Protectionnisme : quid de celui annoncé par Donald Trump ?
Le protectionnisme est une mesure prise par un pays pour restreindre ses importations, c'est-à-dire : restreindre de fait les exportations des autres pays.
Le protectionnisme est érigé pour des besoins d'ordre économique, idéologique et / ou politique, propres au gouvernement en place. Celui de D. Trump, dans le cas d'espèce, semble essentiellement politique et même électoraliste en vue du "midterm elections" du 6 novembre 2018.
Vieux comme le commerce en général et les échanges internationaux en particulier, le protectionnisme − la plupart du temps porteur de nationalisme doublé de conservatisme − a souvent été source de conflits. En effet, les importations des uns étant les exportations des autres, toute limitation des premières aura pour conséquence immédiate de limiter les secondes. Ainsi le résumait Adam Smith (1723-1790) en parlant de Colbert (1619-1683), ministre protectionniste et conservateur de Louis XIV : "Les Français sont particulièrement enclins à favoriser leurs propres produits [...] en limitant les importations de biens étrangers qui pourraient entrer en concurrence avec eux. [...]. Ce ministre, par le tarif douanier de 1667, a imposé des droits très élevés [...]. Lorsqu'il refusa de les modérer en faveur des Hollandais, ceux-ci interdirent en 1671 l'importation des vins, des eaux-de-vie et produits transformés de France. Il semble que la guerre de 1672 soit née de cette querelle commerciale. La paix de Nimègue y mit fin en 1678 [...]"1.
Outre la différence entre des régimes politiques au type d'économie opposé − libéral / communiste, autarcique / ouvert −, de nombreux arguments, généralement non spécieux, sont avancés pour justifier une protection érigée aux frontières. Souvent, il s'agit de protéger ou de sauvegarder une industrie naissante, une autre en danger imminent de fermeture ou bien un secteur stratégique lié à la défense nationale... ou encore à une tradition culturelle. Il peut aussi s'agir :
- de limiter une concurrence déloyale de produits fabriqués selon des conditions non respectueuses de telle ou telle norme sociale, sécuritaire, sanitaire, environnementale… voire même fiscale (subvention des exportations) ou monétaire (dévaluation / dépréciation compétitive d'une monnaie),
- d'améliorer les termes de l'échange du pays,
- de prendre une mesure de rétrocession contre telle ou telle nation, elle-même protectionniste.
Bref, l'imagination des politiques n'a pas de limite en matière de protectionnisme, et, paradoxalement, les personnes qui le prônent pour leur propre bénéfice entendent difficilement celles qui font de même 2.
Pour la paix… mais aussi pour que l'avantage comparatif (Cf. : David Ricardo (1772 - 1823)) puisse réellement s'exercer et que chaque pays ait la possibilité de développer ses productions grâce aux débouchés extérieurs, les gouvernements ont voulu élaborer des accords ayant pour objectif de lever les obstacles − droit de douane / taxe, quota, contingentement, norme, etc. − érigés en barrière de protection qui limitaient leurs échanges bilatéraux ou multilatéraux, substrats du commerce international, et aussi des créations d'emplois. Ainsi sont nés des accords âprement négociés de libre-échange, des zones régionales de libre circulation des marchandises (l'Union européenne, l'ALENA, du MERCOSUR, etc.), et des organisations internationales comme l'OMC (Organisation mondiale du commerce) remplaçante du GATT (General agreement on tariffs and trade).
Cela étant rappelé : quid du protectionnisme de Donald Trump ?
