Les 3 étages du cerveau face à la croissance
Dans le langage bien souvent étriqué de nos dirigeants politiques, qui oublient de nous parler de l’environnement, de la protection de la nature et de la biodiversité, de la transition énergétique, de la folie financière, des fuites en avant budgétaires, du remboursement de la dette, de l’Europe, etc., je me demande si le mot « croissance » n’arrive pas dans le top 5 des mots les plus utilisés. Il y a évidemment le mot « chômage », le mot « inversion », le mot « courbe », ben oui « inversion de la courbe du chômage », et cela n’est pas sans m’inspirer quelques réflexions sur cette fameuse croissance qui « bon sang » s’en est allée et qui n’entend pas revenir aussi vite que souhaité, mais qui selon l’avis général des experts est une condition sine qua non pour résoudre tous nos maux (eh oui, il y a les maux de la société et les mots du petit langage politique !).
Ceux qui ont l’habitude de me lire, savent que j’émets très souvent des doutes sur la capacité de nos sociétés dites développées à soutenir pendant très longtemps des taux de croissance soutenus (2 à 3% et plus encore au niveau du monde), et je m’en suis déjà largement expliqué, notamment dans un article intitulé « La croissance et ses limites dimensionnelles » où je démontrais comment les limites physiques (surfaces, ressources, etc.) et les petits problèmes arithmétiques de rapport entre périmètre, surface et volume pouvaient (ou pourraient à terme) représenter quelques freins au développement.
Pour consolider mes petites explications sur les travers de la croissance sans limite, je donnerai quelques exemples sur ses effets irréversibles bien dommageables pour notre belle petite planète. Mais la vraie réflexion sera développée en fin d’article. Alors si la première partie vous semble ennuyeuse parce qu’il y a un air de déjà vu, de déjà lu, je vous convie directement à vous brancher sur la dernière partie « Une croissance exponentielle, élégance ou mépris ? »
La croissance démographique.
Autour de 5 000 ans avant J.-C., la population mondiale est estimée entre 5 et 20 millions d'humains (à l’époque, pas d’instruments statistiques et donc l’imprécision demeure). En l’an 1000, elle est estimée entre 250 et 350 millions ; en 1800, un peu plus d’un milliard ; 1,5 à 1,7 milliard en 1900 ; en 1960, nous atteignons les 3 milliards (ça va vite !) ; les 6 milliards sont atteints en l’an 2000 (ça va encore plus vite !), et désormais nous sommes un peu plus de 7 milliards d’humains. Et … 9 milliards pour 2050 !
L'accroissement démographique s’est vraiment accéléré au 20ème siècle grâce aux progrès économiques et sanitaires amenant à un doublement de la population tous les 40 ans à partir des années 50. Depuis le début des années 2000, le taux d’accroissement démographique de la population mondiale est quelque peu ralenti et serait légèrement supérieur à 1% annuellement, conduisant à un accueillir chaque année 75 millions de personnes supplémentaires, soit plus que la population française !
La croissance par décennie était autour de 20% entre les années 1950 en 2000, et n’est plus que de 12% environ actuellement. Ouf !
Le niveau actuel de la population mondiale couplé au rythme de croissance futur (économique et démographique) conditionneront notre capacité à nourrir tous les individus, à produire les quantités d’énergie requises, à gérer les déchets produits, à limiter le réchauffement climatique, limiter ou réduire les pollutions diverses, préserver les ressources naturelles et la biodiversité, etc… Les défis seront nombreux et gigantesques !
Vous aimez la croissance ? Alors, aimerez-vous un monde fort de 9 milliards d’habitants qui concentrés dans des villes toujours plus grandes auront quelques peines à se déplacer, à respirer, à gérer leurs déchets, à maintenir la paix ?
Croissance de l’empiétement sur les sols.
Le littoral français a enregistré ces dernières années une urbanisation croissante, impactant pratiquement toutes les côtes françaises. Tout le long de la Méditerranée, un cordon de béton s’élargit et s’épaissit, se densifie, gagnant sur l’arrière-pays et menaçant les milieux naturels déjà fragilisés, victimes bien souvent de leur attractivité. De Perpignan à Marseille, de Marseille à Toulon, de Toulon à Saint-Raphaël, de Saint-Raphaël à Menton, plus aucune partie sauvage n’existera dans quelques années. La beauté des espaces naturels laisse place à la laideur des constructions ; les espèces végétales ou animales sont souvent menacées, certaines disparaissant, victimes de la présence humaine et de la réduction des habitats.
