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Accueil du site > Actualités > Economie > Les marchés financiers sont irrationnels

Les marchés financiers sont irrationnels

La crise a mis à nu le caractère dogmatique et infondé de la plupart des prétendues évidences de politique économique répétées à satiété par les décideurs et leurs conseillers. Qu’il s’agisse de l’efficience et de la rationalité des marchés financiers ou de la nécessité de couper dans les dépenses pour réduire la dette publique notamment, il faut interroger ces fausses évidences et montrer la pluralité des choix possibles en matière de politique économique. D’autres choix sont souhaitables, à condition d’abord de desserrer l’étau imposé par l’industrie financière aux politiques publiques.

Une crise internationale des dettes souveraines est en germe

Au niveau mondial, la montée des dettes publiques doit être analysée corrélativement à la financiarisation. Durant les trente dernières années, à la faveur de la totale libéralisation de la circulation des capitaux, la finance a accru considérablement son emprise sur l’économie. Les grandes entreprises recourent de moins en moins au crédit bancaire et de plus en plus aux marchés financiers. Les ménages aussi voient une part croissante de leur épargne drainée vers la finance pour leurs retraites, via les divers produits de placement ou encore dans certains pays via le financement de leur logement (prêts hypothécaires). Les gestionnaires de portefeuille cherchant à diversifier les risques, ils recherchent des titres publics en complément de titres privés. Ils les trouvaient facilement sur les marchés car les gouvernements menaient des politiques similaires conduisant à un essor des déficits : taux d’intérêt élevés, baisses d’impôts ciblées sur les hauts revenus, incitations massives à l’épargne financière des ménages pour favoriser les retraites par capitalisation, etc.

L’Europe est prise dans la tourmente des dettes publiques sous-jacentes

Au niveau de l’Union Européenne, la financiarisation de la dette publique a été inscrite dans les traités : depuis Maastricht les Banques centrales ont interdiction de financer directement les États, qui doivent trouver prêteurs sur les marchés financiers. Cette « répression monétaire » accompagne la « libération financière » et prend l’exact contrepied des politiques adoptées après la grande crise des années 1930, de « répression financière » (restrictions drastiques à la liberté d’action de la finance) et de « libération monétaire » (avec la fin de l’étalon-or). Il s’agit de soumettre les États, supposés par nature trop dépensiers, à la discipline de marchés financiers supposés par nature efficients et omniscients.

La BCE a les mains liées

Résultat de ce choix doctrinaire, la Banque centrale européenne n’a ainsi pas le droit de souscrire directement aux émissions d’obligations publiques des États européens. Privés de la garantie de pouvoir toujours se financer auprès de la Banque Centrale, les pays du Sud ont ainsi été les victimes d’attaques spéculatives. Certes depuis quelques mois, alors qu’elle s’y était toujours refusé au nom d’une orthodoxie sans faille, la BCE achète des obligations d’État au taux d’intérêt du marché pour calmer les tensions sur le marché obligataire européen. Mais rien ne dit que cela suffira, si la crise de la dette s’aggrave et que les taux d’intérêt de marché s’envolent. Il pourrait alors être difficile de maintenir cette orthodoxie monétaire dénuée de fondements scientifiques sérieux.

La finance est devenue omnipotente  

Aujourd’hui, un fait s’impose à tous les observateurs : le rôle primordial que jouent les marchés financiers dans le fonctionnement de l’économie. C’est là le résultat d’une longue évolution qui a débuté à la fin des années soixante-dix. De quelque manière qu’on la mesure, cette évolution marque une nette rupture, aussi bien quantitative que qualitative, par rapport aux décennies précédentes. Le G20 persiste dans l’idée que les marchés financiers sont le bon mécanisme d’allocation du capital. La primauté et l’intégrité des marchés financiers demeurent les objectifs finaux que poursuit sa nouvelle régulation financière. La crise est interprétée non pas comme un résultat inévitable de la logique des marchés dérégulés, mais comme l’effet de la malhonnêteté et de l’irresponsabilité de certains acteurs financiers mal encadrés par les pouvoirs publics.

L’efficience des marchés financiers tient du fantasme

La crise s’est chargée de démontrer que les marchés ne sont pas efficients, et qu’ils ne permettent pas une allocation efficace du capital. Les conséquences de ce fait en matière de régulation et de politique économique sont immenses. La théorie de l’efficience repose sur l’idée que les investisseurs recherchent et trouvent l’information la plus fiable possible sur la valeur des projets qui sont en concurrence pour trouver un financement. A en croire cette théorie, le prix qui se forme sur un marché reflète les jugements des investisseurs et synthétise l’ensemble de l’information disponible : il constitue donc une bonne estimation de la vraie valeur des titres. Or, cette valeur est supposée résumer toute l’information nécessaire pour orienter l’activité économique et ainsi la vie sociale. Ainsi, le capital s’investit dans les projets les plus rentables et délaisse les projets les moins efficaces. Telle est l’idée centrale de cette théorie : la concurrence financière produit des prix justes qui constituent des signaux fiables pour les investisseurs et orientent efficacement le développement économique.

