Misère des étudiants, crise du logement, responsabilité des gouvernements

On entend parler de la crise du logement à travers les subprimes, ces crédits aventureux associant chantage à l’accès à la propriété et voracité des banques. Mais c’est certain, c’est là-bas que ça se passe, aux States, car ici en Europe, il n’y a rien de tout ça. N’empêche, les biens immobiliers ont subi une inflation que d’aucun jugent pas raisonnable. Et puis, il y a aussi la question des investissements locatifs, mais pas de quoi clamer la crise. Tout va bien, mais pas pour tout le monde. Autrement dit, il y a bien une crise, mais elle est, avant toutes choses, sociale. Car pour reprendre les termes d’une chanson de Bashung, les classes aisées peuvent fredonner, mon petit bénéfice, ne connaît pas la crise, surtout si quelque rapport locatif ajoute à l’argent du beurre le beurre des épinards. Nous reparlerons de tout ça plus bas. Pour l’instant, ouvrons large la perspective sur le développement de l’économie depuis dix ans. Il est un fait connu, c’est que les classes moyennes veulent devenir moins moyennes et que les classes aisées sont voraces et, disposant de moyens d’épargne conséquents, elles exigent des rendements pas toujours raisonnables. Mais l’épargne sert aussi, vertueusement, le perfectionnement du système productif, la recherche, permettant d’investir dans du nouveau matériel et produire mieux et différemment. Comme je l’ai souligné précédemment, il existe deux économies, l’une de l’immédiateté et l’autre, spéculative. Alors qu’on entrait dans le troisième millénaire, la nouvelle économique a subi son baptême spéculatif, comme celle de 1929 et, soixante-dix ans après la grande dépression, la bulle spéculative liée au Nasdaq s’est crevée. Mais pas la voracité des spéculateurs, si bien que le trop-plein d’épargne et les liquidités des crédits se sont placés sur l’immobilier, marché auparavant calme, mais devenu, depuis six ou sept ans, le champ de manœuvre pour la spéculation. Il faut dire que le prix des logements a monté plus vite que l’indice boursier et que la location offre des revenus stables, pas comme ceux des actions, liés aux résultats de l’entreprise. Bref, la spéculation sur l’immobilier a largement augmenté la part d’économie spéculative sur l’économie immédiate, engendrant une crise sociale que les politiques ont négligée. La spéculation sur l’immobilier ne fait pas grand bruit, si ce n’est quand, dans des quartiers cossus de Paris, des immeubles sont vendus à la découpe et les locataires, gens biens sous tous rapports, sont expulsés et obligés de mettre le double de pognon pour retrouver une location de surface équivalente. Ces affaires, relativement médiatisées, ont jeté l’anathème sur les marchands de biens et autres banquiers d’affaires. Pourtant, le profit immobilier n’est pas l’apanage d’affreux capitalistes assoiffés d’argent et des fonds de pensions prêts à vampiriser des proies immobilières pour sucer le profit. Les marchands de toit et autres bailleurs appartiennent aussi aux classes aisées. Ce sont des gens que vous pourriez croiser et qui ont bien tiré leur épingle de ce jeu spéculatif, en suçant par exemple le budget des étudiants, en toute légalité. Direction le pays de l’immobilier, autrement dit les agences et leurs vitrines, placées dans les rues passantes ou les lieux clinquant, comme le net. Pour faire une petite enquête, rien ne vaut un réseau comme Orpi, Century ou l’Adresse. Entrons dans le formulaire la ville de Nice pour une requête classée par prix croissant. On trouve deux appartements, surface 9 mètres carrés, pour 55 000 et 63 000 euros. Puis en bas de la Madeleine, soit à 15 minutes à pied de la fac de lettres, un 20 mètres carrés est proposé à 100 000 euros. A Bordeaux, près de la Victoire et donc de la fac de socio, un studio de 20 mètres dans un immeuble ordinaire est proposé à 68 000 euros. Nantes, même cas de figure, trois petits studios vendus entre 50 et 60 000. On peut essayer une autre requête, par exemple, choisir une fourchette de prix entre 50 et 100 000 et une surface comprise en 9 et 20. On verra des dizaines de propositions localisées dans des stations balnéaires, mais le plus souvent dans des métropoles dotées d’une université. Les Français moyennement aisés ont trouvé le filon pour arrondir leur patrimoine et leurs fins de mois à moyen terme. Il suffit d’acheter un studio. On comprend pourquoi le prix du mètre est élevé, souvent au dessus de 4 000 et, dans certains cas, Paris notamment, ça peut atteindre 8 000. C’est déraisonnable, mais si on calcule la rentabilité, c’est très convenable. Prenons le cas d’un ménage déjà propriétaire dont les revenus sont de 5 000 euros par mois. Et qui dispose de 30 000 en cash. Il suffit d’aller chez son banquier avec les fiches de paye et d’emprunter 30 000. Ensuite, le studio est acheté puis loué entre 250 et 300 euros le mois. Cela paye le crédit et en quinze ans, c’est tout bénéfice, même en comptant la fiscalité.
