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Quelle est la valeur marchande d’un brevet déposé par un inventeur ?

C’est la question que se pose chaque inventeur lors du dépôt d’un brevet. Même si le coût du dépôt n’est pas significatif, la plupart sont tentés d’y répondre favorablement. Fort du temps passé à leurs travaux auxquels s’ajoutent certaines dépenses, beaucoup s’attribuent d’heureuses perspectives de rentrées financières. Si d’aventure ils étendent la protection du brevet à plusieurs pays, les frais s’élevant, ils réévalueront alors l’estimation.

Préjuger du prix d’un brevet est une entreprise hasardeuse. La valorisation financière d’un brevet n’existe qu’autant que lui est associé un produit ou un concept monnayable sur le marché. Rares sont ceux qui peuvent y prétendre. Sur 100 brevets déposés à l’INPI, seulement 0,7 % donnent lieu à des produits normés, accessibles au marché. De ce nombre, 60 % sont issus des Départements de Recherche de grandes entreprises, ces derniers disposant du temps et des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
 
Des conclusions s’imposent. La possibilité qu’un brevet « à l’état brut » présente une valeur marchande est infime, voire irréaliste. La possibilité qu’un brevet puisse se développer en dehors de structures d’accueil bien organisées, œuvrant sur le long terme, est pratiquement nulle. Rares sont déjà les PME qui peuvent y répondre. Encore moins des inventeurs agissant solitairement !
 
Si toutefois le brevet de l’un de ces derniers se voit reconnaître malgré tout une valeur marchande, le gain sera le plus souvent faible, couvrant tout juste les frais engagés. Exceptionnels sont les brevets dont l’acte de cession dépasse dix mille euros ! Lassés d’attendre, certains bradent leurs brevets à des structures de veille technologique dont la plupart ont partie liée avec des centres de recherche. D’autres lâchent prise, abandonnant leur invention au rayon des archives.
 
Cette situation bien connue est pourtant paradoxale. La majorité des inventeurs sont de « bonne foi ». La plupart dépose leurs brevets, fort de la conviction que leur apport participe de l’amélioration des techniques. Rares sont ceux qui s’y accomplissent à la légère comme en témoignent, notamment, les recherches d’antériorité ou les dossiers d’expertise joints aux dépôts.
 
Seulement voilà, trois problèmes bousculent leur enthousiasme : l’argent, le temps et la Loi.
 
Rechercher une valorisation marchande d’un brevet s’apparente à un chemin de croix. D’une étape à l’autre, les coûts sont lourds, incompressibles : les consultations, les planches d’essai, les validations techniques, l’installation d’une unité pilote, les référencements, la mise aux normes. Ces démarches se démultiplient si le produit est appelé à être exporté. Qui plus est, rien n’est jamais acquis. Chaque fois l’incertitude de ne pas franchir l’étape suivante demeure. Ce qui a été validé dans un Laboratoire peut être contesté dans un autre. Ce qui a été accepté dans une Région ne l’est pas toujours ailleurs. Du coup, le coût estimé se situe selon une palette large, toujours au delà de 100 000 euros et culminant jusqu’à plusieurs millions d’euros. De quoi rafraîchir les meilleures intentions ! Sauf exception, les inventeurs n’ont pas les moyens de leur ambition. Certains sollicitent l’aide publique, d’autres des concours privés. Rares sont les élus ! Si d’une manière générale les banques ne soutiennent pas ce genre d’initiatives, les institutions d’aide à la recherche de l’Etat et les capitaux risques ressemblent à un miroir aux alouettes. Livré à lui même, l’inventeur ne devra tenir compte que de ses seuls apports personnels et familiaux, en raclant ses fonds de tiroir, au besoin en hypothéquant ses biens immobiliers. Incapable de réunir les fonds nécessaires, la plupart des inventeurs se trouvent dans une sorte d’impossibilité d’agir.
 
Si donc une mise de fonds est possible, il faudra aussi à l’inventeur vivre entre deux et cinq ans, voire plus, sans rentrée d’argent mais en consacrant tout le temps nécessaire à la mise en place du projet. Celui ci est accaparant : élaboration de protocoles techniques, de procédures de mise en œuvre, de schémas de production, de fiches de sécurité, etc. Dès lors qu’il s’agit d’innovations complexes, ces documents peuvent prendre l’allure de thèse de recherche. Par ailleurs, l’inventeur devra nouer de nombreux contacts avec les acteurs du marché considéré : clients, distributeurs ou prescripteurs. Inévitablement, il affrontera un dédale de directions, d’organismes ou de comités censés vérifier le bien fondé de son invention. Parfois son honneur sera mis à l’épreuve. Face à des fonctionnaires dotés de pouvoir décisionnel, il devra faire profil bas, tolérer l’absence d’écoute, peut-être le mépris. Qui plus est, pendant cette période, la concurrence peut se faire entendre, aller plus vite, déjouer ses travaux et au final contrecarrer sinon étrangler ses ambitions. En cela, le dépôt d’un brevet est un piège. Porté à la connaissance de l’autre, il facilite la tâche d’entreprises adverses, notamment, celles disposant de moyens. Si ces dernières trouvent un point d’appui ou un angle différent au brevet d’origine, elles sauront faire respecter leur titre. Souvent liés à des Cabinets d’avocat spécialisés, peu rencontre d’opposition. De nombreuses sociétés de veille technologique américaines opèrent ainsi : prendre au vol des connaissances pour ensuite s’en approprier les bénéfices.
 