Le littoral n’est pas seul victime de l’urbanisation et de la destruction des sols qui en découle. Toutes les villes subissent le développement urbain par la construction de nouveaux habitats et de zones d’activités très florissantes, détruisant les terres arables, réduisant ainsi notre capacité à produire les ressources renouvelables servant à nourrir les hommes. Rappelons qu’une terre cultivable équivaut à une source énergétique inépuisable qui à travers les processus de transformation propre au monde végétal (photosynthèse) fournit la matière organique nécessaire aux animaux et aux hommes.
Vous aimez la croissance ? Alors aimerez-vous une France et un littoral bétonnés, des espaces naturels saccagés, des beautés paysagères sacrifiées au nom d’un développement qui n’a que faire de ces richesses ? Aimerez-vous les villes ou tours fantômes qui aujourd’hui envahissent la chine ?
Ce que j’évoque pour la France est bien entendu transposable à tous les pays de la planète qui connaissent une forte croissance économique et démographique
Croissance des transports
Il n’y pas d’échanges sans réseaux de communications. La croissance économique avec comme corollaire l’augmentation des échanges de produits à tous les niveaux d’organisation (échelle locale, nationale, internationale) impose des infrastructures toujours plus nombreuses et plus performantes.
Les effets de la construction de ces infrastructures (routes, autoroutes, ponts, voies ferrées, ports, aéroports, etc.) perturbent l’environnement de proximité bien évidemment, et bien souvent au-delà dans un futur plus ou moins proche, puisqu‘une voie de communication en appellera une autre.
Passons sur les effets transitoires liés à la construction qui sont loin d’être négligeables pour ne citer que les effets permanents qui eux sont très nombreux : consommation d’espace, obstacles à l’écoulement des eaux, obstacle aux déplacements des animaux couplés à des impacts plus ou moins sévères sur la faune et la flore, atteintes définitives aux paysages. S’ajoute à cela les opérations d’entretien consommatrices d’énergie et produits divers, produisant de nombreux déchets liés aux cycles de vie de tous ces ouvrages (réfection des routes par exemple).
Les transports croissent évidemment à des rythmes proches de la croissance du PIB et en tant que gros consommateurs d’énergie accentuent les menaces habituelles : consommation exclusive d’énergies fossiles non renouvelables, pollutions atmosphérique, accroissement de l’effet de serre, pollution des eaux maritimes et des littoraux, favorisation de certaines maladies respiratoires, nuisances sonores (la liste est longue !). Notons que certains effets nocifs « servent » la machinerie économique, par exemple avec la création de murs antibruit, les systèmes d’assurance, l’augmentation des dépenses de santé. L’augmentation du PIB est ainsi auto-entretenue, auto-accélérée : plus de produits à acheminer entraîne plus d’infrastructures et de moyens de transports, ce qui entraîne plus de nuisances, ce qui entraîne plus de dispositifs correctifs. C’est super l’économie !
Vous aimez la croissance ? Aimerez-vous une planète mutilée par toutes ces voies de communications et offensée par tous ces transports qui acheminent une production marchande toujours plus importante ?
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Une croissance exponentielle … élégance ou mépris ?
Bon, vous pensez que mon petit article n’est pas très optimiste. Sûrement ! La croissance appelle toujours les mêmes questions. Peut-on concilier croissance et développement durable ? Peut-on accepter la croissance et en même temps se résigner sur la destruction de notre environnement ? Si on veut protéger l’environnement, on ne peut croître, ou du moins pas de la manière qui opère aujourd’hui. C’est un dilemme terrible pour une société qui à priori n’a pas trouvé d’autres solutions pour combattre le chômage et satisfaire les besoins d’une population mondiale toujours plus nombreuse. Et à la pression de nécessité (satisfaire les besoins fondamentaux des individus) s’ajoute le futile, le frivole, l’inutile, l’insignifiance.
