Plaidoyer pour un nouveau modèle européen de croissance économique
Pour sortir de la crise économique, le président des États-Unis a choisi deux axes principaux : assainir le système financier par une régulation renforcée, et miser sur la recherche et l’innovation. Le projet de budget 2010 qu’il envisage est le plus ambitieux jamais proposé dans ce domaine. Et l’Europe ?

“Les investissements dans la science et la technologie nourrissent la croissance économique, crées des millions d’emplois à hauts salaires dans les hautes technologies qui permettent aux travailleurs américains d’être les leaders de l’économie mondiale, d’améliorer la qualité de vie de tous nos concitoyens, et de renforcer notre sécurité nationale.” Voici les mots de Barack Obama pour justifier un investissement sans précédent : 60 milliards de dollars pour les énergies propres, le doublement du budget de la recherche fondamentale sur 10 ans, 10 milliards de plus pour la recherche biomédicale, d’innombrables initiatives sur les technologies du futur, tripler le nombre de diplômés en science…, la liste des mesures proposées est spectaculaire (voir ici).
Et chez nous ? 2009 est censée être l’Année Européenne de l’Innovation. Sans un euro de plus… Faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 », tel était l’objectif formulé par le Conseil Européen de Lisbonne en Mars 2000. Cette formule était complétée deux ans plus tard lors du Conseil de Barcelone par la volonté d’augmenter l’investissement dans les activités de recherche et de développement à hauteur de 3% du PIB d’ici 2010 (dont les deux-tiers par le secteur privé).
Début 2009, quel est le constat ? Une prévision de croissance négative pour la zone euro, une courbe de l’investissement en R&D par rapport au PIB qui a l’allure d’un encéphalogramme plat depuis 2000, et pas un seul plan européen de relance digne de ce nom en vue… A qui la faute ?
A des problèmes structurels ? Pas totalement faux. L’Europe peine à résoudre toute une série de contraintes qui pèsent sur son économie, comme l’avait mis en exergue le rapport d’étape présenté en 2005 par l’ancien premier ministre Néerlandais Wim Kock. Le brevet européen joue toujours l’arlésienne, les fiscalités hétéroclites servent aux pays européens à se battre entre-eux plutôt qu’à servir l’Union, bien des pays européens demeurent à la traine en matière de dépense par étudiant pour les études supérieures, le système de financement par contrat de la Commission est décourageant pour les PME etc. Mais il faut aussi être réaliste : les autres pays aussi ont leurs problèmes structurels, la réalité est que recherche et innovation n’ont jamais été une priorité que dans les paroles de la majorité des gouvernements nationaux, malgré les propositions de la Commission et du Parlement Européen.
Aux politiques ? L’argument est facile, et là aussi partiellement valide. Les timides avancées politiques contenues dans le projet de constitution ont été remisées au placard depuis l’échec du référendum en France, aux Pays-Bas et en Irlande, et l’heure est au statu quo. Pas question pour un responsable de proposer un pas en avant dans la construction européenne, de peur de perdre quelque avantage acquis et de passer pour traitre en son pays. Peut-on le leur reprocher ? Il faut être un politique bien courageux pour oser braver une opinion publique apparemment devenue eurosceptique. Ainsi, tout effort accru en faveur de l’innovation ou d’une harmonisation fiscale a été étouffé par la volonté de maintenir un budget européen inchangé et de défendre la compétitivité de chaque économie nationale au détriment de celle de l’Union tout entière.
En réalité, l’échec de l’objectif de Lisbonne est sans doute dû à une erreur originelle : on a voulu transposer en Europe un modèle à succès outre-Atlantique sans appréhender l’intégralité du système.
Le principe était bon : favoriser l’innovation, pour favoriser la compétitivité des entreprises et donc la croissance. Il était devenu évident que l’Europe ne pouvait pas uniquement jouer sur ses entreprises traditionnelles pour sa croissance : il fallait donc transformer son économie vers une économie de la connaissance pour rester dans la course, et la gagner. Le seul problème est qu’un écosystème favorable est nécessaire pour que l’innovation se développe et soit synonyme de croissance.
En schématisant, le modèle de Lisbonne proposé en 2000 se fondait sur le principe qu’un effort de recherche publique substantiel, d’environ 1% du PIB de chaque pays, et quelques réformes structurelles et fiscales pour faciliter l’investissement privé dans l’innovation et la croissance des entreprises innovantes, inciteraient les entreprises privées à prendre le relais de l’effort public, qu’elles investiraient massivement dans la R&D, innoveraient, et tout serait dit. Et là, patatras… Jamais les entreprises privées Européennes n’ont investi les 2% restant (pour atteindre ces fameux 3%), les entreprises innovantes sont demeurées petites, ou ont périclité, et n’ont donc pas enclenché ce moteur de croissance que tous espéraient.
