PIB, énergie et le dogme de la croissance
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Résumé
Dans un précédent article, nous avons montré que la croissance passée un certain seuil de développement était structurellement impossible. Vouloir tout de même continuer la croissance expose le système économique à des dysfonctionnements de plus en plus nombreux jusqu'à que ces derniers provoquent son effondrement. Le présent article établit un lien entre la croissance et l’énergie. Plus on souhaite de la croissance, plus on a besoin d’énergie et plus les contraintes énergie/climat deviennent importantes et ceci en vain car au final aucune richesse n’est créée, la croissance ne génère que de l’inflation sur des produits que seule la population riche peut s’offrir. La croissance devient la source des contraintes énergie/climat qui s’abat en premier sur les populations les plus démunies.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La croissance est le problème, pas la solution !
Si on aborde la problématique du PIB et de la croissance sous un aspect énergétique ce qui est physiquement une évidence car tout dépend, in fine, de la transformation de l’énergie, Jean-Marc Jancovici[1] propose l’équation suivante :
Croissance du PIB par personne = Augmentation annuelle de l’efficacité énergétique du PIB + Augmentation annuelle de la consommation d’énergie par Personne
La croissance du PIB est donc corrélée à l’augmentation toujours croissante de la consommation énergétique et de l’efficacité énergétique. Mais pour Jancovici, « comme, pour le moment, le pétrole domine le système énergétique mondial de la tête et des épaules, fournissant plus de 40% de la consommation d'énergie finale de l'humanité, et que les prix des autres énergies sont assez fortement asservis à celui du pétrole, cette corrélation économie-énergie est "encore meilleure" si on la limite au cas du pétrole[2] ». Or Jancovici constate que l’augmentation de la consommation diminue à partir de 1974 pour tendre vers 0 vers les décennies suivantes. Par conséquent, il en conclue que la croissance du PIB n’est plus physiquement possible de nos jours. Mais il va plus loin dans son analyse puisqu’il écrit que cette baisse tendancielle de la hausse de la consommation peut être reliée aux dysfonctionnements économiques constatés : « dette croissante, chômage irréductible, bulles spéculatives à répétition[3] » et il en déduit donc qu’il ne faut pas écarter le facteur déterminant de l’énergie dans l’origine des crises. Jancovici résume cet aspect en disant que « Ce n’est pas la crise économique qui fait baisser la consommation, c’est la contrainte sur le pétrole qui crée la crise économique[4] ».
Cette analyse ne tient pas car si la corrélation est incontestable, il y a en réalité deux facteurs qui expliquent cette corrélation :
- Le premier facteur, nous l’avons exposé lors d’un premier article qui montrait qu’un système économique développé ne peut plus croître et ce, indépendamment des ressources à sa disposition, à partir du moment où la richesse créée est équitablement répartie. Par conséquent ce système devient structurellement moins consommateur d’énergie puisque l’argent injecté dans le système ne produit pas plus de biens et de services mais de l’inflation. C’est le combat contre l’inflation qui va permettre de faire repartir la croissance mais pour un petit nombre qui va consommer plus d’énergie tandis que la grande majorité de la population augmentera peu sa consommation énergétique[5]. Ce facteur explique la raison pour laquelle la consommation d’énergie à commencer à baisser dans les années 1970 pour les pays développés. Ce n’est pas la baisse tendancielle de la hausse qui explique la crise qu’a connu les années 1970 mais bien le fait que le système ne pouvant plus croître réduit de lui même la hausse de sa consommation énergétique.
- Le second facteur qui explique la corrélation est qu’il y a un moment donné où le système riche se rend compte qu’il ne pourra plus accroître ses gains dans une bulle qu’il a contribué à créer en surinvestissant. Dans le graphique (fig. 1) donné par Jancovici pour les deux dernières crises (crise des NTIC et crise des subprimes qui sont analysées sur ce Wiki), la chute de la consommation de pétrole précède la chute du PIB. Ne pouvant accroître ses gains, le système riche arrête ses investissements, cet arrêt provoque une baisse de la consommation de pétrole, mais cette baisse ne génère pas encore de crise, le PIB n’est pas encore impacté. En effet, dans un premier temps, il ne monte plus mais il ne décroît pas. Par la suite, lorsque les pertes se concrétisent, actant l’entrée en crise, alors il y a une baisse du PIB. C’est bien le comportement du système économique qui est déterminant et non la disponibilité de l’énergie.
