A l’heure où l’Europe et l’euro risquent leur existence respective, les deux questions restent incontournables car rien de tout cela ne serait arrivé si un vrai débat démocratique avait eu lieu en Europe.
Depuis le début des années quatre-vingt, il fallait organiser des réflexions ouvertes et honnêtes, avant de soumettre les diverses options au vote populaire, sur un autre Traité de Maastricht, sur une autre Europe (des peuples et des régions), sur un autre euro, sur une autre Banque Centrale Européenne, sur d’autres modes de représentation et de décision...
Parce qu’ils ont voulu régler, entre eux, toutes ces questions existentielles sur « le pourquoi ? » et sur « le comment ? » faire vivre ensemble des populations si proches mais en même si différentes, les grands « bénéficiaires » du système mis en place (la Haute Finance et les multinationales) se font rattraper par des problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés… Ils croyaient pourtant avoir tout gagné…
Nous allons donc ouvrir ce débat par cinq « billets » (courts et synthétiques, c’est la contrainte de l’immédiateté, principe aujourd’hui souverain) :
Partie I : Question Philosophique.
Partie II : Les réponses et les limites de l’Economique.
Partie III : L’Economie Réelle : quels objectifs, quels moyens et quels espaces ?
Partie IV : La Monnaie : quelles fonctions et comment les remplir ?
Partie V : Les Réformes Indispensables.
A. Question Philosophique.
Il y a d’abord une question philosophique derrière tous les questionnements politiques, économiques, monétaires et financiers, quels qu’ils soient, car nous sommes tous de passage sur cette Terre et nous n’emporterons rien dans l’Au-delà : telles sont les données de base de notre Moïra
[1] Thanatos
[2]. La seule question qui en découle est d’une simplicité « ontologique » : chacun(e) doit bénéficier pleinement de ses droits de subsistance
[3] et de son droit à l’existence
[4]. Notre devoir collectif est donc de nous organiser pour qu’il en soit ainsi, non seulement dans nos rapports au sein de notre Société, mais aussi dans nos rapports collectifs avec les autres peuples et au sein de toutes les organisations internationales.
En clair, nous devons chercher tous les moyens pour que chacun et chacune vivent heureux en ce bas monde ! Un objectif inatteignable, c’est vrai, surtout quand la simple définition du bonheur pose déjà de multiples pièges... Certes, les Occidentaux commencent à réaliser que la surpopulation humaine et la mise en place d’un système de création de richesses matérielles infinies font courir de gros dangers à la planète bleue et, nec plus ultra, ils réalisent de plus en plus que le consumérisme effréné les rend esclaves et malheureux. Caprices de riches, vous diront tous les nouveaux élus de la croissance économique ! Un cauchemar, vous rétorqueront les Ayatollahs du chiffre d’affaires et des profits ! Autrement dit, la croissance… des gaspillages, des destructions et des déchets a encore de beaux jours devant elle.
Et pourtant, notre bonheur passe par une course vers l’Immatériel et par un coup de frein à donner au matérialisme. L’Immatériel ? Personne ne peut nier l’évidence de cette évolution, déjà bien implantée dans nos Sociétés, car nous passons de plus en plus de temps devant des écrans de téléviseur, d’ordinateur et de cinéma, envahis par les jeux vidéo et sollicités par des réseaux de toutes sortes. Même AGORAVOX s’envole dans les airs sous forme de « 0 » et de « 1 » pour atterrir sans bruit et sans odeur dans nos ordinateurs ! Toutes ces créations sont destinées à nous distraire et à nous documenter ; malheureusement, elles nous offrent trop souvent le spectacle affligeant des reality shows et de porcheries diverses. Au-delà de cet immatériel « visible », il y a aussi toutes les créations que l’on ne voit plus tellement elles sont nombreuses : les logiciels, les progiciels, la téléphonie, l’Internet, les programmes de GPS, les programmations de micro-puces dédiées, les robots, les matériels de chirurgie télécommandés…
Par ailleurs, notre Société est devenue si complexe que plus personne n’en comprend les rouages, n’identifie les enjeux, ne connaît les décisionnaires, ne peut prévoir les évolutions ; l’individu est donc livré à lui-même, il est sans repères et constamment soumis aux aléas du court terme. Plus aucun citoyen, même parmi les mieux préparés, ne peut affirmer qu’il maîtrise sa destinée… Pis, plus aucun dirigeant ne peut dire qu’il maîtrise les leviers de commande, et donc la destinée de ceux qu’il est censé diriger… D’où l’importance accrue (pour tous) de l’éducation, de la formation, de l’assimilation de nouvelles connaissances et de nouvelles techniques, de l’apprentissage des rouages de nos organisations, du partage des informations… Tous, à quelque niveau que ce soit, nous avons besoin de plus de dialogue, de plus de temps, de plus de sérénité, pour simplement nous informer et pour comprendre. A contrario, nos « élites » cupides nous courbent l’échine et nous empêchent de voir l’horizon (les autres) et le soleil (le Bien et le Beau de Platon).
