Messieurs les candidats, que comptez-vous faire pour réindustrialiser la France ?
La France reste un grand pays industriel, 5ème exportateur mondial.
Pourtant sa position se dégrade.
Ainsi son déficit commercial (écart entre les importations et les exportations de biens et de services) s’aggrave régulièrement depuis une dizaine d’années, tutoyant désormais les 3% de PIB. Il représente les 3/4 du déficit de la balance courante (indicateur clé qui inclut le solde des revenus de placements et le solde des transferts financiers). Or, quand la balance courante est négative, le pays vit au-dessus de ses moyens puisqu’il consomme et investit plus qu’il ne produit de richesses. Il doit donc emprunter auprès d’agents extérieurs.
Ce déficit est, notamment, dû à une désindustrialisation qui s’accélère. En effet, même si nous exportons davantage de services que nous n’en importons, cet excédent ne compense pas, et de loin, le déficit des biens. De plus l’industrie exerce un effet de levier sur les autres activités économiques plus important que les activités de service : elle consomme davantage de biens intermédiaires, elle passe davantage de commandes aux autres entreprises.
Nous avons besoin d’une industrie forte qui crée des emplois et exporte afin de financer nos achats (notamment de produits énergétiques ou de minéraux dont la nature ne nous a pas gratifiés).
Pendant quelque temps nous avons pu vivre sur une illusion : à nous (les pays riches) la recherche, l'innovation et la production haut de gamme, à eux (les pays émergents) le bas de gamme. Ça ne fonctionne plus comme cela. Eux (les pays émergents) montent en gamme, forment (pour l'instant dans nos universités, mais de plus en plus dans les leurs) des dizaines de milliers de chercheurs, d'ingénieurs.
Il est vital de consolider notre place dans l'économie d'un monde plus complexe et plus concurrentiel. Alors que notre industrie a perdu 750 000 emplois en dix ans et que le phénomène tend à s’accélérer.
Le Gouvernement a récemment annoncé des mesures pour diminuer le coût du travail (TVA dite « sociale », accords compétitivité-emploi). En essayant de dépasser les débats partisans sur leur équité, on doit se poser la question de leur efficacité.
En effet, d’une part elles paraissent tardives (le phénomène a démarré depuis plus de 10 ans et s’accélère), d’autre part elles semblent désigner le coût du travail comme le principal paramètre. Est-ce réellement le cas ? Un tel phénomène ne tient certainement pas à une seule dimension, celle du coût du travail. Si tel était le cas, notre écart avec l'Allemagne ne serait pas ce qu'il est. En effet, même s'il est légèrement inférieur à celui de la France (il faut savoir ce qu'on mesure, car on peut faire dire aux statistiques ce que l'on veut, c'est bien connu), il ne peut pas, à lui seul, expliquer l'écart : l'Allemagne affiche un excédent de l'ordre de notre déficit !
Réindustrialiser la France devrait être déclaré grande cause nationale. C'est la matrice de bien des maux qui nous rongent : notre chômage endémique, notre dette souveraine étouffante, la désertification rampante de certaines de nos régions, notre perte d'influence dans le monde, ...
L’une des priorités du futur gouvernement devrait être d’organiser une vaste concertation sur ce thème (un « Grenelle de la reconquête industrielle »). En effet des études ont été publiées (par ex. "La France puissance industrielle - Une nouvelle politique industrielle par les territoires" - DATAR - 2004, "Désindustrialisation, délocalisations" - Lionel Fontagné, Jean-Hervé Lorenzi - 2005, "Une stratégie industrielle pour les marchés du futur" - Pierre Gattaz - Juin 2008), mais il n’y a pas eu de débat public, alors même que ce sujet est central (emploi, dette souveraine, politique régionale).
Cette concertation devrait notamment porter sur les thèmes suivants.
- Un État stratège.
- Un renouveau de l’intérêt mutuel.
- Une fiscalité « entrepreneuriale ».
- Une France qui attire et retient les futurs entrepreneurs.
Un État stratège.
Il faut un pilote dans l’avion.
C'est, sans surprise, l'avis convergent des études que je mentionne ci-dessus.
