Le pouvoir d’acheter
L’emploi et le pouvoir d’achat sont depuis longtemps les premiers des soucis des Français. Leur nouveau président a été élu par une rare majorité d’entre eux pour leur avoir promis le plein emploi et un pouvoir d’achat amélioré. Pourtant, il ne leur a pas présenté durant sa campagne électorale les moyens concrets par lesquels il parviendrait à remplir ses promesses. Le « travailler plus pour gagner plus » est ambigu, et peu convainquant. Plus de six mois de présidence sont passés, et cela le reste. Nicolas Sarkozy s’agite comme un diable dans un bénitier, bataillant sur tous les fronts de la réforme du pays. Mais c’est sur le résultat obtenu en matière d’emploi et de pouvoir d’achat qu’il sera jugé, probablement d’ici à l’automne prochain. Quelle est sa probabilité de succès ? Répondre objectivement nécessite de lever quelques préalables, puis de considérer quelques données chiffrées, avant d’en venir aux actions engagées ou actuellement annoncées par Nicolas Sarkozy.
D’abord, qu’est-ce que le pouvoir d’achat ? Et du pouvoir de qui s’agit-il ?
Il y a là-dessus une première confusion généralisée, une première voie de désinformation des Français, de discordance entre leur ressenti et les informations délivrées, peut-être de dangereux quiproquos entre eux et leur président. Leur pouvoir d’achat n’est pas constitué par des chiffres sur des papiers. Il l’est par les euros entrés dans leur porte-monnaie, sans devoir obligatoirement les en ressortir pour acquérir autre chose que ce qu’ils ont eux-mêmes choisi (des cotisations et des impôts). Ainsi, ni les salaires bruts marqués sur les bulletins de paie, ni la rémunération des salariés et des travailleurs indépendants (brut plus charges patronales) présentée dans la comptabilité nationale d’où est extrait le fameux PIB, ni même les rémunérations nettes (brut moins retenues) ne mesurent le pouvoir d’achat. De ce net doivent encore être déduits : les impôts locaux (taxe d’habitation et impôt foncier, ce dernier payé par le propriétaire au percepteur ou par le locataire à celui qui encaisse les charges locatives), l’impôt sur le revenu, et si souvent passés à la trappe, les innombrables impôts payés par les entreprises qui doivent bien les répercuter dans les prix de leurs produits et services pour survivre (en moyenne en 2006, environ 18 % du prix). S’y ajoutent les innombrables taxes et impôts occasionnels.
Une deuxième confusion jette le trouble dans les esprits : du pouvoir d’achat de qui parle-t-on ? De celui de tous les Français mis dans le même sac, jeunes et moins jeunes, au travail ou non ? De celui de tous ceux qui fabriquent les euros en travaillant, les travailleurs du secteur marchand ? de celui de chacun d’eux, au travers de moyennes nationales ou au travers de moyennes propres à différentes catégories d’entre eux ?
Ce préalable relatif à la terminologie étant levé, il faut en lever un autre relatif aux chiffres jetés en pâture ici et là ; ceux tirés de la comptabilité nationale : PIB, valeur ajoutée, rémunération du travail, revenu disponible net des ménages. Le PIB est présenté comme étant le montant calculé par les statisticiens de l’Insee du produit de l’activité économique des résidents du pays (tous les biens et services produits). C’est aussi et en même temps le montant des revenus de ceux qui oeuvrent à la production de ces biens et services (rémunération des salariés, rémunération des entrepreneurs individuels et des sociétés appelées excédent brut d’exploitation). Au moins trois invraisemblables erreurs de calcul irréfutables rendent inutilisable le montant du PIB, et dans une moindre mesure celui de la valeur ajoutée. Erreurs irréfutables, car commise par double emploi de produits et services et en même temps de revenus : une partie des biens d’investissement produits faute de déduire ceux consommés en cours de production (amortissement), cette consommation étant répercutée dans les prix des produits ; tous les impôts et taxes travestis dans les prix des produits et services, qui de toute manière sont des prélèvements obligatoires et non des biens et services fournis par leurs producteurs ; enfin, les « services non marchands » élaborés par les services publics (ils sont payés au travers des prélèvements obligatoires opérés directement ou indirectement sur la rémunération du travail dans le secteur marchand, laquelle rémunération constitue les prix des biens et services marchands, et donc du produit intérieur.
