Objectif « Zéro SDF » : des paroles aux actes
Lors de la campagne présidentielle de 2002, Lionel Jospin déclarait se fixer l’objectif de « zéro SDF » à la fin de 2007, annonce qu’il avait déjà faite en 1995. Lors de la campagne présidentielle de 2007, l’actuel président de la République avait repris cet objectif. Notre homme se voulant beaucoup plus ambitieux, déclarait « si je suis élu président de la République, je veux que d’ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid. Le droit à l’hébergement, je vais vous le dire, c’est une obligation humaine ».
Quoi qu’il en soit, chaque période hivernale est dorénavant accompagnée d’une couverture médiatique à propos des sans-abri, d’autant plus épaisse que le mercure annonce une vague de grand froid. Le reste de l’année, les conditions d’existence matérielles et sanitaires très difficiles auxquelles les sans-abri doivent faire face ne suscitent guère de compassion de Noël. Alors que les Pays-Bas, le Danemark et la Grande-Bretagne ont réduit à presque rien le nombre de sans-abri dans leurs rues, la France compte sur ses belles paroles pour s’affranchir des actes nécessaires.
Le rapport 2007 de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France traduit pourtant la dégradation continue de la situation de manière générale, et la multiplication des situations d’extrêmes précarités en particulier. Le rapport établit par la Conférence de consensus réunie à l’initiative de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) fin novembre 2007 dresse le même constat.
Les chiffres sont malheureusement très éloignés de l’objectif affiché, ou du résultat de nos partenaires européens. On dénombre aujourd’hui au moins 100 000 personnes sans domicile, et autant de personnes vivant en camping ou dans un mobil home à l’année, plus 50 000 en chambres d’hôtels et 41 000 en habitat de fortune (cabane, construction provisoire), soit environ 300 000 sans-abri. S’ajoutent par ailleurs à ce chiffre 533 000 personnes vivant dans des meublés, 1 150 000 personnes vivant dans des logements dépourvus de confort de base (pas de salle d’eau, pas de WC, pas de chauffage) et un peu plus d’un million de personnes vivant en situation de surpeuplement accentué (sources : enquête ENL Insee 2001, Fondation Abbé Pierre, ministère de la Cohésion sociale, CNRS).
Au total, ce sont presque 3 millions de personnes très mal logées qui font de la France un pays à la traîne dans ce domaine en Europe. L’absence de volonté clairement affichée de la part des différents responsables politiques depuis une vingtaine d’année pousse dès lors celles et ceux qui se font les porte-parole de cette cause à des opérations « chocs » (Les Enfants de Don Quichotte, le campement rue de la Banque à Paris), parfois emplies de désespoir.
Les politiques publiques actuelles ne sont pas à la hauteur de cette exclusion d’une partie de la population. La gauche non plus n’est pas assez au rendez-vous social du mal-logement, au point de se faire parfois interpeller violemment (« mais qu’est-ce qu’ils foutent les mecs du Parti socialiste ? » de Josiane Balasko...). Laisser durer une telle situation aurait pourtant des conséquences néfastes sur notre société. Comme l’indique très justement le rapport de la Conférence de consensus, « être privé d’un chez-soi ou d’un logis ne permet pas d’exercer pleinement tous ses droits de citoyen », avec des conséquences en termes de protection et d’épanouissement personnel, de possibilité d’exercer ses droits (domiciliation), de sécurité (protection des biens et des personnes), de santé, de mobilité, d’emploi, de culture ou encore de vie relationnelle ou affective.
Une autre raison qui pourrait expliquer l’échec des politiques publiques et la nécessité de traiter le mal-logement à la racine par la prévention est le changement visible des populations vivant aujourd’hui dans la rue. Le « descenseur social », que décrivent Alain Mergier et Philippe Guibert dans leur essai, produit ses effets, et beaucoup se retrouvent sans toit après un passage en prison, en hôpital, une perte d’emploi ou une rupture familiale. Le parcours typique du SDF n’existe plus, nous devons au contraire faire face à une grande hétérogénéité des profils, des parcours ou des situations, du jeune toxicomane en rupture familiale au travailleur précaire âgé en perte d’emploi. Une mesure essentielle serait dès lors de prévenir en amont ce risque et d’être à l’écoute de chaque personne particulière.
Car il n’y a pas de fatalité en la matière, et Place de la Gauche regrette qu’aujourd’hui nos responsables choisissent au mieux de faire preuve de compassion, au pire de se résigner...
La création du Samu social (entre autres), l’augmentation des crédits consacrés au financement des actions d’hébergement, l’annonce du Plan d’action renforcé en faveur des sans-abri (PARSA, en janvier 2007, suite au campement du canal Saint-Martin), la loi sur le Droit au logement opposable (Dalo, 5 mars 2007) vont certes dans le bon sens, mais cela reste insuffisant pour faire du « droit au logement une obligation humaine ». A cela deux raisons. D’abord parce que l’on répond à l’urgence par l’urgence (même si les lois et dispositifs mis en place jusqu’à présent affirment le contraire), et ensuite parce que pour que des droits soient effectifs, il ne suffit pas de les décréter (cf. le non-respect de la loi SRU ou de la loi du 5 juillet 2000 relative aux aires d’accueil pour les gens du voyage).
Alors plutôt que de continuer à gérer l’urgence, nous pourrions nous inspirer logiquement de ce que font nos partenaires en Europe. Dans le dispositif mis en œuvre en 1998 au Royaume-Uni pour réduire le nombre de personnes sans logement, la prévention est un moyen d’action essentiel.
