Mais jusqu’où peut donc aller Amazon ?
La sortie du Fire Phone d’Amazon, le smartphone conçu pour rivaliser avec Apple et Samsung, divise l’opinion médiatique étasunienne. Certains prédisent un avenir radieux à ce nouveau produit quand d’autres estiment que Jeff Bezos a commis un péché de gourmandise en ajoutant des fonctionnalités qui alourdissent le prix. Derrière ces débats économiques, se dissimule la fascination envers un géant dont on ne sait si sa boulimie de pouvoir prendra fin.
Un article publié dans Forbes à propos du nouveau smartphone rappelle que « les applications Amazon sont déjà présentes sur tous les smartphones. Amazon a déjà sa part du gâteau. Cela devrait être plus qu’assez ». Pourtant rien ne semble être en mesure d’assouvir l’appétit insatiable de son dirigeant et fondateur Jeff Bezos.
Amazon : la success-story
The Economist se demande jusqu’où peut aller Amazon. Cette entreprise mobilise d’autant plus l’attention qu’elle symbolise le self-made-man américain en voie de disparition. Jeff Bezos, à l’instar de Bill Gates ou Steve Jobs, a commencé petit en louant une maison avec garage pour entamer son commerce de livres sur Internet. Seulement, le nom même de la compagnie, Amazon, trahissait déjà l’ambition débordante de l’entrepreneur.
Pour l’instant, la firme suscite plus l’admiration que la crainte. Elle a été l’une des pionnières du commerce sur Internet en sécurisant le paiement, facilitant le développement des achats en ligne. Amazon a également encouragé les commentaires d’internautes. Malgré les critiques existant à l’encontre de ce système où les meilleures notes proviennent probablement de proches des auteurs, cela a initié une mode qui s’est répandue comme une traînée de poudre, faisant notamment le succès de TripAdvisor.
Au niveau du métier de l’édition, Amazon a opéré une véritable révolution en diminuant les délais de livraison puis en développant l’e-book. Un aspect moins connu de l’entreprise est qu’elle a été l’une des premières à se lancer dans le cloud. En 2006, elle a commencé à louer des capacités d’ordinateurs à l’heure, simplifiant et réduisant le coût de lancement d’une start-up. Netflix, Instagram, Pinterest, Spotify et Airbnb ont ainsi utilisé ce service pour démarrer.
En complément de ce flot d’innovations techniques, Amazon a également bousculé le monde de la finance. Alors que les investisseurs sont obsédés par les résultats trimestriels et les rachats d’actions, Jeff Bezos a clairement averti les actionnaires qu’il prioriserait toujours l’investissement à la réalisation de profits. Les investisseurs semblent apprécier ce discours car le cours de bourse d’Amazon a déjà dépassé 3 500 fois son bénéfice (un ratio supérieur à 17 signifie en général que l’entreprise est surévaluée) !
Le Boa constricteur
Ces succès économiques s’accompagnent de pratiques peu vertueuses. En tant qu’employeur, particulièrement dans ses entrepôts, Amazon est accusé d’épuiser son personnel à la tâche et de le soumettre à une pression disproportionnée. L’entreprise est intraitable avec la concurrence et elle a occasionné la faillite d’un grand nombre de librairies de quartier. The Economist souligne que Tesco et Walmart ont procédé de façon similaire dans la grande distribution et ont causé à leur époque (années 80-90) de nombreuses fermetures de commerces de proximité.
Amazon, de même que la grande distribution, abuse de sa position dominante, en particulier avec l’éditeur Hachette. Ce dernier s’est vu retirer le bouton de précommande sur le site Internet d’Amazon. De plus, les délais de livraisons pour ses livres ont été rallongés par le distributeur, ce qui va à l’encontre de la qualité de service professée par Jeff Bezos.
Amazon tire avantage d’une stratégie qui consiste à ne pratiquement pas faire de profit. Elle ne paie quasiment pas d’impôts et utilise sa taille et sa puissance financière pour asphyxier la concurrence. Ces éléments constituent d’énormes barrières à l’entrée. Selon The Economist, cette situation ne peut durer éternellement. Amazon attend d’avoir acquis une position suffisamment monopolistique pour relever ses prix et faire des bénéfices, ce que les régulateurs pourraient sanctionner. Alors, une autre firme, le chinois Alibaba par exemple, pourrait agresser le géant et le faire chuter. Selon The Economist toujours, les consommateurs y seraient gagnants.
Comment les consommateurs pourraient-ils être gagnants alors qu’ils sont également ceux qui travaillent dans ces entreprises aux conditions de travail lamentables ? Il n’y a guère de gagnants dans cette concurrence acharnée entre géants mondiaux, sauf peut-être, me direz-vous, leurs dirigeants qui amassent des fortunes considérables et se payent le luxe d’acheter des journaux (le Washington Post pour Jeff Bezos), illustrant un peu plus leur volonté de domination. Mais dans quelle mesure ces hommes à l’ambition démesurée ne sont-ils pas plus enchaînés encore que leurs employés ? Dans quelle mesure ne sont-ils pas asservis à cette ambition ?
Joaquim Defghi
Blog : actudupouvoir.fr
Twitter : @JDefghi
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