Souffrant de manque d’argent et d’un temps compté, une autre difficulté s’annonce, l’impact du corset réglementaire. Avec l’envahissement du motif de précaution, celui-ci est toujours plus contraignant, plus retors, se dissimulant dans les entrelacs d’arrêtés illisibles. Désormais, à tous les stades, l’inventeur devra montrer patte blanche, prouver que les applications issus de son brevet n’affectent pas l’environnement à court et à long terme. Pourtant rares sont les entreprises industrielles nées dans les années 50-70 ayant souscrit à de telles exigences. Du coup, aujourd’hui, le Droit d’entrée est encore plus lourd, plus couteux, plus imprévisible. Des nuits entières, l’inventeur devra démêler les fils d’une législation qui française qui européenne traque la moindre bévue. Si, malgré tout, après des années d’insomnie et de privations, sa technique accède au marché, il devra se méfier des mises en jeu de responsabilité, sujettes également à un constant raidissement législatif. A la moindre erreur industrielle, il se fera siffler ! A la moindre négligence, le couperet ! L’annonce alors de l’échec de la valorisation du brevet !
 
Aussi, à défaut d’une immense énergie, d’une inébranlable conviction, d’un goût au sacrifice et au risque, de moyens financiers conséquents, la valorisation d’un brevet défendu par un inventeur a peu de chance d’aboutir. Dans tous les cas, ce dernier est un homme seul, seul juge de la poursuite d’une entreprise incertaine.
 
François de la Chevalerie, entrepreneur
Yue Zhang, spécialiste en propriété industrielle
 

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5 réactions à cet article    


  • plancherDesVaches 30 octobre 2009 13:34

    Amusant, parfois, les coïncidences... Je me posais la question de déposer un brevet...
    Et j’ai vu, et peux donc vous confirmer, que vous êtes plus que dans le vrai.

    Alors quid, maintenant, de la culture asiatique qui estime que la trouvaille d’un individu est un apport qui doit être commun à tous ?
    Ca nous change, ça, non ?


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 30 octobre 2009 16:34

      je souscrit totalement à votre approche du sujet, chevalier,

      " Qui plus est, pendant cette période, la concurrence peut se faire entendre, aller plus vite, déjouer ses travaux et au final contrecarrer sinon étrangler ses ambitions. En cela, le dépôt d’un brevet est un piège. « 

      c’est pour cette simple raison que je ne passe pas par la case » administration " mais plutôt par internet. Tout ce que j’ai inventé comme concepts durant ma petite vie, je l’ai écrit à la volée afin que cela tombe dans l’oreille des hommes de bonne volonté et à fort pouvoir d’entreprise, ce que je suis loin d’être. Mais chaque apparition est datée et signée, ce qui garantit toute origine.

      Ce qui fait l’unanimité d’un brevet est son universalité. En effet, une invention qui peut trouver usage d’un bout à l’autre de la planète est indéfendable et dans ces conditions, il vaut bien mieux, pour le bien de tous l’offrir gracieusement aux palmarès des humanistes universels. C’est cette notion qui prévaut chez monsantrop, eux qui cherchent à breveter le vivant, s’assurant ainsi le plus grand carnet d’adresse que deviennent les clients par milliards. L’Etat, lui, se charge juste de faire légaliser démocratiquement par le vote citoyen ce marché de dupes...

      Bien à vous, L.S.


      • Marianne Marianne 30 octobre 2009 17:56

        Est-ce un tel parcours du combattant en France ? En Europe ? Est-ce plus facile aux Etats-Unis ?

        Que proposeriez-vous pour faciliter les dépôts de brevets, leur financement par des sponsors, le marketing, etc ?


        • zelectron zelectron 30 octobre 2009 19:46

          Peut-être que les droits devraient être payés à prorata des revenus ? mais je vois tout de suite les grandes entreprises faire déposer par des prête-noms, j’avoue ne pas avoir trouvé un bon moyen (loyal) de financer les brevets.


          • lechoux 1er novembre 2009 19:16

            C’est le montant des royalties que l’inventeur percevrait pendant la période de validité de son brevet, mais réduit à 5 ans pour des questions de négociations, s’il proposait à la licence.

            « Rares sont ceux qui s’y accomplissent à la légère comme en témoignent, notamment, les recherches d’antériorité ou les dossiers d’expertise joints aux dépôts. » Vous connaissez mal le dépôt de brevet ; la démarche d’antériorité est obligatoire, vous pouvez la retarder mais c’est une stratégie perdante.

            « A la moindre erreur industrielle, il se fera siffler ! A la moindre négligence, le couperet ! » comme tout industriel.

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