Les blocages français
Tout le monde connaît l’inflation, cette hausse durable et autoentretenue des prix, des revenus et des coûts. Peu de gens connaissent la déflation, cette spirale inverse qui entretient la baisse des prix par la recherche d’ajustement des coûts, et engendre le chômage et la stagnation économique. Et encore moins sont capables de comprendre que, comme les affaires humaines sont toujours compliquées, nous puissions être en situation hybride, soit aujourd’hui en « croissance déflationniste ».
Depuis quelques années, l’inflation en Europe n’est plus le problème, c’est la croissance. Les causes communes en sont connues : les pays vieux ont moins de besoins de consommation que les pays jeunes ; les États-providence prélèvent beaucoup de taxes diverses qui baissent d’autant l’épargne (donc l’investissement) et la consommation courante, au profit de services différés et administrés (c’est-à-dire le plus souvent mal gérés, la Cour des comptes en France le pointe chaque année dans son rapport) ; la rigidité des structures fait que le marché du travail et la création d’entreprises sont atones, découragés ; que beaucoup préfèrent conserver leur épargne (qui perd peu de pouvoir d’achat en faible inflation) plutôt que de prendre des risques en l’investissant (en biens immobiliers, en parts d’entreprises ou en fonds de commerce).
Des causes plus immédiates viennent s’ajouter, variables selon les pays. En France, les « 35 heures », cette mesure sociale infernale bien que pavée de bonnes intentions, a créé peu d’emplois (autour de 150 000, disent les spécialistes) mais évidemment gelé les salaires pour des années, en attendant que les cinq ou six SMIC aient rattrapé leurs écarts. Les entreprises ont profité du moindre travail pour se restructurer, si bien que la France se trouve aujourd’hui en tête des pays industrialisés pour la productivité de ses salariés par heure travaillée, mais en queue pour le nombre d’actifs au travail ! Cela montre bien que les entreprises font autant avec moins de gens. Pas de hausse de salaires, un chômage persistant, ce n’est pas bon pour la consommation, ni pour la rentrée des impôts et taxes. La croissance globale s’en ressent, et la redistribution d’Etat ne peut se poursuivre que dans le déficit croissant. Le malaise social ne peut que croître, embarqué dans un bateau ivre. La France se trouve isolée en Europe sur le plan fiscal, comme sur l’interventionnisme d’Etat, et sur la manie des grèves du « service » public où des syndicats peu représentatifs « non-négocient » avec des énarques imbus d’eux-mêmes. Cette « exception » fait réfléchir les investisseurs étrangers qui, jusqu’ici, trouvaient en France quelques avantages en termes de transports, de main d’œuvre qualifiée, de goût du travail bien fait, et d’administration. Les grandes entreprises françaises, comme les ingénieurs, vont de plus en plus voir ailleurs. Même si elles ne délocalisent pas toujours (fermer une usine ici pour en créer une autre ailleurs), les entreprises ont tendance à créer des emplois à l’étranger, là où sont la jeunesse, la demande, et où les conditions sont favorables pour investir.
Ces conditions sont la simple comparaison du rendement du capital s’il est placé sans risques (en obligations d’un Etat solide, par exemple) et du rendement du même capital investi dans la production d’une usine ou le rachat d’une entreprise. Comptent alors le risque à horizon raisonnable (celui de l’amortissement des machines et des immeubles), le rendement annuel attendu, et l’ensemble des coûts, y compris ceux de tracasseries mesurés au temps passé à les résoudre. Comme pour le climat, il y a des « effets de seuil » : à avantages égaux, les administrations peuvent rajouter une dose de tracasseries sans que cela ne change trop. Puis vient un moment où « rien ne va plus », l’accumulation des exceptions s’ajoute à une dégradation des avantages initiaux - et la fuite est inexorable. La France n’en est sans doute pas loin. Les « 35 heures » font rire l’étranger de ces Français vaniteux qui font tout mieux que tout le monde, croyant vivre mieux en travaillant moins - au prix de déficits colossaux, que même la génération suivante aura du mal à rembourser. Et le blocage par des grèves à l’amorce de toute réforme, et l’absence (forcée par le déficit) d’investissement de l’Etat dans l’entretien de ses chemins de fer et de ses routes (d’où le processus de privatisation des autoroutes), devient un argument supplémentaire pour éviter la France.
L’essor des pays émergents aussi peuplés que l’Inde et la Chine (2.3 milliards d’habitants), par l’envol de leur main d’œuvre éduquée, mondialise le travail. Ce développement progressif (nous n’en sommes qu’au début) exerce une pression à la baisse sur les salaires, pression entretenue en France par un chômage massif « préféré », par laisser-faire politique, à la remise en cause des « Zacquis ». Les matières premières seront désormais chères (inflation par la demande des pays émergents) mais les prix industriels seront encore à la baisse (déflation par la concurrence des pays émergents à bas salaires). Pour contrer cette hausse des coûts de matières, en même temps que cette baisse forcée des prix des produits finis, les entreprises ont trois voies : 1/ encore moins de main d’œuvre de base, qui coûte cher ; 2/ encore plus d’innovations, pour avoir un temps d’avance sur l’Asie (embauche d’ingénieurs, de créatifs, de commerciaux) ; 3/ encore plus de productivité (réorganisation interne, concentration sur le cœur du savoir-faire, informatisation). On voit bien où la France pèche, dans ce mécanisme d’excellence : elle attire par ses prestations sociales non financées une immigration non qualifiée, elle conserve un système patronat-syndicats-Etat rigide, qui immobilise le marché du travail et inhibe l’investissement durable, et sa croissance trop faible lui ôte tous moyens de rénover l’enseignement supérieur et la recherche, qui sont pourtant la clé de la réussite dans ce nouveau monde.
Durant quelques années, nous allons vivre, peut-être, une période de meilleure croissance relative, avec des taux maintenus bas en raison de la pression sur les salaires, mais un investissement industriel en hausse (réveil en 2005) après des années de baisse ou de stagnation. Cela en raison des profits revenus après les restructurations et le désendettement des années 2001-2003. Le choc pétrolier, net en dollar, est très atténué une fois traduit en euro ; la force de la monnaie unique européenne contre le dollar a protégé les membres de l’Union - voici l’une des vertus de l’Europe ! La remontée actuelle du dollar, tirée par des taux d’intérêts en hausse aux Etats-Unis, mais stagnants en Europe, avantagera cette fois les exportateurs qui produisent en euros vers la zone dollar (Etats-Unis & Asie). L’Allemagne en profitera, avec un nouveau gouvernement, pour accélérer ses réformes - c’est toujours plus facile en période de croissance. Et la France ?
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