Haro sur Canto. Les mots n’ont pas été assez forts pour conspuer le king Eric accusé d’impudence pour avoir osé émettre une idée. Un ex footballeur qui pense quelle hérésie ! C’est oublier un peu vite que comme tout citoyen, il n’est pas moins légitime qu’un autre pour avoir un avis. Pour Paul Jorion toutefois, le syndrome Cantona est avant tout le symptôme d’une situation très dégradée d’une perte de confiance dans le système capitaliste et financier en particulier. La mise en garde de Jacques Delors à l’égard des banques dans l’entretien publié dans Le Monde du mercredi 8 décembre, prouve qu’il y a bien quelque chose qui cloche.
Le grand mérite de Cantona, celui qui lui vaut une volée de bois vert des élites est incontestablement d’avoir ouvert les yeux de beaucoup en rappelant que les consommateurs citoyens détiennent, sous réserve de coordination, un immense pouvoir entre les mains, celui de faire bouger les choses. Car les banques sont nues, incapables en raison du mode de fonctionnement du crédit d’honorer les demandes de retrait de leurs clients si elles étaient toutes formulées simultanément.
Le problème n’est pas l’existence des banques, évidemment utiles et nécessaires au fonctionnement de nos sociétés modernes, mais le détournement de leurs fonctions pour servir l’avidité d’une poignée d’individus.
Si le message de Cantona doit être affiné, recadré, il traduit une double exaspération et une aspiration. Un ras-le-bol des peuples à l’égard du creusement des inégalités et de l’impunité dont jouit le capitalisme financier mais aussi, une demande de voir émerger un capitalisme plus éthique.
Promises par moult Chefs d’Etat la réforme et la moralisation du système sont restées quasi lettres mortes au motif que, réglementer dans un seul pays pénaliserait la compétitivité l’industrie financière de celui-ci et, l’exposerait à des actions hostiles de groupes étrangers. Parallèlement, alors que les dispositifs de régulation peinent à émerger, une année à peine après avoir frisé l’infarctus, le système financier a tranquillement renoué avec des profits indécents.
La moralisation est pourtant possible si tous les déposants veulent bien se donner la main. Le citoyen doit reprendre le dessus sur le consommateur captif qu’il est devenu. Changer de banque pour un établissement plus vertueux est une esquisse de solution. Ce n’est toutefois pas la panacée car les idées coopératives et mutualistes ont largement été viciées par les pratiques de leurs homologues ordinaires et doivent être aujourd’hui réinventées.
Il faut créer le bio de la finance, séparer le bon grain de l’ivraie. La finance propre est solidaire doit être entourée de garanties, de contrôles efficaces, pour ne pas tourner à un simple attrape gogos de la part d’établissements habiles, faussement drapés de toutes les vertus.
Le tonnerre gronde mais les banques ne l’entendent pas. L’exaspération a des limites et précède des colères difficilement contrôlables. La situation pré-révolutionnaire évoquée par quelques-uns ne doit pas être prise à la légère. Il flotte bien un air de 1788 sur toute l’Europe avec son cortège de violences et de dérapages possibles.
L’Europe, Jacques Delors en est devenu un peu le père spirituel. Malgré les années qui s’empilent, l’ancien président emblématique de la Commission européenne reste un spectateur attentif et avisé de l’évolution de l’UE.
Rompant avec ses manières douces et courtoises, Jacques Delors lui aussi ne cache plus son irritation tant contre les banques qu’à l’égard des états membres de la zone euro incapables à ses yeux de gérer à travers une vraie coopération leur bien commun : l’euro.
L’ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Budget de François Mitterrand rappelle sans détour dans les colonnes du Monde que “Ce n’est pas aux banquiers qui ont reçu des Etats, comme prêts ou garanties, 4 589 milliards d’euros de dicter aux gouvernements leur comportements. La politique doit être l’ultime référence.”
A sa façon, Jacques Delors, qu’on ne peut accuser d’être un extrémiste ou un imbécile, défend l’idée qu’un autre capitalisme est possible et appelle à combattre le “capitalisme financier, celui qui a fait du marché et de la création de valeur l’alpha et l’oméga de la vie économique et qui a provoqué la crise mondiale“.