Philippe Manière, la cohérence perdue de l’idéologue
Auditeur de France Culture depuis un moment déjà, j'avais déjà été agacé par certains chroniqueurs économiques dont le défaut de rigueur n'avait d'égal que la verve libérale (voir également http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/les-idees-claires-de-philippe-148881). Mais le 11 mars 2014, Philippe Manière a atteint des sommets (http://www.franceculture.fr/emission-les-idees-claires-de-philippe-maniere-les-dividendes-payes-a-leurs-actionnaires-par-les-ent). J'ai conscience qu'il s'agit sans doute plus d'un billet d'humeur que d'une mise au point scientifique, contrairement à ce que laisse penser le titre de l'émission. Pourtant, il m'a semblé qu'elle n'a été ni divertissante, ni instructive et je crains qu'elle n'ait pas éclairci les idées des auditeurs de France Culture.
Les propos de Monsieur Manière m'ont semblé décousus, incohérents et plus dictés par une volonté d'abrutir que d'informer ou d'instruire, ce qui m'a décidé à rédiger ce texte.
En effet, le chroniqueur passe plus de temps à décrédibiliser monsieur Hamon (loin de moi l'idée de défendre le ministre ou son parti) de façon mesquine en recourant successivement à une série de clichés sur ce qu'il appelle la gauche plutôt qu'en mobilisant des arguments économiques rigoureux. Il ne parvient d'ailleurs même pas à maintenir une argumentation cohérente durant les 4 minutes de sa chronique...
Dans ce qui suit, je récapitule donc cette chronique et je relève les points, qui à mes yeux, la rendent a minima ridicule mais malgré tout exaspérente.
1. Au début de la chronique, il feint de ne pas être certain du ministère de Benoit Hamon, soit. Mais je m'interroge, est-ce pour insinuer le peu d'importance du ministre en question ou parce qu'il n'a pas eu la conscience professionnelle de faire une recherche qui lui aurait pris une quinzaine de secondes ?
2. Il explique ensuite que l'affirmation de Benoit Hamon n'a gère de sens puisque les dividendes seraient calculés en aval du calcul de la marge. La distribution des dividendes serait donc une fonction des profits réalisés par les entreprises. Retenez bien ce passage c'est important pour la suite, on appellera ça le théorème Manière.
3. Il disqualifie la source mobilisée par le ministre en précisant qu'elle a été réalisée dans le cadre d'une convention avec la CGT, feignant que cela n'a pas d'importance mais insistant malgré tout sur ce point. Qu'est-ce que cela apporte à l'auditeur si le chroniqueur pense que cet élément n'a pas eu d'influence sur le résultat de l'étude ?
4. Le chroniqueur n'a semble-t-il pas trouvé les chiffres officiels allant dans le sens de B. Hamon, qui pourtant cite une étude universitaire qui comme toute étude universitaire cite ses sources, dans le cas de celle qui nous intéresse (sauf erreur de ma part), des sources INSEE, Eurostat et OCDE, on fait difficilement plus officiel...
5. Il conclut pourtant que l'affirmation d'Hamon est juste. Dans ce cas, comment le sait-il puisqu'il n'a apparemment pas trouvé les chiffres officiels corroborant cette dernière ? Et quel était l'intérêt de préciser qu'il n'avait pas trouvé ces chiffres si l'affirmation était malgré tout vraie ?
6. Le chroniqueur affirme ensuite que les entreprises se financent aujourd'hui beaucoup moins par la dette, sans aucun élément factuel corroborant cette affirmation. Il semble pourtant que ce ne soit pas ce qui se passe effectivement dans la réalité : entre 2003 et 2005 la contribution nette des marchés d’actions au financement des entreprises françaises est de l’ordre d’à peine quelques milliards d’euros. Seule la crise financière interrompt (provisoirement) ces mouvements massifs de buy-back (« Rapport annuel de l’Autorité des marchés financiers », Paris, 2007).
7. La seconde explication de la hausse des dividendes serait la hausse des bénéfices, des profits.
Les données contredisent cette affirmation également :
Il se contredira d'ailleurs au point 9.
8. Compte tenu des affirmations précédentes (théorème Manière, hausse de la capitalisation, hausse des profits...) qui n'ont rien à voir avec la réalité empirique, l'augmentation de la distribution des dividendes ne serait donc selon lui ni inquiétante, ni scandaleuse.
9. Enfin, cerise sur le gâteau, les entreprises distribueraient des dividendes en fonction de ce que recevraient effectivement les actionnaires après impôt, une hausse de la fiscalité sur ces dividendes augmenterait donc mécaniquement la distribution de ces derniers.
La proposition 9 est pourtant en totale contradiction avec le théorème Manière : cette dernière affirmation impliquerait que les entreprises distribueraient des dividendes en fonction des revenus net des actionnaires et seraient donc totalement déconnectés des bénéfices des entreprises, nous appellerons cette réflexion le second théorème de Manière.
Monsieur Manière, qui ne semble pas à une contradiction près, réfute 4 minutes après qu'il l'ait énoncé son propre théorème sur la distribution des dividendes, théorème qui sert de base à l'ensemble de la démonstration qu'il tente de faire lors de sa chronique.
On appréciera à sa juste valeur un tel retournement de veste : changer de cadre théorique lorsque celui-ci ne convient plus à sa ligne politique, preuve d'un remarquable esprit scientifique.
On sera cependant surpris que monsieur Manière ne poursuive la réflexion qu'il initie avec le second théorème de Manière : si les actionnaires ont au moins en partie la capacité de faire distribuer aux entreprises le montant de dividende qu'il leur sied, quelles conséquences cela pourrait-il bien avoir sur l'économie réelle ? Une piste de réflexion est sans doute à aller chercher chez ces économistes lillois qui apportent une réponse qui est un quelque peu plus documentée.
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/CORDONNIER/49354
Pour conclure, si je devais présenter l'idéologie économique de Philippe Manière, je dirais que c'est avant tout la manière dont l'économie devient idéologique...
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