Que s’est-il passé ? Le plus souvent, on a pointé du doigt un mauvais savoir-faire Européen en matière de transfert de technologie, du public au privé, de la recherche à l’innovation. Et de souligner la différence avec ceux qui réussissent, universités américaines, clusters etc.… Sans être tout à fait inexact, il s’agit là en réalité d’un élément mineur. Car on a oublié que le principal élément qui incite les entreprises à investir dans la recherche, et à innover, c’est la demande…
Les marchés américains ou japonais (et maintenant chinois, indiens et brésiliens par exemple) sont d’immenses demandeurs d’innovation. Cette demande provient des différentes composantes de la société, que ce soit l’État (pour la sécurité par exemple), le particulier (des équipements électroniques, de nouveaux traitements médicaux), les autres entreprises (services informatiques) etc.… Cette demande interne permet aux entreprises nationales de prendre des risques, favorise la création de petites entreprises innovantes qui vendent des solutions aux grandes, ou qui peuvent elles-mêmes croître grâce à ce marché, puis exporter. Et ce mécanisme dynamique produit donc de la croissance, dont les bénéfices peuvent ensuite être réinvestis par l’État dans la formation, la recherche etc., une dynamique soulignée dans un rapport présenté en 2006 par l’ancien premier ministre finlandais Eske Aho.
Or, quel est le marché intérieur européen ? Quelle est la demande d’innovation européenne ? Ce marché est intrinsèquement lié à notre spécificité culturelle. Peut-on imaginer transposer en Europe la demande et donc le marché sécuritaire américain ? Combien de pays européens seraient prêt à dépenser pour leur sécurité (pas uniquement militaire) ce que dépensent les États-Unis ?
Notre société européenne est-elle moins demandeuse d’innovation ? Non, certainement pas, mais elle est demandeuse d’innovation dans d’autres domaines, qui sont largement lies au vivre mieux, à la qualité de vie. Transports, habitat, environnement, système de santé, alimentation de qualité, autant de domaines gourmands en innovation qui constituent notre propre demande intérieure. Et dans lesquels on retrouve parfois des sociétés européennes en bonne santé et exportatrices, mais qui n’ont souvent pas le même coup de pouce de la part des États, sous la forme de contrats publics ou de régulations favorables, que peuvent l’avoir leurs concurrents sur d’autres marchés.
Cette réalité, l’administration américaine l’a parfaitement intégrée dans son plan de relance : l’accroissement massif de l’investissement public pour la production de savoir (institutions et programmes de recherche) est complété par une série de mesures budgétaires destinées à booster la demande dans les domaines innovants que les États-Unis considèrent comme stratégiques : sécurité, aéronautique et espace, santé, énergie propre… Au niveau Européen, on en reste au stade des belles paroles : pas un euro de plus pour le budget européen de la recherche, et aucune mesure financière pour le développement du marché de l’innovation (l’initiative de la Commission Européenne sur les marchés innovants n’est pas financée et ne comporte que des suggestions de libéralisation des marchés…). Quant à la France, sur les 26 milliards d’euros du soi-disant « plan de relance », seuls 730 millions sont plus ou moins liés à la recherche et à l’innovation… Une goutte d’eau qui sera sans effet. Pire, la récente réforme du système de financement public des entreprises innovantes (fusion de l’ANVAR avec OSEO) a donné le contrôle de ce système aux financiers, qui privilégient la rentabilité à court terme au détriment des entrepreneurs innovants qui prennent des risques…
Cette crise économique profonde qui nous touche est aussi une opportunité unique de réformer notre modèle de croissance sur des bases plus durables. En réintégrant la demande pour l’innovation dans son modèle de croissance (Small Business Act, grands projets technologiques etc.…), et en tenant compte de sa spécificité culturelle et sociétale, l’Europe pourrait relancer son écosystème d’innovation et sa croissance sur des bases solides, et retrouver une véritable ambition économique face à ses principaux concurrents. Les tergiversations actuelles, et l’absence de projet réellement européen de relance rendent hélas cette ambition peu crédible, et il est à craindre que ce sujet ne figure pas parmi les priorités des partis politiques français lors des prochaines élections européennes, à part peut-être au Mouvement Démocrate.
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