Fig. 1 : Source http://www.manicore.com/documentation/energie.html
D’ailleurs Jancovici admet que la crise de 1929 ne peut pas être expliquée par la non possibilité d’accroître la consommation énergétique. Pour lui cette crise est de nature différente de celles qui surviendront après les trente glorieuses. En réalité, il n’en n’est rien et les crises ont toutes en communs les mêmes fondements, c'est-à-dire une trop grande expansion du crédit par rapport aux richesses créées. Ce qu’avait parfaitement compris Ludwig von Mises[6] puisqu’il a écrit : « Il n’y a aucun moyen d’éviter l’effondrement final d’un boom provoqué par une expansion du crédit. L’alternative est de savoir si la crise doit arriver plus tôt, par l’abandon volontaire d’une expansion supplémentaire du crédit, ou plus tardivement, comme une catastrophe finale et totale du système monétaire affecté ».
En revanche, il est clair que dans l’avenir l’enchérissement inévitable de l’énergie sera un facteur aggravant des crises car lorsque les systèmes pauvres vont être touchés par des pertes de contrepartie[7], il en ira de leur survie, car il ne pourront plus se payer des biens fondamentaux comme des soins ou pire un apport nutritionnel adéquat. Et compte tenu des dérèglements climatiques qui risquent à l’avenir d’être de plus en plus fréquents les pertes de contrepartie affectant les systèmes pauvres risques de se multiplier. Alors d’importants troubles sociaux sont à prévoir, comme cela c’est passé pour certains pays arabes où les contraintes[8] énergie/climat de 2010 ont joués un rôle de catalyseur sur des systèmes aux innombrables dysfonctionnements. La disponibilité énergétique ainsi que par extension la raréfaction des matières premières vont désormais jouer un rôle considérable[9].
En résumé ce sont bien en premier facteur les structures des systèmes économiques qui sont à l’origine des dysfonctionnements. Ainsi si les décideurs font tout pour favoriser la croissance alors la conséquence est un épuisement de l’écosystème et une continuelle augmentation des inégalités ce qui finit par provoquer l'effondrement du système sous le poids des dettes. Ainsi et en reprenant la phrase de Fréderic Lordon, "Si vous voulez changer les comportements, changez les structures qui déterminent ces comportements" ce sont bien les structures économiques qu’il convient de changer en priorité, à commencer par la reprise en main de la création monétaire par les Etats afin de la contrôler de manière à pouvoir renoncer au dogme de la croissance. La croissance étant le problème, pas la solution !
[1] Ingénieur, spécialiste du climat et de l’énergie, site internet www.manicore.com et plus particulièrement http://www.manicore.com/documentation/energie.html pour ce qui est du lien PIB vs énergie.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Conférence à l’ENS, « Gérer la contrainte carbone, un jeu d’enfant ? » disponible sur le net.
[5] Hors consommation finale des personnes le système consomme également plus d’énergie du à la multiplication du travail nuisible consécutif à l’exacerbation de la concurrence (publicité, marketing, big data, etc.)
[6] « Human Action », Ludwig Von Mises, 1949 (chapitre XX, section 8).
[7] Les « pertes de contreparties » se définissent comme la perte des fruits de son travail quelque que soit la raison de cette perte voir pour approfondissement l’ouvrage « L’économie et la compréhension profonde des crises » disponible sur http://lois-economiques.fr.
[8] Ces contraintes ont de multiples facteurs, la Russie a connu une période de canicule ce qui a réduit sa production de céréales, tandis que l’Australie a connu une période de sécheresse et le surplus de production des USA en maïs est destiné au biocarburant (10% de la production mondiale de céréales va désormais au biocarburant). Cela a provoqué un doublement des prix des céréales sur les marchés mondiaux qui a touché des pays comme la Tunisie qui importe la moitié des céréales qu’elle consomme et l’Egypte qui en importe le quart. Ces pays compte tenu des conséquences de la crise de 2008 n’avaient pas les moyens budgétaires d’y faire face. Les populations qui se sont trouvés au bord de la famine se sont révoltées. Les populations, et c’est ce qui c’est passé pour la révolution française de 1789, se révoltent toujours avant de connaître la famine car lorsque la famine s’abat sur les populations, elles n’ont plus la force de se révolter.
[9] C’est pour cette raison que Jancovici est pour le nucléaire, il met en balance les risques maîtrisés de cette technologique en balance face aux risques non maîtrisés de la pénurie énergétique et des dérèglements climatiques. Les conséquences d’une possible pénurie énergétique sont pour lui supérieures aux risques nucléaires même en tenant des accidents possibles voir son intervention au Sénat : Commission d'enquête sénatorial sur le coût réel de l'électricité disponible sur le net. La France qui dépend à près de 100% de l’extérieur en ce qui concerne les énergies fossiles et donc dans une situation de grande vulnérabilité sur cet aspect.
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON