Pour en finir avec la vision archaïque du patronat : renforçons les droits des actifs au lieu de les diminuer
Depuis trois ans, le Medef est devenu extrêmement offensif pour remettre en cause le modèle social français, pour réclamer des baisses d’impôts et de cotisations sociales, pour exiger la remise en cause du droit du travail. S’appuyant sur son vaste réseau de médias et d’économistes, il prétend cogérer l’État en imposant la réduction de la protection sociale, le report de l’âge de la retraite, la baisse des dépenses publiques. Oubliant leur responsabilité dans la crise financière (avoir laissé les marchés financiers imposer des rentabilités excessives aux entreprises, avoir laissé les banques spéculer sur les marchés au lieu de développer le crédit aux entreprises, ne pas avoir réagi face à la globalisation financière qui plonge les économies dans l’instabilité, avoir organisé la délocalisation de l’industrie, avoir accepté le démantèlement de la politique industrielle française, etc.), le patronat et la technocratie ont trouvé des coupables : les salaires excessifs des salariés (en particulier des salariés à bas salaires) et le droit du travail. Ainsi, le Medef s’est lancé dans une campagne agressive : seuls les chefs d’entreprises seraient productifs et innovants ; ils doivent être les seuls maîtres à bord. Ils ne créeront des emplois que si leurs exigences sont satisfaites.
Ayant renoncé à impulser un nouvel élan productif, à engager une rupture écologique et sociale, le gouvernement cède à cette campagne : baisse de 40 milliards des impôts et cotisations des entreprises, financée par une baisse des dépenses publiques, aujourd’hui remise en cause profonde du droit du travail.
Mais, on le voit depuis deux ans, cette stratégie est illusoire ; le chômage n’a pas reculé. Les politiques d’austérité brident la demande de sorte que l’emploi ne repart guère ; les réformes déjà actées du droit du travail n’ont fait que multiplier le nombre d’emplois précaires. Du point de vue même du patronat, leurs projets sont sans issue : le profit des entreprises ne peut se redresser dans une économie en dépression ; un système qui encourage les emplois précaires et mal payés ne permet pas la montée en gamme ; l’instabilité et la rapacité de la finance jouent contre la production. Comment mobiliser les salariés dans les entreprises en réclamant le droit de les licencier sans justification ? Faut-il évoquer la crainte du coût du licenciement pour expliquer que les entreprises se refusent à embaucher et même à se développer, alors que cette crainte n’a guère joué entre1998 et 2002 où l’emploi en France a augmenté de 10 % ?
Aujourd’hui, un nouveau pas est franchi, par le projet de réforme du droit du travail, ce projet accepte les points forts de la campagne du patronat : c’est la lourdeur du Code du travail qui serait responsable du chômage ; il faudrait sécuriser les licenciements (c’est-à-dire les faciliter) ; il faudrait permettre à chaque entreprise de faire son propre droit. Dans chaque entreprise, le patronat pourra essayer de faire passer son droit, avec ses règles en matière de temps de travail, de licenciements, de représentation des salariés, de remise en cause des salaires, etc. Les entreprises seront incitées à se concurrencer par le bas (en dégradant la situation des salariés), cela à l’intérieur même de chaque branche. Simplification, non, car, en cas de conflit, les tribunaux devront juger selon des accords spécifiques à chaque entreprise, dont ils devront évaluer la légalité.
Il s’agit bien d’une rupture majeure. La stratégie est claire : sous prétexte de lutter contre le chômage, il s’agit d’imposer aux salariés (globalement ou individuellement) de fortes baisses de salaire, des hausses de la durée du travail et la dégradation de leurs conditions de travail et de leur statut.
L’inspiration du projet de loi est purement néolibérale : il s’agit de détruire le modèle social sous prétexte d’améliorer le fonctionnement économique. Il s’inscrit dans la droite ligne de la voie suivie en France depuis trois décennies et qui n’a conduit qu’à la montée de la précarité, sans empêcher le gonflement des chiffres du chômage. Il repose sur le credo, sans fondement empirique, selon lequel l’affaiblissement du droit des salariés conduit mécaniquement à des hausses du nombre d’emplois. Il tourne le dos à l’intervention des salariés dans la gestion des entreprises, qui est pourtant un élément essentiel du « modèle allemand » tant vanté. Il part du postulat que la seule compétitivité qui vaille est la compétitivité-prix et que cette dernière ne peut être obtenue que par la flexibilité des salaires et des emplois. Il propose comme seul horizon économique la concurrence par le bas. Ce texte de loi cède à toutes les revendications du patronat en espérant qu’il aura la bonté d’investir en France, comme si le déterminant unique de l’investissement était le coût et la flexibilité du travail, comme si la qualité des infrastructures et l’état du carnet de commandes ne jouaient aucun rôle.