Maintenant les chiffres. Quand ils ne sont pas truqués, ils parlent d’eux-mêmes. Explorons le porte-monnaie des Français, au moyen des chiffres tirés de la comptabilité nationale retraitée selon les principes expliqués plus haut ; tous convertis en euros au pouvoir d’achat de 2006.
D’abord, comment a évolué le pouvoir d’achat créé par le travail des Français, tous réunis :
Graph1 D’après Insee et calculs de l’auteur
Graph2 D’après Insee et calculs de l’auteur
Ensuite, à qui a été attribué ce pouvoir d’achat ? Les calculs nécessitent de connaître la répartition de l’impôt sur le revenu des ménages entre ceux qui frappent la rémunération du travail et ceux qui frappent les autres revenus : revenus de la propriété (intérêt, dividendes, etc.), revenus de transfert (prestations sociales, dont les allocations de retraite). L’Insee ne fournit pas cette statistique. Ici, on suppose que tous ces revenus subissent la même pression fiscale, les revenus de transfert y échappant à raison d’un tiers de leur montant. Faute de les connaître, les cotisations retenues sur les retraites sont laissées dans celles afférentes à la rémunération du travail. Le tout ne semble pas de nature à fausser les conclusions tirées de ces chiffres.
Graph3 D’après Insee et calculs de l’auteur
Graph4 D’après Insee et calculs de l’auteur
La part dans la masse de pouvoir d’achat des Français de la rémunération du travail en secteur marchand, nette d’impôts, a surtout baissé à partir de 1975, où elle était de 54 %, jusqu’en 1989 où elle n’était plus que de 40 % (43 % 2006). C’est principalement la conséquence de la redistribution des revenus, directe et indirecte, opérée au moyen des prélèvements obligatoires. C’est aussi à partir de 1975 (64 %) jusqu’en 1996 (86 %) que les prélèvements obligatoires sur l’économie se sont accrus.
Graph 5, d’après Insee et calculs de l’auteur
Graph6, d’après Insee et calculs de l’auteur
Les chiffres dénoncent notre machine infernale à détruire l’emploi et le pouvoir d’achat ainsi qu’à ruiner l’Etat construite au moyen de prélèvements obligatoires toujours croissants sur le pouvoir d’achat des travailleurs, pour le redistribuer à d’autres, directement au moyen de prestations sociales, ou indirectement par la voie des dépenses publiques. Celui qui travaille le fait un jour sur trois pour lui-même, et deux jours sur trois pour l’Etat qui décide de l’utilisation de ce pouvoir d’achat confisqué. C’est, avant tout autre chose, cela qui plombe la compétitivité des productions françaises devant bien incorporer un coût du travail pas loin de deux fois le pouvoir d’achat laissé au travailleur ; et qui exporte des emplois au lieu d’exporter le produit du travail des Français.
Dans pareille situation, les gouvernements sont le dos au mur des dépenses publiques devenues impossibles à encore accroître. Qu’a annoncé le président Sarkozy ayant promis une rupture avec ce passé, pour sortir le pays de l’ornière dans laquelle il s’est gravement embourbé ? « Travailler plus pour gagner plus », explique-t-il. Mais les Français, ni sots ni paresseux, disent depuis longtemps que travailler plus n’en vaut plus la peine. Ils sont civilisés, disposés à travailler raisonnablement pour les autres, pour ceux qui assument des fonctions publiques conditionnant le fonctionnement paisible de la société et qu’ils ne peuvent eux-mêmes prendre en charge ; et aussi pour ceux frappés par le malheur qui les met hors d’état de travailler. Mais sans le calculer, ils sentent que la limite du raisonnable est très largement dépassée. Et puis, pour travailler plus, encore faut-il qu’il y ait plus de travail à trouver. Mais tant ceux qui font eux-mêmes leur emploi (artisans, commerçants, petites entreprises, etc.) que ceux qui offrent du travail aux autres ressentent bien le discrédit qui les frappe, les réglementations qui les paralysent, la ruine qui les menace du fait de toutes ces contraintes comme aussi du fait de prélèvements obligatoires excessifs.
On ne voit pas pour l’instant que le président Sarkozy et son entourage aient compris tout cela. Il n’y a pas d’annonce de réduction sérieuse et substantielle des prélèvements obligatoires. Il n’y a pas en vue de démantèlement du carcan étatique paralysant le pays. Au total, et sauf prise de conscience par le pouvoir de l’inadéquation de son plan d’action, tout espoir de retour de la croissance de l’économie et du pouvoir d’achat semble devoir être exclu.
Roland Verhille, 2/12/207
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