Les quatre conditions d’un sommet de Londres sincère et fondateur
Bilan provisoire de la crise financière et exigences citoyennes à l’adresse des dirigeants du G20.
Banques, agences de notation, paradis fiscaux, Madoff et consorts... le crime était presque parfait ! Une superstructure opaque organisant un espace financier parallèle, siphonnant l’essentiel de la création de richesse, au profit d’une quasi secte, mafia blanche inconsciente ou cynique. Un système se devant d’être toujours en mouvement, afin de maintenir l’illusion de l’équilibre, et exerçant les pressions les plus violentes sur les conditions économiques du plus grand nombre, afin de gonfler mécaniquement et toujours davantage les acquis financiers au détriment des acquis sociaux et du partage équitable de la croissance. Voila ce qui faisait tourner le monde sans sourciller il y a encore quelques mois à peine. La cupidité insolente, obscène et aveugle, aura cependant laissé se mettre en place des révélateurs tout aussi mécaniques de cette perversion, au premier rang desquels le système désormais bien connu des subprimes. Comment en effet ne pas multiplier les crédits lorsque dans le même temps on confisque la richesse ? Avec le recul, vraisemblablement aurait-il suffi alors de créer une structure de défaisance commune aux principaux acteurs financiers concernés, structure bien moins coûteuse que toutes les aides débloquées depuis, et qui aurait empêché le décor de se déchirer.Tout aurait pu continuer encore longtemps et sans que l’on sache... Heureusement il y eut alors la faillite de Lehman Brothers, puis celles de Fannie Mae et Freddie Mac. Heureusement, oui. Car ceux qui se désolent de ces événements n’ont simplement que le regret d’avoir été obligés de regarder en face une réalité qu’ils commençaient à pressentir, et dont ils ne voulaient surtout pas se sentir responsables. Ou bien n’ont toujours pas saisi la monstruosité du système. Aller au bout des conséquences les plus dramatiques d’un état de fait désormais incontrôlable, et qui ne méritait plus d’être défendu, aura ouvert les yeux à tout le monde ou presque.
En tout cas, c’est ce qu’il faut espérer. Il faut en effet exiger que toutes les leçons soient tirées de cette crise. Il faut s’assurer qu’un retour en arrière, auquel certains croient naïvement, tandis que d’autres l’espèrent cyniquement, sera rendu impossible. Il faut s’assurer qu’à Londres, on évitera le risque potentiel, et qui serait fatal, d’une connivence larvée entre certains politiques et le monde de la finance. Quelles sont les conditions indispensables d’une telle refondation, d’un véritable et courageux World Financial Act ?
Tout d’abord il faut sceller le sort des paradis fiscaux qui sont le point d’appui essentiel de cette finance nocive déconnectée de la réalité. Tout le monde semble d’accord. C’est bien, à condition qu’on ne fasse pas dans la demi-mesure. Il faut mettre d’urgence sous contrôle international ces entités artificielles, les établissements financiers qu’elles hébergent, et mettre temporairement sous séquestre - oui sous séquestre ! - les avoirs qui y sont détenus. Au moins le temps d’en faire l’inventaire, si l’on veut vraiment connaître le bilan réel des actifs toxiques des banques. Et surtout éviter que les fonds mis à disposition de ces mêmes banques par les états ne viennent en compenser, de manière incontrôlée, les pertes occultes.
Il faut ensuite demander des comptes et contrôler des acteurs dont personne n’a parlé jusqu’à présent, et qui n’ont cessé de se faire oublier depuis le début de la crise : avez-vous remarqué que rien n’a été dit par et sur les chambres de compensation ? Alors que ces organismes, au premier rang desquels Clearstream et Euroclear, connaissent tout des flux internationaux qu’ils contrôlent ? Pas la moindre analyse, pas la moindre mise en garde...Trop d’intérêts, trop de pressions sont en jeu pour qu’eux aussi ne soient pas soumis à la plus grande transparence.
Les agences de notation enfin : juges et parties à la fois, car trop dépendantes financièrement de leurs clients, non contrôlées elles-mêmes, et agissant dans un domaine où le réel n’est souvent plus contraignant ni pris en compte, où certaines opérations financières oh combien fructueuses se construisent sur la base de rumeurs et de manœuvres peu détectables et encore moins mesurables. Quelles notations sont encore possibles et crédibles dans de telles conditions ? Là encore il faudra redéfinir le rôle et contrôler les opérations de ces organismes, si tant est qu’il soit démontré que leur utilité l’emporte largement sur leur nocivité potentielle.
Pour mener à bien ces actions internationales fondant un nouvel ordre financier mondial il apparaît alors indispensable de créer une Cour Internationale des Comptes et de Justice Financière qui pourrait être partiellement une émanation du FMI pour ce qui est des actions de contrôle. Quant aux actions judiciaires ouvertes au sein de cette Cour, elles seraient conduites par une structure confiée à des personnalités qu’on a trop oubliées elles aussi, et bien à tort, mais qui nous ont si souvent alertés. Des personnalités qui ont œuvré avec autant de ténacité et de courage qu’elles ont été peu soutenues par les pouvoirs en place. Des personnalités qui ont été et sont le réconfort de tant de citoyens indignés voire meurtris, des hommes et des femmes qui ont été et sont l’honneur de la Justice et le symbole de l’exigence démocratique : je veux parler ici de ces juges auxquels nous devons enfin nous-mêmes, tous et dans un même élan, rendre justice. Bernard Bertossa, Eva Joly, Baltasar Garzon, Fabio de Pasquale en sont les figures emblématiques en Europe. Puisque la crise est là, confirmant tant de menaces et de dévoiements dont ils nous avaient prévenus, le temps est venu de leur confier cette tâche urgente, ardente, et dont ils sont tellement dignes. Puisque mondialisation il y a, le temps est venu de prendre exemple et de s’appuyer sur l’action forte de la Norvège en matière de lutte contre la corruption et la délinquance financière.
Voila les points d’ancrage qui nous semblent essentiels pour une refondation efficace et sincère du système financier international. Certes sans doute faudra-t-il leur adjoindre, au niveau international comme au niveau national, des mesures complémentaires concernant l’évaluation des parités des monnaies, la juste redistribution des richesses créées et la réduction drastique des inégalités, si l’on veut que l’intérêt général et le développement restent accessibles et demeurent les ferments de la cohésion et de la justice sociales. Sans doute faudra-t-il orienter davantage les fonds de pension sur l’investissement à long terme et définir au sein des entreprises des ratios, réalistes et non contradictoires, de rentabilité industrielle, de rentabilité financière et surtout de rentabilité sociale. Mais que déjà sur ces quatre points évoqués ici, MM Obama, Merkel, Sarkozy, Brown et l’ensemble du G20 montrent du courage, de la détermination et sachent nous donner les garanties que nous sommes légitimement en droit d’exiger.
Claude Bernard
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