En créant une forte incertitude sur la stabilité des emplois, en faisant pression sur le niveau des salaires, ce texte est de nature à aggraver encore le problème d’insuffisance de la demande, que la crise financière puis les politiques d’austérité ont creusé en France et en Europe.
Qu’il s’agisse de leurs droits individuels (tels que stipulés dans les contrats de travail) ou de leurs droits collectifs (tels que ceux des comités d’entreprise), les droits des salariés doivent aujourd’hui être améliorés. Des entreprises dynamiques, économes en ressources matérielles, innovantes et tournées vers une production d’utilité sociale ne sont guère envisageables si les salariés, individuellement comme collectivement, ne sont pas confortés dans leur place, si une réelle autonomie ne leur est pas donnée, et si leur initiative n’est pas véritablement libérée ni comptée comme un facteur de dynamisme. Le contrat à durée indéterminée à temps complet doit redevenir une norme partagée. C’est le symbole de l’investissement nécessaire des entreprises dans leurs salariés, comme des salariés dans leur entreprise. Il favorise l’inscription des salariés dans les collectifs de travail, et celle des collectifs dans la durée. Il contribue à soutenir la consommation et l’investissement. Les emplois doivent être sécurisés, en limitant l’usage des emplois atypiques à des situations exceptionnelles bien définies et collectivement négociées. Ce n’est pas avec des salariés précaires et jetables que les entreprises peuvent développer de bonnes pratiques et être compétitives. De même, il faudrait limiter très fortement le recours à la sous-traitance, qui fragmente le salariat et fait travailler certains salariés dans des conditions indignes en termes de statut, de carrière, d’horaires et parfois même de sécurité.
Les entreprises doivent avoir le souci de la promotion de l’ensemble de leurs salariés. Il leur revient en particulier de limiter les emplois pénibles et de mettre en place des évolutions de carrière assurant qu’un travailleur n’occupe de tels emplois que pendant un nombre limité d’années. La santé au travail, comme l’adaptation des salariés au changement technique, doivent devenir une préoccupation cruciale des entreprises. Les syndicats doivent imposer ces sujets dans les accords d’entreprise. Que les entreprises se préoccupent de maintenir et de développer les qualifications de leurs salariés, plutôt que de les exploiter au maximum, quitte à les envoyer au chômage quand ils deviennent moins efficaces, est un élément de la compétitivité globale de la nation.
Tous les actifs doivent être protégés par une véritable « sécurité professionnelle » qui assure que leurs droits sociaux soient maintenus quand ils changent d’entreprise ou quand ils connaissent une période de chômage.
L’érosion du salariat par l’ubérisation ou par le statut d’auto-entrepreneur conçu comme report des risques sur le prestataire de services, en lieu et place des garanties apportées par les conventions collectives, doit être combattue. Il convient d’intégrer ces nouvelles formes de travail dans les protections du droit du travail, de socialiser la protection de ces travailleurs qui sont en réalité de faux indépendants. Quant aux formes flexibles et intermittentes d’activité, comme elles existent déjà notamment dans le monde de la culture et du spectacle, elles doivent être mieux organisées socialement. Il faut, à travers les parcours individuels, sécuriser l’accès aux prestations sociales (maladie, retraite, chômage…) et pour cela définir des formes appropriées de cotisation et de fiscalisation des personnes et des institutions concernées.
Au lieu du catalogue de mesures nostalgiques d’un temps où le travail n’était pas ou peu protégé, une telle ambition aurait pu et dû constituer une dimension importante d’un code réformé pour faire face aux besoins d’aujourd’hui. En choisissant de se concentrer sur des attaques du droit existant, au lieu d’affronter les défis qui se posent aujourd’hui, le projet de loi révèle ce qu’il est : un ensemble de mesures régressives et passéistes.
Transmit par JMD, voir ses articles ici
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