Est-ce moral ? Non, mais c’est légal, c’est le marché. Certes, quand le loyer de l’étudiant est payé par des parents aux revenus substantiels, on n’ira pas crier au scandale, mais quand c’est un enfant de classe moyenne qui veut faire un IUT dans une ville éloignée de son domicile, avec les parents qui se saignent, ou qui bosse pour financer ses études, ou encore un jeune travailleur qui gagne le Smic, on comprend que ce chantage au toit, élément indispensable à la vie, dépouille les gens de modeste condition pour enrichir les classes aisées.Que faire alors, à qui la faute ? On ne va pas remettre en cause l’économie de marché et laisser, comme dans l’ancienne Union soviétique, le soin à l’Etat d’attribuer le logement et de fixer les prix. Bien sûr que non. Mais ce n’est pas pour autant que l’Etat doit laisser cette situation. Et là, on s’aperçoit que les lois de type Robien, en vigueur depuis quinze ans (quand il y avait la loi Périssol), ont accentué les effets de cette crise du logement en faisant quelques cadeaux fiscaux aux classes aisées. Par ailleurs, le logement social et étudiant n’a pas été soutenu à un niveau convenable si bien que le marché est devenu spéculatif en jouant sur un bien de première nécessité, qui s’est raréfié, le logement (comme le pétrole). Et l’effet de se faire sentir sur tous les ménages de condition moyenne n’ayant pas les moyens d’acheter et dont le pouvoir d’achat est ponctionné parce que la politique du logement n’a pas été à la hauteur. Les belles âmes antilibérales ont tant glosé sur les biens culturels qu’il faut exclure des lois du marché, mais elles ne se sont pas inquiétées de l’immobilier qui, lui aussi, sans qu’on le mette sous tutelle étatique, peut être régulé avec les outils que sont les logements sociaux. Et les terrains qui font flamber la construction ? Eh bien, il suffit de réquisitionner ceux que possèdent l’Etat ou les collectivités et à la limite exproprier. Après tout, on le fait bien quand il faut faire passer une autoroute ou une ligne de TGV. Au lieu d’atténuer la crise sociale liée au logement, les gouvernements successifs n’ont pas pris la mesure du problème ou, alors, ils ont fermé les yeux, jugeant qu’après tout, autant laisser les ménages aisés se faire une meilleure part dans l’économie et les revenus. C’est tout à fait légal, mais ce n’est pas moral. Les philosophes distinguent bien la légalité et la légitimité. Les moyens n’ont pas manqué pourtant. Au vu du coût des 35 heures, il aurait mieux valu diriger cet argent vers le logement social. Car il est content, le travailleur qui gagne 1 500 euros net, qui a quinze jours de RTT par an et qui doit débourser 600 euros pour se loger, soit 300 de plus que pour un logement social ; mais ces 300 euros qui font défaut, il peut les gagner en effectuant des heures supplémentaires, ce qui au total, revient à faire 40 heures, voire 42. Verdict. Les gouvernements sont politiquement responsables de la crise sociale liée au logement, responsables de ne pas être intervenus ces quinze dernières années. Il sont moralement coupables des difficultés matérielles des étudiants et des ménages qui subissent le chantage au toit et sont ponctionnés plus que de raison pour payer un loyer pas raisonnable pour un sou ! La peine prononcée devrait être exécutée dans les urnes s’il y a une justice politique. Quant à la peine morale, on ne va quand même pas les envoyer au confessionnal.
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