Mailorama : les billets qui cachent la forêt
Auteur du coup de com’ du Champs de Mars, le PDG de Rentabiliweb compte de prestigieux soutiens, de Madelin à Messier en passant par Bernard Arnault.
Un chef d’entreprise atypique
La clé du succès : adapter les services payants du Minitel rose au monde du tout-gratuit web
7000 personnes massées non loin de la Tour Eiffel pour récupérer des bourses remplies de billets de 5 à 500 € : un coût modeste, 40 000 €, pour un coup médiatique de grande ampleur. Derrière cette initiative « sympathique, conviviale et bon enfant » selon les mots des organisateurs, une filiale, Mailorama. Derrière cette filiale, un groupe, Rentabiliweb. A sa tête, un PDG improbable, Jean-Baptiste Decroix-Vernier alias JBDV, 39 ans, dreadlocks, kilt et 407 ème fortune de France, avec 57 millions d’Euro de fortune personnelle. Une formation en droit et en théologie, spécialité « exégèse rabbinique », renforce le caractère atypique du personnage. De sa péniche à l’entrée du port d’Amsterdam, il contrôle ses 120 employés - qu’il appelle ses « Ninjas » - à partir de trois écrans géants.
Spécialisé dans la monétisation d’audience, le groupe connaît une ascension fulgurante : 350 000 € de CA en 2003, 2, 5 M d’€ l’année suivante, puis 10 M, 17 M, 21 M et enfin 51 M l’année dernière. La clé du succès : adapter les services payants du Minitel rose au monde du tout-gratuit web. Les systèmes de micro-paiement audiotel puis par SMS proposés par l’entreprise assurent sa forte croissance, essentiellement dans le domaine des sites pornographiques. En rachetant en 2007 le groupe Montorgueil SAS et son portail de sites porno Carpe Diem, Rentabiliweb décolle financièrement, et double son chiffre d’affaire.
Des soutiens puissants
Derrière le Groupe à l’initiative de la distribution de billets, J2M, Madelin, Arnault (PDG de LVMH) et Courbit (ex-PDG d’Endemol France)
Très croyant, JBDV met en avant, sur le site de son groupe, les valeurs de transparence, d’honnêteté, de loyauté et d’intégrité. Une philosophie très éloignée de l’image d’un des principaux soutiens de Rentabiliweb et membre de son Conseil d’Administration, un autre trygramme bien plus connu : J2M. L’ex PDG de Vivendi prodigue depuis 2007 ses conseils, quand il ne pilote pas, indirectement, la stratégie du groupe. Jean-Marie Messier transmet à son poulain ses valeurs : l’opportunisme et l’agressivité. Ainsi Cyril Zimmerman, PDG d’un Groupe en monétisation d’audience concurrent, Hi-Média, déjeune juste avant la crise avec Messier. Un déjeuner « amical » qui aura tout de même pour conséquence une tentative d’OPA hostile de Rentabiliweb sur le groupe Hi-Média. Une tentative avortée, comme le buzz de la distribution d’argent du Champs de Mars ce samedi.
Au côté de Messier, Alain Madelin siège lui-aussi au Conseil d’Administration. Une position délicate pour le Président du fonds de solidarité numérique, un organisme qui a pour objectif « de réduire la fracture numérique et de contribuer à l’édification d’une société de l’information solidaire et inclusive. »
Le très libéral Madelin veille donc à garantir l’accès à l’information et au savoir, tout en conseillant une société spécialisée dans la monétisation de sites pornographiques ou de pari en ligne. Un secteur très rentable - d’où le nom de l’entreprise, Rentabiliweb - mais pas spécialement éthique. Ainsi Bernard Arnault, PDG de LVMH, et Stéphane Courbit, l’ancien patron d’Emdemol France, sont devenus actionnaires du groupe, attirés par la très forte croissance de son chiffre d’affaire.
Le web prisonnier du sexe et des paris en ligne, comme son ancêtre le Minitel
Le coup de communication de Rentabiliweb, populiste, démagogue et irrespectueux de la misère sociale, renforce l’image de voyous du monde du Web
Si l’on ne blâme pas ces hommes d’affaires qui investissent là où l’argent fructifie, le politique Madelin est, de par sa posture de président du fond de solidarité numérique, dans une situation plus délicate. De laquelle il se sortira médiatiquement en invoquant l’absence de responsabilité d’un conseiller d’administration dans les affaires courantes d’une entreprise, comme l’initiative méprisante de distribuer des billets de banque en plein Paris. On peut d’ailleurs s’interroger sur la manière dont la société a pu obtenir l’autorisation préfectorale pour organiser cet événement, dangereux pour l’ordre public, mais aussi et surtout illégal, l’article R642-4 du Code pénal interdisant l’utilisation de billets de banque "comme support d’une publicité quelconque".
Au-delà de cette bourde administrative, c’est la question de la responsabilité du politique dans l’économie numérique qui mérite d’être posée. Car le coup de communication de Rentabiliweb, populiste, démagogue et irrespectueux de la misère sociale, renforce l’image de voyous du monde du Web. Internet s’assimile de plus en plus à une jungle dans laquelle tous les coups sont permis. Une réputation largement étayée par les déclarations du Président Sarkozy et de son porte parole Frédéric Lefebvre sur l’urgence à contrôler cette zone de « non-droit ».
Internet est stigmatisé comme un sous média, dans lequel la pornographie et les jeux de pari en ligne ou les jeux vidéos semblent les seuls secteurs garantissant une réelle rentabilité. Et cette conclusion n’est qu’à moitié fausse. Car si le Web est riche de contenus de qualité, il n’en reste pas moins vrai que les CPM (coûts pour mille, NDLR) sont toujours trop faibles pour parler d’une économie saine et propice au développement de projets à forte valeur ajoutée, notamment dans le secteur de l’information. Ainsi, les titres comme Rue 89 ou AgoraVox, succès éditoriaux et d’audience, ne parviennent toujours pas à atteindre l’équilibre. Bakchich vient de déposer le bilan, et Mediapart est dans un gouffre financier.
Le rôle du politique dans l’économie numérique
L’épisode du Champs de Mars, manipulé par les politiques dans un affrontement droite / gauche, Dati / Delanoë stérile, doit être récupéré, non par Hortefeux seulement, mais aussi par Nathalie Kosciusko-Morizet, nouvelle sous-ministre au numérique, et soeur du PDG de PriceMinister. Le débat sur l’information journalistique d’octobre 2008, éclipsé par la crise économique, a laissé l’information numérique orpheline de toute politique. On pensait encore à l’époque que le grand méchant Web allait ruiner notre presse papier ; aujourd’hui, les sites d’informations indépendants tentent, en dernier recours, une adaptation papier pour sortir de l’impasse économique. Nicolas Sarkozy a choisi de placer la PQN (Presse Quotidienne Nationale, NDLR) sous perfusion, en négligeant le cas des pure players (sites d’information indépendants sur le web, NDLR). Le coup de pub de Rentabiliweb enferme encore un peu plus Internet dans cette fausse image mêlant arnaques, mauvais goût et superficialité.
Pourtant, la consommation médiatique passe de plus en plus par le web, et les jeunes européens affirment depuis 2007 passer d’avantage de temps devant Internet que devant la télé. Et le marché est loin d’être mature : avec 15 millions de foyers connectés, il en reste 11 à conquérir. Alors Nakomo, si Borloo vous avait rendue muette à l’écologie, allez-vous retrouver votre langue au numérique ? Et proposer une réelle politique de soutien et de développement aux contenus de qualité, en commençant par l’information indépendante sur le web ?
Un article du site www.animalpolitique.com
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