Rapport Attali : quatre questions en suspens...
Opération escargot, blocages et rassemblements, les taxis en colère manifestent à nouveau le 6 février pour protester contre la déréglementation proposée dans le rapport Attali : "316 décisions fondamentales pour libérer la croissance".
Depuis sa parution, ce rapport génère un flot de commentaires. Aux critiques et manifestations d’hostilité s’opposent ceux qui estiment que les Français ne sont que d’indécrottables protectionnistes prompts à rejeter toute idée novatrice vecteur de progrès. Et qu’il faut donc "tambour battant" mettre en oeuvre ce programme, sans restriction.
Ca n’est ni plus ni moins que ce qu’affirme Jacques Attali quand il déclare en introduction : "A ne pas suffisamment accepter la mondialisation la France ne profite pas autant qu’elle le pourrait de la forte croissance mondiale actuelle et future."
Or, avant toute chose, toutes ces décisions fondamentales méritent un débat sérieux avec une estimation aussi objective que possible de leurs conséquences prévisibles, positives ou négatives. Je pense en particulier à la décision fondamentale n° 13 : "Aider les commerçants et les fournisseurs indépendants à prendre part efficacement à la concurrence tout en restaurant la liberté des prix et de l’installation de tous les acteurs de la distribution."
Au-delà du fait qu’il faudrait qu’il nous explique ce qu’est un fournisseur indépendant (de qui ou de quoi ?), Jacques Attali nous dit en substance qu’il faut favoriser l’hyper concurrence entre commerçants afin d’augmenter l’offre et de faire baisser les prix. Autrement dit, dans le pays champion incontesté de la grande distribution avec 1 450 hypermarchés, 5 000 supermarchés, 32 400 points de vente de plus de 400 m² l’offre serait, selon Jacques Attali, trop restreinte et la concurrence trop molle. Et pourtant, avec un hyper ou supermarché pour 10 000 habitants et un point de plus de 400 m², tous secteurs confondus, pour 1 850 habitants aucun pays ne fait mieux que nous et nous pourrions avoir la faiblesse de penser que l’offre est surabondante, variée, à tous les prix et que nous n’avons pour faire nos emplettes que l’embarras du choix.
Mais imaginons que Jacques Attali ait raison et que cette décision soit appliquée. Que pourrait-il se passer ? Sans pour autant penser détenir la vérité, je vois pour ma part cinq conséquences possibles à la mise en oeuvre de cette "décision fondamentale" :
1 - Les fournisseurs seraient encore plus "pressés comme des citrons" car la guerre des prix ainsi provoquée serait à n’en pas douter à leur charge. Elle affecterait en priorité les producteurs français (PME, agriculteurs) qui seraient contraints pour maintenir leur rentabilité de faire des économies drastiques : pression sur les sous-traitants (réaction en chaîne), réduction de la masse salariale (seule variable d’ajustement car il serait suicidaire de toucher à la qualité des produits ou aux dépenses de publicité ou promotion) voire délocalisation de la production pour beaucoup d’entre eux. Avec, à terme, le risque de voir disparaître toute production du territoire français.
2 - Les salariés de ces producteurs seraient les principales victimes collatérales, tantôt par l’effet des délocalisations ou tantôt par la précarisation de leur situation : temps partiel, CDD plutôt que CDI.
3 - Les commerçants de centre-ville subiraient de plein fouet cette nouvelle concurrence entraînant faillites, fermetures et licenciements.
4 - Le consommateur, avant tout un salarié, verrait sa capacité à consommer fortement altérée (cf. conséquence n° 2).
5 - La balance commerciale de la France, déjà fortement déficitaire (40 milliards en 2007) s’enfoncerait un peu plus dans le rouge.
Quatre questions restent en suspens :
1 - Est-ce que l’activité et les emplois créés par toutes ces nouvelles ouvertures de centre commerciaux compenseraient les dégâts prévisibles ?
2 - Est-ce qu’il suffit d’ouvrir de nouveaux points de vente pour accroître la consommation moteur de la croissance ? Mon bon sens aurait tendance à penser que si nous avons un billet de 10 € et pas plus dans notre porte-monnaie peu importe qu’il y ait un ou dix magasins pour le dépenser, nous n’aurons jamais que 10 €.
3 - Jacques Attali n’aurait-il pas confondu causes et conséquences ?
4 - La baisse des prix ne générerait-elle pas au contraire une inéluctable paupérisation ? Et donc une illusion.
Le débat est ouvert.
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