Je rappelle qu’aucun système naturel ou construit de la main de l’homme ne peut supporter une croissance exponentielle très longtemps. Rappelons qu’une croissance exponentielle équivaut à produire sur une période donnée où la production est le double de la période précédente, l’équivalent de tout ce qui a été produit depuis le début. L’exponentielle appliquée à l’économie est une fonction que je n’hésite pas à qualifier de terrifiante !
Pas très clair ? Alors prenons un exemple où la production double tous les 20 ans :
Période 1 ( 1 – 20 ans) : 100 (Base 100 de la production)
Période 2 (21 à 40 ans) : 200
Période 3 (41 à 60 ans) : 400
Période 4 (61 à 80 ans) : 800
Période 5 (81 à 100 ans) : 1600
Période 6 (101 à 120 ans) : 3200
On a produit pendant cette dernière période de 20 ans la même quantité que le siècle qui a précédé. (La différence vient de la discontinuité).
Et même chose s’il s’était écoulé 1000 ans. Au bout de 100 ans, la durée d’une vie, la production a été multipliée par 32. Au bout de 400 ans, on produit, tenez-vous bien, 1048576 fois plus. Je dépasse largement les capacités de ma petite calculatrice pour vous communiquer la production au bout de 1000 ans. Mais qu’est-ce que mille ans sur l’échelle humaine ?
Le doublement de la production tous les 20 ans n’est que le résultat d’une croissante de 3,5% environ (niveau de la croissance mondiale et bien moins que pendant les 30 glorieuses !). El la chine qui galope à 7,5% ! (enfin pour les chiffres officiels), combien d’années devant elle pour se fracasser sur le mur des réalités d’un monde fini ? Je crois qu’aujourd’hui, ils ont juste quelques petits soucis pour respirer ! Effets secondaires d’une maladie endémique que les grands laboratoires pharmaceutiques s’empresseront de corriger. Les milliardaires jugeront l’exponentielle élégante, et les malades de la croissance, les amoureux de la nature la jugeront méprisable.
A un moment donné, le système économique soumis à un tel rythme d’évolution, subissant alors les pressions et les contraintes physiques d’un environnement fini, avec des ressources finies, et de surcroît confronté à un environnement dégradé et appauvri, n’a plus que trois possibilités. Ou bien il se stabilise et arrive à maintenir un équilibre (mais pas pour très longtemps), ou bien il explose, ou bien il implose. Les lois de la physique sont implacables.
La croissance exponentielle chère à nos dirigeants n’est qu’un fantasme, une illusion, un rêve en fête inachevé qui s’est arrêté lorsque tous les invités d’un monde productif prospère chantaient, dansaient, buvaient à la santé du business planétaire, de la générosité des banques centrales, des facilités financières, des bulles boursières, ce qui a fait croire à l’homme réveillé un peu trop tôt pour en comprendre l’issue, que tout était beau, élégant, dans cette atmosphère marchande, bercée par l’exponentielle, illuminée par une féérie sans cesse renouvelée, un peu comme une ville en fête qui ne s’éteint jamais.
Une fois admise la réalité mathématique évoquée plus haut, il faudra alors penser l’économie autrement. Ne plus penser « croissance matérielle », qui réduit automatiquement le champ des connaissances de chaque individu, car le temps libre pour s’instruire est rogné par tous les actes quotidiens dévoués à tous ces biens qu’on achète, qu’il faut s’approprier, entretenir, protéger, recharger, réparer, échanger, remplacer. La seule croissance illimitée est celle de la connaissance et de la créativité. Notre cerveau avec ses milliards de neurones nous offre des milliards de connexions possibles, une mémoire associative sans limite, ce qui fait d’ailleurs la différence avec les animaux qui n’ont au mieux que les étages dits ‘reptiliens et ‘limbiques’ c’est-à-dire les fonctions du présent (réponses innées) et du passé (mémorisation des actes d’apprentissage). Nous avons, nous êtres humains, un troisième étage, ‘le cortex’, c’est-à-dire cette faculté de construire des images, des modèles, des scénarios, de se projeter sur le futur. Trois étages anatomiques et donc fonctionnels, pour « passé, présent, futur ou imaginaire ».
Alors n’est-ce pas dans les domaines immatériels, en particulier ceux de la connaissance et de la créativité, qu’il faudrait introduire de nouveaux concepts de croissance ?
Alain Desert
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