Le scoring : pourquoi vous payez votre crédit immobilier plus cher que votre voisin
Dès notre enfance, nous sommes mesurés, analysés, passés au crible selon divers critères académiques qui visent à nous catégoriser, nous classer, à déterminer notre valeur intrinsèque en différentes matières : français, mathématiques, histoire… Ce dont on se rend moins compte, c’est que nous continuons à être notés et évalués tout au long de notre vie par divers organismes, publics ou non.
Mais, contrairement au cadre des études, nous ne sommes plus que rarement mis au fait des critères et des résultats. A l’école, c’était le simple bulletin de notes. A l’âge adulte, ça s’appelle du scoring – déplorable anglicisme visant à donner un lustre pseudo-modernisant à cette pratique.
Le système est-il discriminatoire ? Commençons par des exemples connus : si vous êtes un homme et que vous voulez faire un brushing, vous paierez votre coupe moins cher qu’une femme, même si votre coiffeur doit dégainer la débroussailleuse thermique. A l’inverse, si vous êtes une conductrice, votre prime d’assurance sera moins élevée que celle d’un homme, même si vous avez la contestable habitude de rouler à tombeau ouvert en plein centre ville.
La raison de ce déséquilibre est statistique. Les enseignes de coiffure savent qu’en général, les femmes ont plus de cheveux que les hommes, et donc que plus de temps sera nécessaire pour les couper. Les assurances, elles, savent que les accidents des femmes en voiture sont globalement moins nombreux et moins graves que ceux des hommes. Très basique, donc très injuste.
Ce sont les entreprises de services financiers qui poussent cette logique beaucoup plus loin. Lorsque vous êtes client qu’une banque, vous êtes notés sur à peu près tous les aspects de votre profil. Parmi ceux-ci, on compte notamment la situation familiale, immobilière, la catégorie socioprofessionnelle, le revenu, les charges, le taux d’endettement… Le consommateur est bien sûr au courant que son dossier peut être refusé. La plupart du temps, il ignore cependant deux choses : comment la décision est prise, et le fait qu’il peut payer – beaucoup – plus cher s’il est à la limite de l’éligibilité.
Les banques disposent d’algorithmes, qu’elles créent et gèrent elles-mêmes, pour déterminer si elles peuvent octroyer votre crédit ou non. Contrairement à une idée reçue, ces algorithmes n’ont rien de très complexe. Prenons un exemple simple, avec lequel ceux qui obtiennent les scores les plus faibles sont les clients les plus fiables :
- situation immobilière : * locataire : 3 * propriétaire : 0
- nombre d’enfants : * pas d’enfants : 3 * entre un et trois enfants : 1 * plus de trois enfants : 4
- taux d’endettement : * supérieur à 50% : 5 * entre 50 et 33% : 2 * inférieur à 33% : 0
Ainsi :
- un propriétaire père de 2 enfants et dont le taux d’endettement est de 40% aura un score de 0+1+2=3
- un locataire sans enfant avec un taux d’endettement de 25% aura un score de 3+3+0=6.
Rudimentaire, pensez-vous ? Les vraies notations utilisées par les banques ne sont pas plus compliquées et fonctionnent grosso modo de la même manière. Elles sont juste plus complètes, et évaluent chacune des données que vous leur avez fournies en renseignant vous-mêmes votre demande de crédit. La grande difficulté pour les organismes financiers consiste en fait à pondérer les différents éléments en fonction des statistiques dont elles disposent pour équilibrer, pour calibrer correctement les critères. Les primo-accédants à la propriété ont eu des difficultés de remboursement l’an dernier ? Ajoutons une mesure à notre questionnaire et pondérons-la fortement dans notre algorithme pour que moins d’entre eux voient leur dossier accepté. Souvent, un historique de plusieurs années, voire de plusieurs dizaines d’années, est nécessaire pour valider a posteriori la pertinence d’un système de notation sur un marché particulier.
C’est d’ailleurs ce pour quoi aucun algorithme n’est transposable d’un établissement à un autre : tous, ils évaluent leurs clients sur un marché qu’ils connaissent, et de ce fait n’accordent pas la même importance aux mêmes mesures. Pour une banque américaine par exemple, changer fréquemment de métier est signe de valeur sur le marché du travail, et donc révèle un amoindrissement du risque. Pour une banque française, c’est révélateur d’une instabilité qui peut se ressentir dans votre gestion financière.
Ainsi, peu importe finalement que vous soyez de bonne foi, que vous mettiez un point d’honneur à n’avoir que peu de dettes ou que vos parents vous aient appris qu’un retard de paiement était un déshonneur pire que la mort. Si vous vous situez dans une classe statistique considérée comme risquée, vous aurez moins de chances d’avoir votre prêt… ou vous le paierez plus cher. Car, comme nous l’avons vu précédemment, le score qui vous est attribué par l’ordinateur de votre banque n’a pas forcément pour effet de vous interdire l’accès au crédit : il peut, selon la politique de l’entreprise à qui vous avez affaire – et dans la majorité des cas – avoir comme effet de vous voir proposer un taux plus élevé. Appartenant à un groupe statistique particulier, vous serez considéré comme risqué, mais pas assez pour qu’on refuse votre dossier : la banque couvrira alors les impayés des autres membres de votre groupe en augmentant votre taux lors de l’octroi.
Cette pratique semble passablement immorale, déshumanisée et arbitraire. Néanmoins, en ces temps de gabegie économique où chacun dépense un argent qu’il n’a pas, personne ne peut plus faire l’économie d’un système d’évaluation des débiteurs.
Faut-il alors prendre davantage en compte l’historique financier de chaque client ? Cela paraît une piste raisonnable, néanmoins, il ne faut pas oublier l’existence chez nous du Fichier Banque de France, qui recense déjà tous ceux qui ont eu des problèmes de créances.
Faut-il aller plus loin et conférer aux organismes de prêt l’accès à l’historique de tous les paiements de tous les crédits de tout le monde ? L’investissement dans un fichier centralisé des paiements accessibles à tous les établissements est énorme, et qui plus est constitue un imbroglio juridique et éthique, qui prendrait à la CNIL des dizaines d’années à défricher. Par ailleurs, être noté sur son historique peut se révéler un cercle vicieux absurde : aux Etats-Unis, pays engagé sur cette voie depuis longtemps, un demandeur ne peut quasiment accéder à un prêt que… s’il a déjà remboursé un prêt auparavant sans incident de paiement. Moins arbitraire certes, mais un encouragement à demander du crédit tous azimuts dès qu’on atteint la majorité.
Faut-il donc remettre de l’humain dans la relation avec la banque ? Si les ordinateurs ne nous ont pas préservés des fraudes à l’échelle mondiale, on peut douter qu’au niveau de la banque de détail, le fait de redonner du pouvoir aux gestionnaires soit de nature aussi bien à fiabiliser qu’à égaliser l’accès à l’octroi sur des critères plus raisonnables.
Alors, que nous reste-t-il à faire ? A trouver un système qui nous permettra d’accéder au crédit et de la moduler selon notre mérite, notre honnêteté et notre capacité à le rembourser, et non selon le fait que les autres qui sont dans la même situation que nous sont de bons ou de mauvais payeurs. Mais cela se fera probablement par une modification de l’actuel, qui pour paraphraser Churchill, est certes le plus mauvais, mais à l’exception de tous les autres.
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