogue social…) doivent donc être identifiées et traitées. Dans cette optique, le Danemark, loin de n’offrir que des bonnes pratiques à un niveau purement économique, est en mesure, dans ce domaine aussi, de montrer la voie.
On comprend ici l’ampleur de la tâche qui nous attend. Changer d’état d’esprit ou d’habitudes ne peut être accompli du jour au lendemain. Mais c’est par le dialogue, la connaissance de soi, la curiosité et l’audace qu’on y parviendra. Ce dont la France a plus que jamais besoin, c’est d’une révolution des mentalités. Le Mouvement Démocrate se tient prêt à la conduire. Et vous ?
(1) « Den danske supermodel » Berlingske Tidende, 2 février 2009, http://www.berlingske.dk/article/20090201/kronikker/702010075
(2) Davantage d’informations sur le programme de la conférence sur le lien suivant : http://www.vlgrupperne.dk/filer/program_vldoegn_2009_english.pdf
Concernant le groupe VL67 : www.vlgrupperne.dk
(3) Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, janvier 2008 www.liberationdelacroissance.fr/files/rapports/rapportCLCF.pdf
(4) Voir à ce sujet l’excellent article “Rupture, l’effet boomerang”, Le Monde, 20 février 2009 http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/02/20/rupture-l-effet-boomerang-par-francoise-fressoz_1158067_3232.html
(5) Données Danmarks Statistik http://www.dst.dk/pukora/epub/Nyt/2009/NR038.pdf et http://www.statistikbanken.dk/statbank5a/default.asp?w=1280
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