En voulant "protéger" les États-Unis de la concurrence extérieure, notamment sur l'acier et l'aluminium, et tenir ainsi l'une de ses nombreuses promesses de campagne, la décision de Trump lui-même − ses conseillers étant tous des incompétents, selon lui −, aura pour conséquences, outre d'engendrer de nouvelles tensions internationales, notamment :
- d'encourager d'une part, la pérennisation d'une production intérieure américaine de moins en moins compétitive 3, et d'autre part, des mesures similaires de rétrocession de la part des pays exportateurs d'acier et d'aluminium vers les États-Unis. Chez ces pays, les conséquences peuvent ne pas être négligeables, notamment en termes d'emploi et de croissance économique. Mais, plus ces conséquences seront analysées comme néfastes, plus les mesures de rétrocession, contre les produits américains, seront elles-mêmes importantes ;
- de détourner une partie du pouvoir d'achat des Américains, qui vont devoir consacrer une partie de leurs revenus à payer plus de taxes sur les produits manufacturés incorporants de l'acier et de l'aluminium. Mais aussi, et surtout, de provoquer des tensions inflationnistes, c'est-à-dire une hausse des prix. Cette hausse des prix aura pour conséquences : une diminution de la demande, donc une diminution du chiffre d'affaires de certaines entreprises américaines, in fine, une réduction de leurs emplois, avant d'éventuelles faillites ;
- de procurer à l'administration Trump, des recettes budgétaires supplémentaires, mais temporaires et illusoires, car, rapidement, la guerre commerciale engendrée poussera Trump − qui n'est quand même pas totalement idiot. Quoi que ! − à revenir dans le concert mondial des échanges internationaux. Échanges commerciaux soumis aux règles de droit commun, érigées et adoptées par la quasi-totalité de ses pairs : les pays participants à l'OMC.
De fait, la volonté protectionniste de Trump va lui montrer rapidement − si elle n'est pas déjà morte dans l'œuf − qu'elle est, in fine, une démarche perdant / perdant. En effet, comme l'écrivait l'Américain d'adoption, Thomas Paine (1737-1809) : "[...] la prospérité de toute nation marchande est réglée par la prospérité des autres." 4
Dans son repli sur elle-même, l'Amérique va à l'encontre de ses intérêts de 1ère puissance économique mondiale. Mettre des protections à ses frontières n'est pas la solution pour limiter la croissance économique des autres pays, et notamment de la Chine. Bien au contraire ! La Chine, qui sera, dans une douzaine d'années, la 1ère puissance économique de la planète. Quelle sera alors la réaction américaine si un néo-Trump est président : politique ou militaire ?
1. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. 2 "restrictions à l'importation", page 480, éd. Economica).
Smith en déduit que la liberté du commerce entre les pays est non seulement source de croissance économique grâce à la division du travail, mais aussi porteuse de paix.
Mais, pour rester objectif, et bien qu'il soit le seul économiste nobélisé à avoir un tel sentiment sur le sujet, le français Maurice Allais (1911-2010) écrit : "Le véritable fondement du protectionnisme, sa justification majeure et sa nécessité, c'est la protection indispensable contre les désordres et les difficultés de toutes sortes engendrées par tous les dysfonctionnements de l'économie mondiale. Ce principe a d'ailleurs une validité universelle pour tous les pays ou groupes de pays" (La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance. p. 40, éd. Clément Juglar).
2. "Les perdants de l'accroissement des échanges internationaux sont les avocats infatigables du protectionnisme sous forme de droits de douane et de quotas" (P.A. Samuelson (Nobel 1970) et W.D. Nordhaus, Économie, p. 32, éd. Economica).
3. Au Brésil, une loi de 1984 visait à protéger l'industrie informatique naissante en interdisant l'emploi d'ordinateurs non brésiliens dans les entreprises [...]. Cette loi sera abrogée en 1992 après avoir été reconnue comme une "tragédie" pour la modernisation de l'activité économique du pays absente de la révolution des premiers pas de l'économie numérique. Ses méfaits ont été estimés à plusieurs milliards de dollars américains. Depuis la fin de ce "nationalisme insensé" (dixit madame Zélia Maria Cardoso de Mello, ministre de l'Économie (1990-1991)), le Brésil a bien progressé…
4. Les droits de l'homme, p. 306, Édition Belin, Paris, 1987.
Crédit photo : contrepoints.org (croquis légérement modifié par A. Fay)
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