Pour la semaine européenne de l’emploi des personnes handicapées, Julien Delamorte dénonce les accords handicap
Julien Delamorte, membre du APH-PP et du CNH (Conseil National au Handicap), à la veille de la SEEPH (Semaine Européenne de l’Emploi des Personnes Handicapées) du 13 au 19 novembre 2017, dénonce les « Accords Handicap ». A travers cet accord l’Agefiph transfert la « Mission Handicap » (recrutement, maintien dans l’emploi et la communication) à l'entreprise, en contrepartie elle alloue un budget correspondant à la contribution qu’il aurait dû payer si elle ne remplissait pas son obligation de quota des 6%. Plus le taux augmente et avoisine les 6%, plus la contribution donc le budget de la « Mission Handicap » diminue. C'est la raison pour laquelle le taux d’équilibre constaté entre l’emploi de personnes en situation de handicap et les dépenses de la « Mission Handicap » avoisine les 3%.
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Afin d’encourager l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, dont le taux de chômage est deux fois supérieur au taux de chômage moyen, une obligation d’emploi de travailleurs handicapés (OETH) est instaurée depuis 1987 pour toutes les entreprises de plus de 20 salariés.
Malgré cette obligation, l'OCDE souligne que le taux d’emploi des personnes en situation de handicap s'élève en France à seulement 35% en 2016, contre 75% pour les personnes valides. Ainsi, trente ans après la mise en place de l'OETH, la mesure n’a pas eu les effets attendus.
Et pour cause, alors même que les personnes en situation de handicap représentent 12% de la population active, le quota d'obligation d'emploi pour les entreprises a été fixé à 6%. Ce qui revient à considérer que seule la moitié des travailleurs handicapés est employable !
Maintenir le quota au taux de 6% revient à considérer que seule 50% des travailleurs handicapés est employable ! Comment voulez vous que les handicapés ne se sentent pas discriminés ?
Pour porter à 100% l’employabilité des personnes en situation de handicap, il est nécessaire d'élever le taux de 6% à 12%. De cette façon, le taux d’emploi des travailleurs handicapés serait de 70% et avoisinerai celui des valides.
Quand une entreprise n’atteint pas le taux légal d'emploi de travailleurs handicapés, elle doit alors s’acquitter d’une taxe appelée « contribution Agefiph[1] ». Cette contribution est calculée en fonction du nombre de bénéficiaires que l'entreprise devrait employer au regard de ses effectifs. Toutefois, les entreprises peuvent être exonérées de cette contribution Agefiph si elles concluent des « accords handicap » prévoyant la mise en place d’une politique « globale » d’emploi et de formation de personnes handicapées.
Dans un premier temps, les entreprises ont annoncé rencontrer des difficultés pour atteindre le quota d'emploi des travailleurs handicapés (6% de leurs effectifs). Parfois en l'absence de personnes qualifiées correspondant au poste, parfois par manque d’engagement de l’entreprise en faveur du recrutement de salariés handicapées et parfois aussi par une volonté manifeste de l’entreprise. Au final, ce quota avoisine les 3%.
Outre l’emploi direct de travailleurs handicapés, d'autres solutions sont possibles depuis la loi sur l’égalité des chances de 2005, permettant de contribuer, en partie, à atteindre le taux de 6%. Ainsi, l’accueil de stagiaires handicapés, la sous-traitance auprès du secteur adapté et protégé peuvent être pris en compte par l'Agefiph et permettent de contribuer, selon des plafonds définis, à l’obligation d’emploi.
Aujourd’hui, la plupart des entreprises TPE/PME ont atteint les 6%. Pourtant, ces entreprises des secteurs public et privé n’ont pas conclu « d'accord handicap ».
Alors que les accords handicap devaient renforcer l’employabilité et l’inclusion des travailleurs handicapés au sein des grandes entreprises, pourquoi ces dernières n’arrivent pas à atteindre le taux légal d'emploi de 6% alors que les plus petites sans « accord handicap » sont plus en mesure de les atteindre ?
Si les entreprises ayant conclu des accords handicap avec l’Agefiph sont rares à atteindre le taux de 6% de personnes en situation de handicap, c'est en raison d'une politique volontaire de l’entreprise. Je m’en explique, l’accord handicap s’articule autour de quatre axes : l’embauche, l’insertion et la formation, le maintien dans l’emploi et la sensibilisation, la formation.