L’idéologie de l’offre et la demande est inappropriée aux produits financiers

La concurrence financière ne produit pas nécessairement des prix justes. Pire : la concurrence financière est souvent déstabilisante et conduit à des évolutions de prix excessives et irrationnelles, les bulles financières. L’erreur majeure de la théorie de l’efficience des marchés financiers consiste à transposer aux produits financiers la théorie habituelle des marchés de biens ordinaires. Sur ces derniers, la concurrence est pour partie autorégulatrice en vertu de ce qu’on nomme la « loi » de l’offre et de la demande : lorsque le prix d’un bien augmente, alors les producteurs vont augmenter leur offre et les acheteurs réduire leur demande ; le prix va donc baisser et revenir près de son niveau d’équilibre. Autrement dit, quand le prix d’un bien augmente, des forces de rappel tendent à freiner puis inverser cette hausse. La concurrence produit ce qu’on appelle des « feedbacks négatifs », des forces de rappel qui vont dans le sens contraire du choc initial. L’idée d’efficience naît d’une transposition directe de ce mécanisme à la finance de marché.       Or, pour cette dernière, la situation est très différente. Quand le prix augmente, il est fréquent d’observer, non pas une baisse mais une hausse de la demande ! En effet la hausse du prix signifie un rendement accru pour ceux qui possèdent le titre, du fait de la plus-value réalisée. La hausse du prix attire donc de nouveaux acheteurs, ce qui renforce encore la hausse initiale jusqu’à l’incident qui provoque l’inversion des anticipations et le krach. Les promesses de bonus poussent les traders à amplifier encore le mouvement. Ce phénomène digne des moutons de Panurge est un processus à « feedbacks positifs », qui aggrave les déséquilibres. C’est la bulle spéculative : une hausse cumulative des prix qui se nourrit elle-même. Ce type de processus ne produit pas des prix justes, mais au contraire des prix inadéquats.

L’instabilité chronique de la finance se propage à l’économie réelle

La place prépondérante occupée par les marchés financiers ne peut donc conduire à une quelconque efficacité. Plus même, elle est une source permanente d’instabilité, comme le montre clairement la série ininterrompue de bulles que nous avons connue depuis 20 ans : Japon, Asie du Sud-Est, Internet, Marchés émergents, Immobilier, Titrisation. L’instabilité financière se traduit ainsi par de fortes fluctuations des taux de change et de la Bourse, manifestement sans rapport avec les fondamentaux de l’économie. Cette instabilité, née du secteur financier, se propage à l’économie réelle par de nombreux mécanismes.


Les propositions :

Pour remédier au problème de la dette publique nous mettons en débat deux mesures :

D’une part, autoriser la Banque centrale européenne à financer directement les États (ou à imposer aux banques commerciales de souscrire à l’émission d’obligations publiques) à bas taux d’intérêt, desserrant ainsi le carcan dans lequel les marchés financiers les étreignent

D’autre part, restructurer si nécessaire la dette publique, par exemple en plafonnant le service de la dette publique à un certain % du PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon le volume des titres qu’ils détiennent : les très gros rentiers (particuliers ou institutions) doivent consentir un allongement sensible du profil de la dette, voire des annulations partielles ou totales. Il faut aussi renégocier les taux d’intérêt exorbitants des titres émis par les pays en difficulté depuis la crise.

Pour réduire l’inefficience et l’instabilité des marchés financiers, nous suggérons notamment, quatre mesures :

Primo, cloisonner strictement les marchés financiers et les activités des acteurs financiers, interdire aux banques de spéculer pour leur compte propre, pour éviter la propagation des bulles et des krachs

Deuxio, réduire la liquidité et la spéculation déstabilisatrice par des contrôles sur les mouvements de capitaux et des taxes sur les transactions financières

Tertio, limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle (ex. : CDS uniquement pour les détenteurs des titres assurés, etc.)

Quarto, plafonner la rémunération des traders


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11 réactions à cet article    


  • albatrose 15 janvier 2011 09:34

    Bonjour
    Dans vos propositions,vous ne parlez pas de nationalisations de banques,pourquoi ?


    • zelectron zelectron 15 janvier 2011 11:30

      Pour assainir la finance il n’y a pas 36 solutions : par exemple, on prend les 25 ou 50 ou 100 plus hauts gradés des banques et institutions financières et on les place en garde à vue et si il y a anguille sous roche on les remplace par leurs subalternes si besoin est.


