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Les dessous sociaux d’une crise a priori financière

La crise qui a éclaté d’abord aux Etats-Unis et s’est propagée comme une traînée de poudre en Europe est qualifiée par certains spécialistes de plus sévère depuis le krach boursier de 1987. Cela pourrait prendre jusqu’à deux années pour rétablir la confiance qui a été ébranlée.

Ces sombres perspectives peuvent étonner quand on sait qu’à leur origine se trouve le secteur des subprimes américains. Il s’agit d’un segment du marché hypothécaire très risqué par définition puisqu’il porte sur les crédits octroyés aux ménages dont on sait qu’ils auront des difficultés de remboursement. En soi, ce marché est de petite taille. Pourtant, cela n’a pas empêché la panique de se répandre jusque dans nos contrées.

Cette contagion s’explique par la titrisation : grâce à une mathématisation très poussée permise par les nouvelles technologies, le risque associé à tout actif peut désormais être lui-même converti en un actif qui fera l’objet d’une transaction. Ce faisant, le risque global est atténué parce que diffusé à un plus grand nombre d’acteurs. Le hic est (1) que cette technique a donné l’impression que le risque n’existait plus et (2) que la transaction se déroule généralement sur des marchés non réglementés.

Il est récemment apparu que les acheteurs finaux n’avaient pas les connaissances suffisantes pour évaluer de manière appropriée la qualité du risque qu’il avait acheté, d’autant que les agences de notation qui fournissent normalement cette information se sont empêtrées dans un conflit d’intérêts : elles aidaient les grandes banques d’investissement à saucissonner le risque et à le convertir en actif qu’elle se chargeaient ensuite de placer auprès d’investisseurs professionnels (d’autres banques, des fonds spéculatifs, des fonds de pensions...). Les managers de fonds, eux, n’avaient aucun intérêt à la prudence car ils se devaient d’enregistrer des performances au moins aussi bonnes que leurs concurrents ce qui les a amenés à adopter les mêmes stratégies d’investissement. De plus, dans l’hypothèse où leurs décisions de placement se seraient soldées par des pertes financières pour leur propre fonds et leurs actionnaires, ils n’auraient pas eu à assumer personnellement et financièrement les conséquences de leurs erreurs.

Conséquences en chaîne

Certaines banques ont dû mettre la clé sous le paillasson comme la banque Northern Star devant les portes de laquelle se pressaient des épargnants qui faisaient la file pour retirer leur argent. Du jamais vu en Europe depuis les années 30. Des fonds d’investissement ont dû être renfloués par les banques auxquelles ils étaient liés. De telles débâcles ont fait la une de la presse financière.

Cela dit, on a beaucoup moins parlé des 1,1 millions d’Américains dont le logement avait été saisi parce qu’ils n’arrivaient plus à honorer le remboursement de leurs crédits. 2 autres millions d’Américains courent le même risque de précarité.

Consécutivement aux turbulences sur les marchés financiers, les banques se sont montrées plus sélectives dans leurs prêts si bien que le coût de financement des entreprises a été relevé. Par ailleurs, la FED et la BCE, les deux grandes banques centrales, ont injecté des dizaines de milliards de dollars pour apaiser les marchés. La BCE a maintenu son taux d’intérêt à son niveau actuel alors qu’elle envisageait une hausse quelques semaines auparavant. La FED a été plus loin encore en abaissant son taux. Ces réactions asymétriques ont eu pour conséquence de rendre les placements en dollars moins attractifs par rapport aux placements en euros. Cela a entraîné une nouvelle dépréciation du dollar et corollairement, a poussé l’euro vers un nouveau record historique de 1 € pour 1,43 $ (18 octobre). Cette dynamique a exacerbé le problème de l’abyssal déficit commercial et, suite à l’appréciation de l’euro, a créé de nouvelles difficultés pour nos industries exportatrices dont les marchandises voient leur prix augmenter mécaniquement. (A contrario, cela neutralise le prix du pétrole reparti à la hausse). La situation a donc évolué de telle manière que les dirigeants européens se disent (enfin) préoccupés. De leur côté, les instances internationales ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2008.

Dans un tel contexte et alors que la Commission européenne reconnaissait récemment la maîtrise des coûts salariaux dans nos pays[1], les travailleurs pourraient se voir opposer une modération salariale accrue pour éviter une dégradation de la santé bilantaire des entreprises européennes. Ce scénario est tout particulièrement plausible dans les secteurs orientés sur les marchés internationaux. Au moment où l’OCDE indique que la clé de la croissance de l’Europe réside dans son marché intérieur, un nouveau frein des salaires ne fera qu’affaiblir la demande qui s’adresse à ce marché !