Pour sortir de ce système esclavagiste, nous avons besoin de temps et d’une organisation collective performante qui gère les allocations de ressources (matérielles et immatérielles) de manière plus judicieuse. Allocation des ressources ? Oui, il faut de l’argent, bien sûr, mais il faut surtout des compétences humaines disponibles. Seules, de nouvelles formes de répartition du travail entre les citoyens actifs (travailleurs et demandeurs d’emploi) et les inactifs (surtout les retraités en bonne santé) nous permettront de trouver et de bien employer ces compétences existantes et limitées…
Pour résoudre cette quadrature du cercle, nous devons donc accepter de tordre le cou à quelques dogmes :
- Non, la vie ne se résume pas en un système d’esclavagisme légalisé du type « métro - boulot - dodo » pendant quarante ans ;
- Oui, nos enfants ont besoin d’une vraie vie de famille (parents, grands-parents, amis, relations, loisirs) et notre devoir d’adultes est de leur consacrer ce temps-là, avec beaucoup de patience et d‘affection ;
- Non, une semaine de quarante heures, plus des temps de transport de plus en plus longs, ne permettent pas aux parents d’assumer pleinement leurs responsabilités ;
- Oui, les vacances de quatre à cinq semaines sont indispensables pour « casser » la monotonie et retrouver l’enthousiasme du travail qui - de facto - améliorera la productivité de chacun et de tous ;
- Non, le temps consacré à la formation et à l’apprentissage n’est pas suffisant ;
- Non, les actifs (au travail) ne peuvent tout assumer à la fois ;
- Oui, le droit à la retraite à soixante ans est largement compatible avec l’évolution de notre Société car il y a des gisements d’emplois (potentiellement valorisants et bien payés) pour tout le monde dans une Société qui mise sur la croissance de son capital immatériel, individuel et collectif (organisations) ;
- Non, l’humain n’est pas un « facteur de production », n’en déplaise aux brillants économistes libéraux (officiels) et au MEDEF qui voient des « machines humaines » partout ;
- Oui, c’est NOTRE Capital Humain qui a créé tous les progrès visibles ;
- Oui, ce sont les capitalistes qui ont détourné toutes ces énergies et tous ces progrès humains pour obtenir toujours plus d’argent en gaspillant tellement de ressources que la pollution menace la survie même de notre planète ;
- Oui, l’oppression dans le milieu de travail (temps passé et conditions de travail) est contreproductive, et elle est philosophiquement inacceptable.
En clair, pour tirer le meilleur de chacun(e), individuellement et collectivement, la Société doit chercher sans cesse de nouvelles formes d’organisation car elle DOIT intégrer socialement le plus grand nombre d’individus, tout au long de la vie. Cela passe par un accompagnement de chacun(e) par la Société dans la définition, la formation et le soutien des projets de vie individuels.
Dans les conditions présentes, nos Sociétés sont littéralement bloquées à cause de ce refus de « penser autrement » qu’en termes de profits et de rentabilité à court terme. Bien au contraire, la Société doit engager ses membres dans un voyage permanent vers la Connaissance et vers la « réalisation de soi » : l’être et non plus le paraître… Cela s’obtient dans l’effort, dans le doute, dans le contrôle des passions et des ego, dans la lutte contre l’ego-grégarisme (Dany-Robert DUFOUR : « Le divin marché ») et, donc, tout cela passe par l’éducation, la formation, l’apprentissage et le recyclage permanent des connaissances. Donc, par l’organisation, du pur immatériel, pour tirer le meilleur de chacun(e)…
Evidemment, ce sont les philosophes qui nous ont apporté les meilleures réponses sur le sujet, notamment en montrant que l’humain est un animal métaphysique, plein de rêves impossibles et plein de défauts, incapable d’ajuster ses objectifs aux moyens dont il dispose, mais plus souvent incapable d’ajuster ses moyens (qualités intellectuelles et morales) aux objectifs qu’il veut atteindre (ego et vouloir démesurés). Cet humain-là, abandonné à son animalité, est cupide, dominateur, peu enclin à accepter des sacrifices et, quand il n’arrive pas à se réaliser, il devient violent, extrêmement dangereux pour lui-même, pour ses proches, pour ses voisins et même pour la Société tout entière...
Autrement dit, cette course vers l’Immatériel n’est même pas un choix, c’est une obligation minimaliste pour que l’humain vive en paix avec lui-même et avec la Société. C’est la raison pour laquelle il est préférable de (bien) le prendre en charge dès la phase de l’éducation, et tout au long de sa vie, plutôt que de le laisser obéir aux instincts suicidaires de ses velléités incessantes. Sans ces prises en charge constantes et diverses, chacun(e) vit dans la prison de soi-même, survit sans vivre, vit sans exister, veut sans Volonté. Les individus se transforment en bateaux ivres, sans gouvernail, littéralement entraînés sur les océans tumultueux des passions
[5]… vers leur propre perte
[6].
[1] Moïra : parts de destin, que chacun(e)reçoit dès sa naissance, selon les Grecs anciens
[2].Thanatos : tous les humains ont reçu la même part de destinée en ce qui concerne la mort.
[3] Nourriture, habillement, toit, santé…
[4] Education, formation, insertion sociale et professionnelle, réalisation de soi et reconnaissance de son travail, de ses mérites et de ses talents, protection de sa personne et de sa famille…