« Mais où va l’argent » ?
Marie-Louise Duboin est la fille de l’industriel, banquier et homme politique Jacques Duboin, fondateur du Mouvement français pour l’abondance, dont il a été question dans un précédent article sur Agora Vox. Dans un livre paru en 2007, elle poursuit sa réflexion pour une nouvelle économie de distribution où la monnaie serait limitée aux besoins réels.
Depuis « la crise » des crédits hypothécaires américains à risque, les vaches sacrées du néolibéralisme triomphant, dopées (sans la moindre « traçabilité »…) aux substances frelatées par la grâce ( ?) de la désormais tristement célèbre technique dévoyée dite de « titrisation », tanguent sur le pont d’un Titanic phynancier sans précédent, dans l’extrême « volatilité » des « dynamiques de marché » - et dans l’attente d’une grande purge à venir…
Il était en France un temps où le politique avait prise sur l’économie – il s’arrogeait même le pouvoir de créer l’environnement adapté aux besoins de tous. C’était au cours d’une période de prospérité économique désormais révolue, baptisée « les Trente Glorieuses » (1945-1975). Depuis, tout va de mal en pis, avec les errements de la sophistication phynancière - et la crise de confiance est consommée entre « gouvernants et gouvernés »…
Le retournement
Comment en est-on arrivé là ? Tout, rappelle Marie-Louise Duboin, a commencé au nom d’une idéologie qui s’est imposée à toutes les économies dites « développées » : « Par principe, tout ce qui est dirigé a été réputé mauvais. Il fallait croire désormais que c’est en laissant chacun, ou chaque entreprise, n’agir qu’en fonction de ses intérêts propres que s’exalteraient au mieux ses qualités ; que la compétition est la meilleure stimulation possible car seule la rivalité entre concurrents développe l’inventivité et l’innovation. L’Etat ne devait donc plus s’immiscer dans les affaires économiques, car celles-ci, de même que la finance, ne doivent relever que du privé, c’est-à-dire du marché. Laisser faire, laisser chacun ne suivre que son égoïsme, était la garantie que la prospérité serait assurée automatiquement, et pour tous, par l’opération de la main invisible du marché, qui, adapte forcément, c’est sûr et certain, l’offre à la demande… Ce retournement avait été préparé depuis une dizaine d’années dans les Think Tanks inspirés des économistes tels que ceux de l’Ecole de Chicago, dans le sillage du monétariste Milton Friedman, ou de Friedrich von Hayeck, à qui le Chili de Pinochet avait servi de terrain d’essai à sa politique néolibérale après le coup d’Etat de 1973. »
Après le Chili, l’Angleterre succombe au thatchérisme (1979), les Etats-Unis aux « reaganomics » (1981)- et l’Argentine est ruinée au cours des deux mandats du « péroniste » Menem (1989-1999). Comment, se demande Marie-Louise Duboin, des « représentants du peuple », mandatés par leurs électeurs pour agir dans l’intérêt général, ont-ils pu octroyer à des institutions privées, ayant pour seul objectif leurs propres intérêts, le privilège régalien de battre monnaie ?
En France, « l’impôt sur le revenu est aujourd’hui entièrement versé au privé, au titre du service de la dette ». La fille de l’ancien parlementaire Duboin s’interroge : « Les contribuables-électeurs sont-ils d’accord pour que cette « dépense » corresponde à une ligne de budget plus importante que celle consacrée à réduire la fracture sociale ? ».
La société au service de la phynance…
Marie-Louise Duboin poursuit le combat de son père contre « la misère dans l’abondance ». Pour elle, la première urgence, c’est de revenir au droit régalien et de « remettre le pouvoir monétaire au pouvoir politique, exclusivement, y compris celui d’ouvrir le crédit bancaire » : « Parce qu’une société évoluée, telle qu’on peut la concevoir au XXIe siècle, doit être en mesure de décider des besoins qu’elle va satisfaire, en fonction des moyens dont elle peut disposer, en respecter les droits des êtres humains, vivants et à venir. Dans une telle perspective, le choix si essentiel de l’orientation générale de l’économie est une décision politique fondamentale qui ne peut pas être abandonnée à des intérêts privés. Aujourd’hui, la société est au service de la finance, qui dicte sa politique aux gouvernements. Remettre aux pouvoirs publics la responsabilité de toute création monétaire, c’est renverser les rôles : les choix économiques deviennent alors des choix politiques et la finance leur est subordonnée. »
Ensuite, il s’agit d’ajuster la masse monétaire à la réalité, afin de passer d’une logique de capitalisation à une logique de répartition – et de l’actuelle jungle financière à un contrôle démocratique de la production : « Les représentants d’une population qui, en ayant le monopole de la création de sa monnaie, s’engagent en son nom, ne peuvent émettre que la masse monétaire équivalente aux richesses que cette population produit et met en vente. »
Enfin, il s’agit de « séparer la gestion des biens de celle des gens », de « transformer la monnaie pour qu’elle cesse d’être un facteur d’accumulation, mais un flux qui s’écoule, qui se consume en même temps que les biens produits se consomment » afin que l’économie produise des biens et non des profits financiers – et que l’expression « création de valeur » ne soit pas détournée… « Travail et emplois ne sont pas des buts, mais des moyens. Le rôle d’une entreprise est de transformer les matières premières pour mettre à la disposition des gens les objets, les vivres, les biens dont ils ont besoin. (…) Avec une monnaie réservée à la consommation, le revenu versé à un individu a pour objectif de lui donner les moyens de s’épanouir, de développer ses qualités propres et d’exercer au mieux les activités par lesquelles il assume sa participation à la société dont il est membre et qui l’entretient. Dans cette optique, le revenu n’est plus versé par les entreprises à ceux qu’elles emploient et seulement pendant la durée de leur emploi. Il est assuré par la société à tous ses membres et pendant toute leur vie. »
Utopie ? La proposition repose sur ce constat : « Le système actuel incite l’homme à « être un loup pour l’homme » ; il exalte les égoïsmes en les rendant « payants » et il déresponsabilise en remettant à la mythique « main invisible » du marché le soin de fixer les choix ! »
En 2007-2008, l’un des fondements de la phynance moderne a été mis à mal : la calamiteuse (et « déresponsabilisante »…) titrisation que les populations n’en finiront pas de payer pendant des générations. La sagesse des nations les inclinera-t-elle un jour vers une autre voie moins corruptrice de l’être et moins destructrice de « valeur » - avant que le capitalisme ne soit parvenu à son autodestruction annoncée ?
Marie-Louise Duboin, Mais où va l’argent ?, éditions du Sextant, 240 p., 14,90 €
La Grande Relève, 88 Boulevard Carnot 78110 Le Vésinet
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