Les « Trente glorieuses » (1945-1973) ont été marquées par le rôle majeur de la puissance publique dans l’effort de recherche et d’industrialisation qui a permis la reconstruction du pays après les destructions de la guerre, puis sa modernisation. C’est elle qui a planifié et, en grande partie, financé les grands programmes qui ont permis à la filière agro-alimentaire, à celles de l’atome, de l’aéronautique, de l’espace de prendre la part qu’elles ont aujourd’hui dans le monde. Imagine-t-on le TGV, Airbus, Ariane sans cette prise de risque d’un État stratège ? Certes il y eut quelques échecs (le Plan Calcul, Concorde), mais ce système public/privé a fait la preuve de son efficacité. Les entreprises nées de ces programmes ambitieux sont encore des leaders dans leur secteur (Areva, Safran, EADS, …).
C’est un système comparable qui est mis en œuvre dans des pays aussi "libéraux" que l'Allemagne, la Chine, les USA (où le Department Of Defense - l'équivalent de notre Ministère de la Défense - finance de grands programmes de recherche).
Or, depuis une vingtaine d’années, sous l’influence du dogme libéral, la France a abandonné ce modèle pour en adopter un autre caractérisé par l’abandon massif du rôle de l’État dans la conduite de l’économie. Elle a ainsi laissé se démanteler des pans entiers de son industrie (sidérurgie, construction électrique, construction navale, …) et assisté, sans sourciller, à la disparition de plusieurs de ses fleurons industriels pourtant profitables (Arcelor, Péchiney, démantèlement de CGE, …).
Abandonnée à elle-même la "main invisible" du marché n’a pas joué en faveur de nos entreprises. On ne peut pas affirmer non plus que ces "destructions" d'entreprises aient été réellement "créatrices" de valeur, sinon pour les actionnaires.
La puissance publique ne semble réagir que par intermittences, par des « coups », médiatiques et improvisés, sans logique apparente (Lejaby, Florange, Pétroplus), quand ce n’est pas par des effets d’annonce prématurés non suivis d’effets (Gandrange par ex.).
La France dispose pourtant d’atouts incontestés (infrastructures, population éduquée, forte productivité horaire, …). Elle continue d’avoir des positions de leader dans le transport ferroviaire et aérien, l’énergie nucléaire, l’agro-alimentaire, l’automobile, le luxe, le tourisme, les services informatiques, … Elle attire d’ailleurs les investisseurs puisqu’elle est la 2ème destination des Investissements Directs Étrangers (investissements destinés à développer des filiales ou prendre de contrôle d'entreprises) dans le monde.
En revanche son tissu industriel est « mité » : d’un côté des leaders mondiaux, de l’autre des PME trop petites, réduites le plus souvent à un rôle de sous-traitance dont, le plus souvent, les marges sont écrasées par les grands donneurs d'ordre. Il lui manque ce qui fait le succès de l’Allemagne, à savoir des entreprises de taille intermédiaire (ETI, de 250 à 5000 personnes) capable de financer une véritable R&D, d'innover et d’exporter. Elles sont 2 fois moins nombreuses en France qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni.
La France soutient pourtant les entreprises à dans leur effort d’innovation par des mesures fiscales (Crédit Impôt Recherche), elle promeut et subventionne les interactions synergiques entre les entreprises, les Universités, les centres de recherche au sein des Pôles de Compétitivité.
Et puis il y a le Fonds Stratégique d'Investissement (FSI) et Oseo, 2 établissements destinés à aider les PME à innover, investir et développer l'international, par des apports en fonds propres. Ne serait-il pas judicieux de les fusionner et de les régionaliser ?
Mais, sans stratégie claire, le risque est grand d’un saupoudrage inefficace et inefficient, voire d’effets d’aubaine (notamment pour les grandes entreprises qui bénéficient largement des aides de toute nature alors même qu’elles continuent de délocaliser).
Que signifie "stratégie claire" ?
Qu'il nous faut d'abord identifier les domaines pour lesquels il existe un potentiel de croissance mondial et pour lesquels notre pays a des atouts (des positions établies comme dans l'agro-alimentaire, le transport aérien, etc. ou des positions à gagner et gagnables comme dans la mécatronique, les nano-technologies, la télémédecine, les énergies alternatives, etc.). Les études existent (cf. ci-dessus). Il faut les extraire de l'oubli auquel elles sont condamnées.