Les centres d’hébergements d’urgence sont déjà en surcapacité en France, et il faut stopper en amont le flux des sans-abri.
En particulier, un diagnostic interministériel précis sur les effets pervers (en termes de mal-logement) produits par les politiques publiques de l’emploi, du logement, de la santé, de la justice ou de l’immigration permettrait de mieux prévenir et lutter contre ce phénomène.
Par ailleurs, une caractéristique commune des personnes sans abri est d’avoir connu un ou plusieurs passages dans des institutions en raison d’une « rupture » dans leur parcours : par exemple un jeune SDF qui relevait des services de la protection de l’enfance après une rupture de la structure familiale, une perte de logement après un passage prolongé en milieu hospitalier ou carcéral. Une politique de prévention ambitieuse doit permettre d’identifier en amont ces facteurs de « rupture » pour un accompagnement précoce de la personne, et de responsabiliser ces institutions publiques notamment lorsque ces personnes en sortent.
Pour que l’hébergement d’urgence retrouve sa vocation d’accueil et d’orientation vers l’insertion, nous devons aussi mettre en place une politique de logement durable, avec un effort décisif sur le logement à loyer accessible.
La crise du logement des ménages modestes se traduit en 2006 par la construction de 520 000 logements, ce qui est une bonne chose en soi, mais seulement 8 000 (soit 1,5 %) de ces logements sont en PLAI (le Prêt locatif aidé d’intégration est destiné à financer des logements locatifs adaptés aux besoins des personnes et familles qui connaissent des difficultés d’insertion et disposent de faibles revenus). Or selon la Fondation Abbé Pierre, le besoin est actuellement de 500 000 logements accessibles aux plus démunis...
Cette politique de logement durable devra compléter la loi Dalo par un dispositif législatif et administratif coercitif pour garantir son application (renforcer les sanctions de la loi SRU et étendre son champ d’application aux intercommunalités, renforcer les obligations des Plans locaux d’urbanisme PLU en imposant au moins 20 % de production de logements sociaux PLAI et PLUS aux promoteurs). Dans le même temps, elle devra accroître de façon significative l’offre de logements à loyer accessible (PLUS et PLAI) au détriment des logements PLS (Prêt locatif social, qui constituent environ 40 % des logements du Plan de cohésion sociale lancé par Borloo, coûtent 30 à 40 % plus cher qu’un PLUS ou un PLAI, ont des loyers quasi-identiques au secteur privé, mais sont néanmoins comptabilisé en HLM, et dans la loi SRU). Enfin cette politique devra assortir de contreparties sociales bien déterminées toute aide fiscale immobilière d’une part, et favoriser l’accès et le maintien dans leur logement des ménages modestes d’autre part (garantie des risques locatifs, à condition qu’il soit ouvert à tous dans une logique de mutualisation des risques).
En parallèle de cette vision volontairement ambitieuse, l’universalité et la simplification des procédures actuelles est indispensable, car la justice sociale ne peut être efficace que si les politiques mises en place sont aisément accessibles aux plus démunis, sans distinction. La structure du dispositif actuel d’aide fait intervenir de nombreux acteurs (Etat, départements, communes, associations), et si l’on compare la France aux pays européens, le nombre de conditions à remplir pour être accepté en structure d’accueil est exorbitant (l’amendement Mariani avait tenté de refuser l’accueil de sans-papier). Un système cohérent, lisible par tous, et non discriminant à l’entrée serait véritablement à même de fluidifier les parcours de chacun et d’offrir des droits effectifs.
S’il est essentiel de consacrer d’importants moyens financiers afin de soutenir cette politique, les crédits engagés demeurent insuffisants (1,82 % du PIB, soit le plus bas niveau depuis trente ans alors que la situation se dégrade). Cependant, il est d’abord primordial aujourd’hui de réorienter les crédits là où les actions que nous préconisons ci-dessus sont nécessaires, et en faveur des collectivités qui en auraient le plus besoin.
Récapitulatif des propositions de Place de la Gauche pour que naisse une véritable ambition, et pour que cesse l’insupportable, la confusion des rôles, la rigidité du système et les inégalités qu’il génère :
- plutôt que de continuer à gérer l’urgence, stopper en amont le flux des sans-abri : par la mise en place d’un diagnostic interministériel précis sur les effets pervers produits par les politiques publiques, et par une politique de prévention ambitieuse, permettant d’identifier en amont les facteurs de « rupture » pour un accompagnement précoce de la personne, et capable de responsabiliser les institutions publiques notamment lorsque ces personnes en sortent ;
- mise en place d’une politique de logement durable, avec un effort décisif sur le logement à loyer accessible : compléter la loi Dalo par un dispositif législatif et administratif coercitif pour garantir son application, accroître de façon significative l’offre de logements à loyer accessible (PLUS et PLAI) au détriment des logements PLS, assortir de contreparties sociales bien déterminées toute aide fiscale immobilière, et favoriser l’accès et le maintien dans leur logement des ménages modestes ;
- garantir l’universalité et la simplification des procédures actuelles d’hébergement : un système cohérent, lisible par tous, et non discriminant à l’entrée serait véritablement à même de fluidifier les parcours de chacun et d’offrir des droits effectifs ;
- réorienter les crédits là où les propositions ci-dessus sont nécessaires, et en faveur des collectivités qui en auraient le plus besoin. Réorienter les crédits vers la construction de PLUS et PLAI, et en faveur d’une politique de prévention.
Place de la Gauche.
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