Aussi, le relèvement du coût de financement pourrait amener une réorganisation du secteur des private equity dont l’activité spéculative repose sur le rachat d’entreprise en se fondant sur la dette, suivi d’une restructuration massive avant de la céder après quelques années. En effet, puisque la dette est plus onéreuse, certains rencontrent déjà de sérieuses difficultés à rembourser, des opérations annoncées de fusion-acquisition sont repoussées voire annulées, et le secteur se concentre autour des plus grands acteurs. Les fonds de private equity survivant changeraient même progressivement de proie en se recentrant sur les opérations de moindre envergure.[2] Un grand nombre d’opportunités s’offre d’ailleurs à elles car d’ici une dizaine années, 1/3 des chefs d’entreprise actuels de PME européennes (essentiellement familiales) ne seront plus actifs, le patronat n’échappant pas non plus au vieillissement démographique. Une bonne occasion d’entrer dans le capital de ces entreprises et d’en extraire de la plus-value.

En conclusion, les ménages américains, les travailleurs et les petits épargnants risquent de payer la facture laissée par (1) les grandes banques qui se sont engagées dans des activités lucratives mais risquées parce que la victoire remportée sur l’inflation implique des taux d’intérêt plus bas que précédemment et donc moins rémunérateurs ; (2) les managers de fonds d’investissement qui, par avidité, ont agi sans discernement ; (3) des agences de notation qui ont joué un double jeu ; (4) l’utilisation abusive de la titrisation qui, à l’origine, est une technique offrant des possibilités intéressantes ; (5) une supervision européenne impuissante car restée fragmentée alors que la liberté de circulation des capitaux est une réalité.

L’ironie de l’histoire veut que suite aux injections de liquidités des différentes banques centrales, les indices boursiers sont repartis à la hausse à partir de la mi-août...

(Article initialement publié dans La Libre Belgique, www.llb.be, 24 octobre 2007)



[1] Commission européenne, Labour market and wage developments, 2007

[2] En août et pour la première fois depuis trois ans, la valeur totale des opérations de moins de 500 millions d’euros a surpassé la valeur des opérations d’au moins 1 milliard alors que celles-ci représentent un montant généralement quatre fois supérieur aux opérations plus petites. Les spécialistes estiment que ce changement amorce une nouvelle tendance.


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8 réactions à cet article    


  • Forest Ent Forest Ent 26 octobre 2007 15:29

    Tout cela est vrai dans le détail, mais noie un peu le tableau d’ensemble : la mondialisation pressure les consommateurs US qui s’endettent au profit d’actionnaires qui rachètent en private equity toutes les entreprises de la planète, le tout grâce à une création monétaire sans précédent. Bien évidemment, ça va péter bientôt. Le sursaut des actions en 2007 n’est évidemment pas durable. Comme l’administration US ne peut pas déclencher une récession à un an des élections, le dollar va fatalement et mécaniquement tomber en chute libre. La crise ne fait que commencer.


    • manusan 27 octobre 2007 08:11

      c’est ce que tout le monde craint Forest. Comme tout le monde à des dollars dans ses banques et que les clients US sont le moteur de la conso mondiale si les pays à monnaie faible (zone asie, en particulier la Chine) ne remonte pas leur monnaie pour prendre le relais de la consommation mondiale de bien manufacturé, on va droit dans le mur.

      raison de remonter le renminbi (yuan) :
      - prix du pétrole et énergie trop haut

      raisons de ne pas le remonter :
      - faire du troc : pétrole contre infrastructure (ouvriers chinois en afrique par exemple) afin de régler le problème pétro-dollars.
      - avec l’argent des bons du trésors créer des fonds d’investissements (aujourd’hui 1/7 des réserves sont en fond) et faire comme Dubaï. Redistribuer ensuite les dividentes aux politiciens du gouvernement.
      - continuer à faire tourner les usines avec une monnaie faible pour contenter le peuple et les investisseurs.
      - continuer à justifier ce choix en disant que l’asie reste traumatisée par la crise de 97 et à besoin d’une réserve de liquidité.
      - la concurrence à bas prix plombe les PME américaines mais surement pas les grosses coorporations qui financent au passage les canditat électoraux et les choix politique.

      le système est bien ficelé, impossible de changer quoi que se soit en mendiant gentillement aux chinois de remonter leur monnaie ou aux américains un commerce plus équitable et controlé, la nomeclatura chinoise au pouvoir est d’une avidité sans limite, leur compte sont à Macau et Miami, certains ont déjà une greencard, leurs enfants font leurs études au US ou en Australie.


    • Harald 28 octobre 2007 11:41

      Que les bourses partent en couilles c’est dans la nature des choses. smiley


    • snoopy86 26 octobre 2007 23:22

      Bon article et bon commentaire de Forest


      • stephanemot stephanemot 27 octobre 2007 09:02

        Bernanke mise sur l’autoregulation du systeme avec un mini coup de pouce pour initier le mouvement, mais la petite sauterie de cet ete n’a rien resolu et la vraie purge et la vraie remise a plat n’ont pas encore eu lieu.