      • millesime 15 janvier 2011 11:51

        - se préoccuper de maintenir à flot la partie « industrielle et commerciale » des banques et laisser SOMBRER (si pertes abyssales) la branche spéculative des banques. (voir ce qu’a fait l’Islande)
        -interdire les paris sur les fluctuations de prix.
        hélas..je crains que cette conception ne soit pas encore mure dans la tête de nos leaders politiques, (surtout en France) et en Europe en général...mais comme le système va dans le mur cela se fera au moment du renouvellement du personnel politique (2012)
        ces nouveaux élus seront (par la force des choses) moins dépendants et moins conciliants (voire moins de connivence) avec les banquiers... !
        http://millesime.over-blog.com


        • zelectron zelectron 15 janvier 2011 18:32

          @millesime
          sauf que les nouveaux seront vite la proie des corrupteurs ...


        • Robert GIL ROBERT GIL 15 janvier 2011 15:23

          Pour ceux que ça interressent voici ce que disait Marx de la finance, dans un article simplifié accessible a tous

          http://2ccr.unblog.fr/2011/01/07/la-dette-publique-et-la-bancocratie/


          • silversamourai silversamourai 15 janvier 2011 15:27

            Bonjour,

            « les marchés financiers sont irrationnels »

            Je préfèrerais dire : chaque acteur des marchés financiers agit rationnellement ....au service de sa déraison....

            A partir de là il est possible de cerner les responsabilités de chacun....

            C’ est leur plus grande peur,vu qu’ils son unanimes quand il s’agit de mettre à bas les systèmes législatifs nationaux ....encore existants...

             



              • Jean Lasson 15 janvier 2011 20:26

                J’ai lu en entier (bien qu’un peu en diagonale) le manifeste des auteurs. Il y a, amha, un problème dans son positionnement. Le manifeste en question a, manifestement, été écrit par les écologistes et il se place clairement dans le maintien et même le développement de la construction européenne.

                Si certaines des mesures proposées vont dans le bon sens, d’autres mesures plus simples et radicales sont omises. Ainsi, par exemple, la BCE est conservée et les états européens devraient lui emprunter selon leurs besoins, à taux bas certes, mais non nul.

                Autre exemple, les mesures 21 et 22 nichées dans le 10e paragraphe :

                "Pour avancer vers un véritable gouvernement économique et une solidarité européenne nous mettons en débat deux mesures :

                Mesure n°21 : développer une fiscalité européenne (taxe carbone, impôt sur les bénéfices, …) et un véritable budget européen pour aider à la convergence des économies et tendre vers une égalisation des conditions d’accès aux services publics et sociaux dans les divers États membres sur la base des meilleures pratiques.

                Mesure n°22 : lancer un vaste plan européen, financé par souscription auprès du public à taux d’intérêt faible mais garanti, et/ou par création monétaire de la BCE, pour engager la reconversion écologique de l’économie européenne.« 

                Fiscalité européenne ? Taxe carbone ? Reconversion écologique de l’économie européenne ? Il semble bien que, sous couvert d’une contestation de façade, il s’agisse en fait de poursuivre le plan voulu par les »élites" eurocrates en retirant toujours plus de souveraineté aux états, au profit de la Commission européenne, on suppose.

                De plus, les mesures intéressantes du manifeste n’ont aucune chance d’être adoptées dans le cadre de l’Union européenne, comme François Asselineau l’a démontré. Par contre, une taxe carbone, oui...

                Bref, ce manifeste me semble être un faux-nez du programme de la Commission européenne et de ceux qui sont derrière.


                • ddacoudre ddacoudre 15 janvier 2011 22:14

                  bonjour

                  cela fait plaisir de lire d’autres son de cloche, mais la solution ne peut malheureusement n’être que technique, même si les solution émises ferait tomber la température du malade qu’est le capitalisme.

                  sans chargement de comptabilisation de la richesse, sans recherche d’ autres source de richesse, sans remise en cause du consumérisme, les modèle en place reconstruirons les mêmes difficultés sous d’autres formes car ce que nous nous répartissons est la rareté et elle ne va faire que croitre.
                  un ami économiste me disait toujours que l’économie est avant tout la gestion de relations humaines.
                  donc de projet de société.

                  cordialement


                  • Tassathée Tassathée 16 janvier 2011 19:01

                    Tout ça n’est que tentative de récupération du potentiel électorat du net.
                    Venez avec de vrais changements, « économistes atterrés », et celà redorera peut-être le blasons des économistes qui ma foi jusque là, ont prouvé par leur clairvoyance, qu’une année de seconde scolaire donnerait à n’importe quelle chèvre la même légitimité pour parler d’économie (« beeeehhhh »). 


                    • Tassathée Tassathée 16 janvier 2011 19:06

                      Non mais sans rire, vous êtes nombreux à vous être retrouvés atterrés en 2011 ?
                      Vous venez d’avoir le diplome ou bien ? Car tout ça ne date pas d’hier messieurs dames.

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