Qu'il nous faut ensuite définir à quels résultats nous voulons parvenir et comment nous devons nous y prendre (quels sont les labos, les entreprises qui travaillent dans ces marchés, quels sont leurs besoins, comment exploiter les synergies, comment faire prospérer l'outil industriel, etc.).
Qu'il nous faut enfin concentrer nos aides, incitations fiscales, etc. sur ces domaines et exclusivement sur eux.
Ceci ne sera possible que si tous les efforts sont coordonnés au niveau le plus haut. A l'instar du Commissariat au Plan des 30 glorieuses ou du MITI japonais.
Messieurs les candidats, quelles stratégies industrielles voulez-vous développer pour la France ? Comment allez-vous les mettre en œuvre ? Quelles complémentarités allez-vous rechercher avec nos partenaires européens ? Quelle position pour la France visez-vous à l’issue de votre mandat ?
Un renouveau de l’intérêt mutuel.
Le tournant libéral des années 80 a vu émerger fortement le primat de l’actionnaire.
Les dirigeants gèrent l’entreprise pour le bénéfice exclusif des actionnaires.
On assiste par exemple à des OPA visant à réaliser des plus-values (éventuellement en démantelant l’entreprise, en la vendant « par appartements ») plutôt qu’à en assurer le développement, et, naturellement, sans prise en compte du rôle de l’entreprise dans le tissu économique.
Grâce à des opérations telles que les LBO (Leveraged Buy-Out), des fonds spéculatifs peuvent ainsi prendre le contrôle total d’entreprises sans avoir à débourser la moindre somme, les banques prêtant les fonds et le prêt étant remboursé par l’entreprise elle-même. Ces remboursements "siphonnent" ainsi littéralement sa capacité d'investissement.
L’entreprise n’est plus l’acteur d’un écosystème, mais est devenu un objet spéculatif.
Ce changement de paradigme exerce une forte influence sur la stratégie des entreprises. Sous la pression d’actionnaires financiers, elles se montrent de plus en plus court-termistes, privilégiant la recherche d’une maximisation de leur valorisation boursière à la « bonne » gouvernance attendue par le tissu social.
Pareille attitude est préjudiciable à la stabilité des entreprises, à leur développement au long terme et à l’international.
Le personnel devient la variable d'ajustement avec une incidence désastreuse sur le climat social (les fameux « licenciements boursiers » et leur cortège de luttes pathétiques).
L’intérêt social de l’entreprise doit faire à nouveau partie des préoccupations de ses dirigeants. Il faut retrouver un équilibre plus harmonieux entre les intérêts de toutes les parties prenantes : les actionnaires, naturellement, mais également les salariés et l’environnement économique.
L’État peut, par exemple, légiférer en redéfinissant les rôles des dirigeants et du conseil d’administration, favoriser par des mesures fiscales l’actionnariat de long terme (taxation dissuasive des plus-values court terme), exiger davantage de transparence et d’information du marché sur les opérations, donner aux dirigeants des moyens de se défendre face à des OPA hostiles, etc.
Messieurs les candidats, comment envisagez-vous de retrouver un équilibre plus harmonieux entre les intérêts de toutes les parties prenantes de l’entreprise ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour éviter que des entreprises profitables et utiles à notre économie puissent faire échec à des prises de contrôle à but purement spéculatif ?
Une fiscalité « entrepreneuriale ».
Avec l’introduction de la monnaie unique et la réglementation qui y est attachée (Pacte de stabilité) les gouvernements de l’Union ont perdu le levier de la politique monétaire qui, jusqu’alors, était leur principal instrument d’ajustement économique. Dès lors la fiscalité reste, en pratique, le seul instrument permettant d’améliorer l’attractivité et la compétitivité de leur territoire. Les économies européennes étant très disparates, il ne peut en résulter qu’une concurrence fiscale, menace tout aussi importante que celle des pays à bas salaires pour notre économie.
En effet la France a, depuis longtemps, fait le choix d’un modèle dans lequel la dépense publique est élevée, en contrepartie de prestations sociales importantes. Le financement de cette dépense publique élevée fait, naturellement, peser une charge fiscale importante.
Lutter contre la concurrence des pays « moins-disants » fiscaux est ardu. Il faut, en toute hypothèse, travailler sans relâche à une harmonisation au sein de l’Union. Ce sera long.
