Qu’attendre de la bourse avant les élections présidentielles des États-Unis ?
La Réserve fédérale des États-Unis se livre à une véritable campagne de presse pour faire croire qu’elle va augmenter son taux d’intérêt, mais son activité médiatique est aussi efficace qu’une véritable hausse de son taux. Va-t-elle vraiment l’augmenter tout de même ? Peut-être, mais pas tout de suite !
Un de mes amis lecteurs m’a demandé ce que je pensais de l’évolution des marchés boursiers d’ici l’été et les élections présidentielles des Etats-Unis. Quelle responsabilité ! Je lui ai répondu ceci, avec précaution :
Que voilà une question embarrassante, mais si excitante dans cette période incertaine !
Les marchés boursiers se trouvent au croisement de plusieurs problématiques : la campagne présidentielle, les taux d’intérêt, l’inflation, la crise des subprimes, les autres banques centrales, la psychologie et la stratégie des investisseurs, le chômage et les possibilités de crédit. Chacune de ces problématiques étant elle-même fonction de chacune des autres.
Pour arriver à formuler des pronostics sur l’étroite période de l’été, il faudrait pouvoir réaliser une sorte d’intégration mathématique, qui déboucherait probablement, non sur une ou deux solutions « raisonnables », mais sur une zone de probabilités que l’on pourrait représenter par une surface à l’intérieur de laquelle se trouveraient toutes les solutions possibles de probabilité supérieure à, disons, 25 %.
Je me contenterai donc d’énumérer les paramètres qui me paraissent moteurs dans cette dynamique.
Tout d’abord l’impossibilité pour la Fed d’augmenter son taux interbancaire, car cette augmentation aurait trop de répercussions négatives sur l’investissement et le chômage, et donc aussi sur la consommation. Je pense que Bernanke et l’administration vont donc se contenter de maintenir un discours haussier sur le dollar pour maintenir une psychologie résiliente dans la population. Si cette hypothèse se réalise, il est possible que Trichet maintienne son 4 %. Mais il y aurait cependant place pour une hausse purement indicative de 0,25 portant ce taux à 4,25 %, tout à fait insuffisante pour contrer une inflation qui n’est pas simplement conjoncturelle, mais surtout structurelle.
Je note au passage que la tension sur les matières premières [dont pétrole], devrait se maintenir. En effet, pour le moment, la crise financière n’implique pas encore les pays du BRIC, si j’en crois les chiffres chinois, ce qui donne du poids à la théorie du découplage entre économies occidentales et économies en émergence, contrairement à l’opinion exprimée par Strauss-Kahn. La production industrielle de la Chine a en effet augmenté de 16,3 % pendant les cinq premiers mois de l’année, par rapport à la même période de 2007. Cette évolution tendancielle confirme l’involution de l’économie chinoise que je pronostique depuis deux ans. J’entends par là une lente décrue de son activité exportatrice, qui serait partiellement réorientée vers des développements intérieurs d’infrastructures et d’équipements. Ce que permet la structure mono-démocratique du pays.
Les importations des États-Unis à partir de la Chine ne devraient cependant pas décroître très vite, car le niveau de leurs coûts est toujours fort attractif pour les consommateurs états-uniens. Il est cependant à noter que les prix chinois ont augmenté de l’ordre de 8 % d’une année sur l’autre, à la fois en valeur nominale et en valeur de change. Les modifications intervenues en un an dans la structure du taux de change du yuan [rappelons que le taux de change du yuan n’est pas librement négociable] au détriment du dollar, associées à la baisse continue de la valeur de ce dernier ont débouché sur une perte de 9,75 % de la valeur du dollar en yuan de juin 2007 à juin 2008.
Pour rester dans le domaine du commerce extérieur, soyons conscients du fait que l’administration états-unienne n’a fait « mousser » la petite augmentation des exportations des États-Unis en mai que pour montrer l’intérêt de la baisse du dollar. Elle a cependant négligé d’évaluer son montant en valeur constante. Si elle l’avait fait, elle aurait dévoilé le fait que les exportations avaient en fait diminué d’une année sur l’autre en valeur réelle. De toute façon, le commerce extérieur des États-Unis reste monstrueusement négatif.
Parallèlement, le flux des capitaux entrés mensuellement depuis 2007 aux États-Unis a décru de 50 %, et ne compense plus le double déficit du pays [commerce extérieur et budget de l’État]. La Fed est donc contrainte d’émettre des dollars en continu, notamment pour dégager les secours qu’elle accorde aux banques états-uniennes affaiblies par la crise des hypothèques subprimes depuis le milieu de 2007. Les récentes pertes de Lehman Brothers et Morgan Stanley constituent autant de confirmations de l’augmentation considérable des liquidités en dollars sur le marché. La baisse du dollar va donc continuer, car l’illusion de la politique d’un dollar fort va nécessairement s’écrouler rapidement devant les faits. Je ne pense pas qu’elle puisse conserver son effet jusqu’aux élections présidentielles. Le temps qui reste à courir d’ici là me paraît trop long pour que la crédulité de l’opinion publique états-unienne ne défaille pas avant.
Alors, et les marchés boursiers dans tout ça ? Pour en évaluer avec sécurité la tendance à court terme, il reste à supputer la psychologie des acteurs. Pour moi, c’est l’inconnue la plus difficile à soupeser. La raison en est que l’opinion publique n’a pas encore intégré la réalité du déclin foudroyant des Etats-Unis. Ce pays est proche de la ruine, mais c’est une vérité à laquelle très peu de gens adhèrent. Lorsque j’en parle autour de moi, pourtant avec des arguments en béton, la réaction est toujours la même : « Mais, ce n’est pas possible ! » Cette conjoncture sociologique peut durer encore longtemps, en vertu d’un important phénomène d’hystérésis social.
Je ne suis d’ailleurs pas convaincu que les alliés des États-Unis, au niveau politique, se rendent eux-mêmes bien compte de ce qui est en train de se passer. Je crains qu’il ne veuille soutenir ce pays au-delà du possible, parce qu’ils croient que le monde a besoin d’un mentor, et qu’ils se demandent ce qui se passerait si son hégémonie disparaissait. Une intervention groupée des banques centrales occidentales n’est donc pas à écarter. Elle pourrait modifier la tendance actuellement forte de la déroute du dollar. Reste à savoir si une action de cette nature pourrait avoir un effet de longue durée. En effet, si de telles actions ont pu recueillir quelque succès dans le passé, la force de frappe des banques centrales a fortement décru depuis dix ou vingt ans, par rapport à celle que les marchés financiers ont eux-mêmes développées depuis.
En conclusion provisoire, je m’écarterais personnellement par prudence des marchés boursiers actuellement, et me porterais plutôt vers des achats d’or, en attendant de voir venir. L’or s’est mis à stagner sous les 900 $ l’once depuis quelque temps, mais c’était en raison de la liquidation progressive d’environ 400 tonnes d’or par le FMI pour faire face à ses besoins de liquidités (il perd de l’argent en ce moment). Lorsque ce paquet aura été liquidé, il est fort probable que l’or reprendra sa montée vers les 1 000 $, et sans doute au-delà.
Bonne chance à tous.
André Serra http://andreserra.blogauteurs.net/blog/
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