Pour remplir leurs objectifs, les cellules gestionnaires du handicap dans les entreprises, appelées « Mission handicap », bénéficient d’un budget correspondant en grande partie à la taxe que l'entreprise aurait dû s’acquitter auprès de l’Agefiph. Le fonctionnement budgétaire de la « Mission Handicap » est le même que celui de la sécurité sociale, tant qu’il y a des malades, il y a des remboursements de soins. Donc, si en fin d’année, la « Mission Handicap » dépasse le budget, les charges supplémentaires viennent directement s’imputer sur le résultat de l’entreprise ayant l’accord handicap.
Sont financés dans le budget de la mission handicap, les frais de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap comme par exemple les frais de prothèses pour une personne atteinte d’une déficience auditive. Si le quota des 6% est atteint, l’acquisition des frais de prothèses vient amputer le résultat du groupe. Ainsi plus le taux de personnes handicapées dans l’entreprise augmente, plus les dépenses de maintien/sensibilisation et de formation croissent. Le taux d’équilibre constaté entre l’emploi de personnes en situation de handicap et les dépenses liées à la mission handicap avoisine les 3% de travailleurs handicapés. Bien loin des 6%.
Aucune entreprise bénéficiant d’un accord handicap n’a intérêt à financer et à atteindre le quota des 6% au risque de diminuer le résultat comptable du groupe.
Alors que l’objectif des 6% n'est pas atteint, les entreprises bénéficiant de l’accord handicap ne souhaitent pas perdre cet accord. Pourquoi ?
Sont aussi financés via le budget de la mission handicap, les frais de campagne de sensibilisation et de recrutement spécifique pour les personnes en situation de handicap. Ce qui permet de renvoyer une image plus responsable de l’entreprise, plus éthique, et donc un meilleur bilan RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) même s’il n’y a eu aucun recrutement. Ainsi la campagne de sensibilisation devient une campagne de visibilité et de notoriété pour l'entreprise payée par la « Mission Handicap ». C'est un détournement de fonds. Le pire étant que cette pratique est monnaie courante. In fine, les missions handicap, qui sont peu contrôlées par l’Agefiph, peuvent permettre aux groupes de bénéficier d'un budget de plusieurs millions d’euros.
C’est aussi la raison pour laquelle aucune entreprise ayant conclu un accord handicap n’aura de réelle volonté de recruter et d'atteindre le taux d'emploi légal de 6%. La solution face à ce fléau est très simple :
- Soit supprimer la possibilité de conclure des accords handicap qui constituent une perte de financement importante pour l’Agefiph et qui sont source d’abus d’utilisation des fonds. De plus, l’absence d’accord handicap dans les TPE/PME ne les a pas empêchées de recruter des travailleurs en situation de handicap ;
- Soit maintenir les accords handicap, mais :
- En instaurant des contrôles pour s’assurer que les budgets alloués sont bien utilisés dans l’intérêt des personnes en situation de handicap.
- En sanctionnant les abus d'utilisation des fonds pour d’autres missions sans rapport avec le handicap.
En augmentant le quota à 12%, taux représentatif de la population active française en situation de handicap.
L'inclusion des personnes en situation de handicap, et notamment le taux d'emploi de 6%, devrait aussi être applicable dans les partis politiques, le gouvernement ou encore dans la composition des listes électorales, à l'instar de ce qui existe pour les femmes.
12 millions de Français sont concernés par le handicap. Une part suffisamment colossale pour imposer un quota de personnes handicapées dans les listes électorales. En 2012, avant qu'il ne compose son premier gouvernement, j’ai adressé une lettre à François Hollande l'incitant à appliquer cette règle des 6%, soit deux ministres ! Et pas forcément délégués au handicap...
En 2015, j’ai également adressé un courrier dans ce sens au Conseil de l’Europe. Après plusieurs échanges, le 10 mars 2017, l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une résolution prônant l'instauration d'un quota d'élus handicapés dans les parlements des pays membres (article complet et résolution en lien : http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=23519&lang=FR).
"J'aimerais que le handicap ne soit plus reconnu comme tel ni comme un avantage mais simplement comme une situation de vie normale pour une présidence normale. "Pourquoi les engagements en faveur de la parité homme/femme ou la mixité culturelle ne seraient-il pas mis en œuvre pour le handicap ?"
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[1] L’Agefiph est l’association dédiée à l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Elle collecte les contributions des entreprises et vérifie si elles respectent leurs quotas.
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