A court et moyen terme, on peut faire le choix de baisser les prestations sociales, c'est-à-dire, in fine changer de modèle. C’est un choix lourd de conséquences et il n’est pas sûr que le corps social l’accepte. Par ailleurs, d’autres pays (Suède, Danemark, Belgique), qui ont également des dépenses publiques élevées tout en gardant un environnement économique plus harmonieux que le nôtre, démontrent que l’argument TINA (There Is No Alternative) trop souvent brandi n’est pas recevable.
Il y a donc des voies médianes. Explorons celles qui se rapportent directement à notre objet : favoriser la reconquête industrielle.
Pour être efficaces, éviter les effets d'aubaine, les mesures fiscales doivent être ciblées. L'exemple type est la baisse de la TVA sur la restauration. Mais voilà : comptons-nous sur la restauration pour développer notre économie et, singulièrement, nos exportations ?
Le taux de l’IS (Impôt sur les Sociétés) en France est, facialement, le plus élevé de l'Eurozone (34,4% contre une moyenne de 25,7%). En pratique il touche principalement les PME et les ETI, qui sont nos créateurs d’emploi et sur lesquels nous devons nous appuyer pour exporter. Les grandes entreprises peuvent localiser leurs bénéfices dans des pays qui les taxent moins, bénéficier de diverses niches fiscales, et, de ce fait, paient beaucoup moins d’IS en France (cf. l'exemple emblématique de Total : 12 Mds€ de bénéfices, 330 M€ d'IS, soit moins de 3% !).
On pourrait, par exemple, réduire significativement le taux de l’IS au profit des PME et ETI. L’IS représentant environ 4% des prélèvements obligatoires, sa réduction pourrait être compensée par une augmentation modeste de la TVA (qui, elle, représente 13% des prélèvements). Afin de ne pas pénaliser les familles modestes, cette augmentation de la TVA ne concernerait que le taux normal et non le taux réduit (qui affecte principalement les produits alimentaires et de première nécessité).
On pourrait également, sans grand danger, augmenter le taux de CSG dont l’assiette est large et les taux réduits.
On pourrait aussi imaginer des incitations fiscales pour drainer l'épargne des contribuables vers l'industrie plutôt que vers les contrats d'assurance vie.
On peut également se montrer davantage sélectif dans le Crédit Impôt Recherche en évaluant annuellement son résultat (non pas en termes de nombre de bénéficiaires, comme c’est le cas aujourd’hui, mais d'efficacité).
Messieurs les candidats : quelles mesures fiscales comptez-vous prendre pour soutenir les PME et les ETI exportatrices ? Comment les financerez-vous ?
Une France qui attire et retient les futurs entrepreneurs.
Il semble que l’on assiste à une accélération de l’expatriation des chercheurs français et, surtout, que cette expatriation tend à devenir définitive, privant notre pays d’un retour sur l’investissement réalisé dans leur formation.
La « circulaire Guéant », visant à réduire l’immigration professionnelle, risque de priver notre pays d’un potentiel de recherche et de création d’entreprise. Elle cristallise sur elle les critiques de toutes les forces vives de la nation.
Une étude d’Eurostat montre une diminution, absolue et relative, par rapport au Royaume-Uni et à l’Allemagne, de notre part du solde migratoire des 27 états de l’Union. Les flux en provenance des pays en crise (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal) se dirigent de préférence vers Londres, Berlin, Copenhague et Stockholm plutôt que Paris. Et il s’agit là de jeunes diplômés, de talents, de créateurs d’entreprise potentiels.
L’Institut Montaigne a consacré à la fuite des cerveaux une étude parue en novembre 2010, formulant 12 propositions pour y remédier. Il serait bon de s'en inspirer.
Inciter chercheurs et entrepreneurs à acquérir une formation complémentaire ou une expérience à l’étranger (notamment aux États-Unis) et à revenir exercer leurs talents au pays serait hautement profitable à notre économie. De même retenir les meilleurs étudiants étrangers formés dans nos écoles et universités, voire attirer des talents formés ailleurs, loin de créer du chômage serait source d’enrichissement pour la France.
Messieurs les candidats, quelles sont vos propositions pour que la France retienne les talents qu’elle a formés et attire les diplômés étrangers qui souhaitent s’établir chez nous, sans pour autant « piller » le capital intellectuel de leurs pays d’origine ?
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