        • Tzecoatl Tzecoatl 29 octobre 2007 11:16

          Je ne sais pas comment cela va tourner.

          Soit la chute du dollar finit en terrible crise financière (mais relever les taux serait à priori à même de le « reverdir »), soit celle-ci permet à l’économie US de rééquilibrer son commerce extérieure et de préserver sa compétitivité vis-à-vis de l’Asie (la Chine subissant par ailleurs une forte inflation des salaires et des prix).

          Quoiqu’il en soit, le jeu des vases communicants, qu’il soit social ou monétaire est à l’oeuvre, et les moins-disants (en l’occurence la Chine) sont les maitres du jeu.


          • blaireau 30 octobre 2007 15:17

            Il n’y a pas vraiment d’origine precise de la crise financiere que l’on attribue au subprime . Les economies developpees etaient dans une impasse il y a a peu pres 5 ans . IL fallait donner un coup de fouet . La solution a ete de creer de la monnaie sans creer de l’infation, tout au moins en reaction directe a cette creation monetaire . Ce que le monde developpe avait en partage etait la terre donc une solution simple etait de faire en sorte de laisser grimper le prix de la terre ,en fait des terrains constructibles ou pouvant le devenir ,et d’utiliser le differenciel pour investir dans des activites diverses et variees. Ce qui etait normalement du ressort des banques est en fait revenu entre les mains des particuliers . Il est evident que ce phenomene nouveau etait difficile a maitriser . Il semble bien que la hausse des prix a peu de choses pres se soit declaree en meme temps partout . Il s’agit partiellement d’une reponse psychologique a la peur des pertes realisees sur le nasdaq et celles engendrees par la bulle dite de l’internet. Contrairement a ce que l’on croit habituellement en europe Les banquiers americains prennent des riques calcules mais cette fois ci ils ont ete partiellement dupes par le developpement de ce phenomene nouveau et l’aprete au gain a frappe lourdement les plus hardis. Il faut savoir qu’avant d’accorder un pret ,aux usa on fait faire par un specialiste une evaluation du bien que vous achetez . le prix qu’on vous demande est toujours sujet a caution meme s’il s’agit d’un bien neuf vendu par un promoteur . Ce n’etait certainement pas le cas en France vers les annees 2002 au debut de la hausse. La seule preoccupation du banquier francais etant de savoir si vous allez pouvoir rembourser. La banque americaine bien sur s’en preoccupe aussi mais en fait elle place surtout sa mise sur la valeur du bien lui meme, ce qu’elle pourra en obtenir apres que vous ayez fait defaut. Ce qu’il faut savoir aussi c’est que les prix de ventes des biens sont publics et que des banques de donnees existent egalement qui donnent des valeurs servant de base a la taxation des biens fonciers. Donc la banque et ses experts evaluateurs independants n’ont qu’a puiser dans ces banques de donnees pour etablir la valeur probable de leur garantie :le bien que vous allez acheter . Le probleme vient du fait que dans une veritable economie de marche basee sur le principe de l’autoregulation les choses ne sont pas amorties. Donc la hausse des valeurs retrouvees dans les banques de donnees a provoque la hausse des estimations que les experts fournissaient aux banques et donc facilite l’obtention des prets. La tendance haussiere se confirmant les moins prudents ont relache les criteres lies aux emprunteurs eux memes . A noter que toute le monde s’est mis a nager dans l’aisance en particulier les administrations diveres levant des taxes assises sur la valeur des biens. Il est evident que l’emprunteur lui meme se riquait de plus en plus ,pensant qu’en cas de difficultes il revendrait toujours avec un benefice. La limite des capacites de remboursement a ete atteinte pour beaucoup et depassee pour certains quoi de plus mathematique. Maintenant que la raison est revenue est le moment d’investir dans l’immobilier americain en dollars Par contre il est inquietant de voir l’envollee des prix Anglais et Francais dans des monnaies fortes ,quand ca va baisser ,les monnaies vont s’affaiblir en meme temps et les deux effets negatifs vont s’additionner. Les effets sociaux de la crise seront en fait plus grands en europe .ils le sont deja vu la difficulte des jeunes menages a acceder a la propriete . Les investisseurs beneficieront du celebre effet de cliquet qui bloquera partiellement la tendance baissiere mais beaucoup regretteront d’etre venus .

            blaireau

            www.ezfrench.com


            • xavier dupret xavier dupret 8 octobre 2010 16:35

              Ne vois aucune trace de cet article dans la base de données de la Libre Belgique. Donc, si j’ai bien compris, tu es l’assistant du deuxième élu Ecolo en communauté française De Belgique pour le parlement européen. Bonne chance en 2014 ! 

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