Pardon pour les réalités sociales. Pardon à Nadine Morano.
Chimères et réalités.
Prendre le pouls des réalités sociales en France ne demande pas obligatoirement d’études coûteuses ni de grands organismes spécialisés. Il suffirait, par exemple, de demander aux institutrices des maternelles et des écoles primaires de France d’interroger doucement les enfants qui ont déjeuné à la cantine scolaire sur ce que maman va leur donner à manger ce soir. Et aux petits qui ne restent pas déjeuner le midi, parce que c’est « trop cher », ce qu’ils ont mangé tout à l’heure à la maison. La proportion des marques d’indigence glacerait d’effroi : un bol de lait avec du pain, souvent. Pire qu’avant.
Si faire un état des lieux ne doit pas noircir le trait, dire ce que l’on voit est suffisamment redoutable. Même si l’obscénité de la réalité est insupportable, et même si les cris ne dépassent pas la gorge.
Mais il est des vérités qu’il faudrait taire à nos dirigeants, à nos parlementaires, sur ceux qui les ont fait roi. Jusqu’à quand ? Certains d’entre eux se le demandent. Pas le Président.
Car le Président de la République garde une foi inébranlable en sa façon de gérer la France. Cette constance ne relève plus de l’information. Elu sur des schémas précis, il ne variera pas d’un pouce sur les grandes lignes annoncées, alors qu’elles sont dépassées, que les réalités de son modèle économique ont balayé ses chimères électorales. Simplement importe t-il de savoir ou d’imaginer jusqu’à quand ceux qui en subissent les effets n’y porteront pas l’arrêt, tant elle attente à leur avenir d’hommes.
Il ne serait pas responsable de la crise mondiale, le Président ? Et puis quoi, encore ? Il l’est, avec ses amis, de qui il défend à toute heure et en tous lieux les intérêts vitaux au dépend des plus faibles. Cette crise c’est la sienne, c’est la leur. Prestidigitateurs oublieux de la recette, empêtrés dans leur tour de passe-passe, acrobates coincés dans leur logique, le fil à la patte, ils finassent parce qu’ils croient que la grande masse des citoyens ne comprendra rien à leurs manœuvres de corps d’armées.
Une coupure s’est instaurée.
Les élus dirigeants vivent en dehors de nous parce qu’ils n’auront instauré avec le peuple que des rapports de communication, des va et vient marketing, avec le secret espoir que personne ne verra qu’ils enfantent d’indicibles douleurs de vivre. Ainsi, adeptes pratiquants du « circulez il n’y a rien à voir », maîtres d’une rhétorique du « gagner plus », ils privilégient la vitesse d’exécution et multiplient les « non débats ».
Se faisant, par cette tactique de vitesse et d’immédiateté qui ne laisse aucun temps de réaction au citoyen, se mettent en place des instruments qui attentent à ses libertés individuelles.
Les gouvernants ont décidé d’aller vite. Très vite. Si vite que les structures civiles ne peuvent que se laisser happer par le tourbillon, qui ne leur laissera voir les « dégâts collatéraux » que bien longtemps après, quand il sera trop tard.
Partout, en tous domaines, ils veulent aller vite et fort, montés dans une machine à faire des bénéfices et de bonnes statistiques par la culture du résultat. Une machine à broyer les vies et les sentiments.
Pour la justice, c’est « sanctionner au plus vite et fort ». Pour pouvoir présenter des chiffres satisfactoires qui montreraient obligatoirement des baisses de criminalité depuis qu’ils sont aux « affaires ».
Pour le contrat de travail, c’est laisser le moins de marge possible au plus faible en passant des contrats à terme non défini, qui pourront être cassés au gré de l’employeur, à son moment, comme un retour au droit de cuissage régalien appliqué au travail, un « je te prends je te laisse » comme aux siècles des louages de bras.
Pour le licenciement, c’est desserrer toute contrainte qui « pèse » sur l’employeur. Comme si la réactivité économique jusque dans les ruptures n’était que le seul but de la vie dans l’entreprise.
Mais tout cela pour quoi faire ?
Pour nous aligner sur une mondialisation par le bas, et qu’ils jouissent des dernières richesses sans l’idée mêle de la vie, de la masse des autres, sans partage ? Pour que, par formatages successifs, notre souplesse ajoute du confort à leurs décisions comme si l’avenir de l’homme était devenu définitivement un sauve qui peut général auquel il faut se soumettre. Le spectacle est dantesque, jusque dans le détricotage pour le « moins d’Etat », quand dans le même temps le capitalisme d’aujourd’hui lui quémande liquidités et garanties et les obtient !
Mais les salariés, eux, quelles garanties ? La vitesse à laquelle se produisent aujourd’hui les licenciements ne traduit pas le lien direct avec la « crise ». Non. Une part énorme des licenciements n’est que l’antichambre de leur vision de « l’après ». Ils anticipent à marche forcée. Seuls. Sûrs de trouver, parce qu’ils l’ont faite et entretenue, une réserve d’indiens qui n’hésiteraient pas, pensent-ils, à s’entretuer pour un petit boulot.
Nous entrons bien dans ce schéma là : le pouvoir en place est liberticide, en tous points de ses « réformes », et la vitesse est le bourreau de nos libertés.
C’est le temps du mépris.
Certains se pourlèchent même les babines à l’idée que les syndicats ouvriers français risquent de ne pas se remettre des différents chausse-trappes tendus par l’actuel pouvoir, qui les vulnérabilise. Le "diviser pour mieux régner " à l’œuvre ici aussi, trouve encore un bel exemple, et le plus étonnant soit que cela marche, que les organisations syndicales n’aient pu trouver une réponse commune qui laisserait face à lui-même un gouvernement joueur de flute obligé de faire entièrement sans eux, parce personne ne serait derrière. Mais non. D’aucuns y retrouvent leurs petits. Va savoir pourquoi.
Mais cela bouge.
Au point qu’un des soucis majeurs de l’Etat est d’abord de préserver la « paix sociale » pour continuer l’irréparable le plus longtemps possible, par simili-replâtrages sociaux successifs, par des effets d’annonces. Il faut que ceux qui souffrent se taisent. Comme ce malade qui, les yeux écarquillés, voit arriver l’aiguille à son bras. Nous sommes à ce moment de l’aiguille.
Ce n’est pas de la « réforme », c’est de l’abattage, qui porte en lui les germes de la révolte et de réactions citoyennes vives chez ceux qu’on veut mettre à genoux. Vitrifier les consciences, embastiller l’entendement des plus faibles ? Ils ont bien du « travail » encore !
D’autant que lorsqu’on est déjà à genoux, on ne peut pas tomber.
Je demande pardon à ceux que j’ai pu offenser.
Notamment à Nadine Morano si elle estime que je viens de l’injurier dans ce billet !
Je demande pardon à l’employeur qui a refusé de me serrer la main il y a quelques jours à l’échéance de l’entretien préalable au cours duquel j’assistais un salarié qui subissait les certitudes d’un licenciement économique. L’employeur n’a pas voulu toucher ma peau au motif qu’il me « connaissait », que j’avais osé lui poser des questions sur les chiffres avancés et que j’avais fait des remarques sur la régularité de la procédure.
Vous voyez le travail… ?
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