Peut-on mettre fin à l’impunité fiscale des multinationales en France et dans l’Union Européenne ?
Que disent les événements récents ?
L'ampleur du phénomène d'évasion fiscale a été mis en évidence en France au cours de la dernière décennie par des acteurs de la société civile, ONG, lanceurs d'alertes, journalistes d'investigation, par des parlementaires, le syndicat Solidaires Finances Publiques à Bercy, le Parquet National Financier qui par l'intermédiaire de sa présidente, Éliane Houlette a fait sauter 'le verrou de Bercy 'au cours de l'année 2018. Désormais le parquet peut déclencher seul des poursuites à l'encontre des fraudeurs fiscaux tels UBS, HSBC, La Société Générale, Carmignac Gestion. Récemment, une déclaration volontariste de Gérald Darmanin au mois de Septembre dernier a annoncé la création d'un observatoire de la Fraude Fiscale qui n'a pas encore vu le jour « faute de Président », le sénateur Eric Bocquet pressenti à ce poste attendant toujours que Matignon signe sa lettre de mission. Au mois de mai de cette année, Emmanuel Macron a mandaté la Cour des Comptes afin d'évaluer les montants perdus en recettes fiscales du fait de l'évitement de l’impôt visant à faire des propositions pour mieux le combattre.
Dans cette configuration, en début de ce mois de Juin, le service de recherche du CEPII, organisme rattaché aux services du premier ministre a publié une étude ( lien) qui évalue à 36 Milliards d'Euros en 2015, soit 1,6% du PIB, les profits non déclarés en France des multinationales, qui viennent " éroder l'assiette d'IS : au taux d'imposition légal, cela correspond à une perte de recettes fiscales de l'ordre de 14 Milliards d'Euros , soit 29 % des recettes de l'IS en 2015 ". L'auteur de l'étude, l'économiste Vincent Vicard, utilise la notion d'évitement fiscal défini par des pratiques utilisées par les entreprises multinationales contraires à l'esprit des législations fiscales et visant à éluder l’impôt sur les sociétés, par l'intermédiaire de montages qui exploitent les incohérences entre systèmes fiscaux nationaux dans l'espace économique européen ( dumping fiscal ). Cette étude menée au niveau macroéconomique montre que la répartition géographique des profits transférés par les maisons-mères des entreprises vers leurs filiales étrangères est essentiellement européen « neuf des dix premiers pays d'enregistrement des profits manquants en France sont européens ( graphique 4 ) » au premier rang desquels on trouve le Luxembourg, l'Irlande, la Belgique, la Suisse, ainsi que le Royaume Uni et les Pays-Bas .Ces travaux montrent aussi que l'évitement fiscal prend de plus en plus d'ampleur : partant d'un montant estimé à moins de 1 milliard d'Euros en 2001 on est passé à 36 milliards d'Euros en 2015 ( graphique 3 ). La pente de la courbe est exponentielle.
Qu'en est-il à l'échelon européen ?
Face à ces pratiques, la Commission Européenne, par l'intermédiaire de son Commissaire aux Affaires Économiques et à la Fiscalité, Pierre Moscovici s'avère impuissante. Ce dernier s'est contenté récemment de recommander à certains pays dont l'Irlande, le Luxembourg et les Pays Bas de poursuivre leurs efforts à l'encontre de leur régime fiscal favorable aux grandes entreprises et s'est dit très confiant dans un accord rapide visant à coordonner les actions des États membres. Soulignons une nouvelle fois que dans l'espace européen, la concurrence fiscale sert de terreau sur lequel se développent toutes les formes d'évitement de l'impôt par l'intermédiaire de la prolifération de mesures dérogatoires et de stratégies d'attractivité fiscales. A ce jour, seule la Commissaire danoise à la concurrence a contraint Apple à payer au mois de Septembre 2018 13 Milliards d'Euros à l’État Irlandais au nom du Droit de la Concurrence en raison d'abus de position dominante. A ce propos les GAFAM ont payé moins de 10% d’impôt sur leurs bénéfices hors États Unis en 2016 selon une étude publiée en 2018 par le Financial Times, et citée par la Lettre du CEPII. Devant l'ampleur de ce manque à gagner colossal qui nous l'avons vu n'est pas propre à la France, mais s'observe au niveau européen, les pouvoirs publics et les organismes européens ont été contraints à reconnaître que l'évitement de l'impôt est un problème majeur pour nos démocraties. C'est ainsi que le Parlement a évalué au mois d'Avril 2016 le coût lié à ces pratiques illégales pour chacun de ses États membres à une fourchette comprise entre 50 et 70 milliards d'Euros de recettes fiscales. On peut observer le manque de loyauté politique de certains pays cités plus haut qui offrent avantages et exemptions fiscales au détriment de leurs voisins, les conduisant à l'austérité, dont la Grèce et la Roumanie. Les différents travaux menés sur ce sujet confirment ces inquiétudes. Pour l'économiste Gabriel Zucman, « A l'échelle mondiale, plus de 40 % des profits réalisés par les multinationales sont délocalisés artificiellement dans les paradis fiscaux » (1) ce qui correspond à plus d'un cinquième des flux mondiaux des multinationales. Et les impôts évadés dans les paradis fiscaux sont évidement remplacés par une taxation plus lourde des individus des classes moyennes et par des baisses d'investissements publics. Actuellement, il y a une urgence politique à agir, liée à la dégradation de la situation budgétaire d'une grande partie des États européens.
Le temps des décisions à l'encontre de l'évitement fiscal des multinationales se devrait d'être en phase avec la création d'un mécanismes de mesures préconisées en vain par nos différents acteurs permettant d'observer enfin le début d'une ère de plus grande justice fiscale. Les solutions évidentes à mettre en place seraient d’accroître les pouvoirs du Parlement européen sur ces questions car jusqu'ici tout est dans les mains de la Commission, de créer une liste crédible des Paradis Fiscaux, parce qu'aucun pays de l'UE n'y figure actuellement, de simplifier le système fiscal international mis en place au début du siècle dernier afin de l'adapter à l'économie numérique du XXI ème siècle.
(1)Le Monde du 7 Novembre 2017
11 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON