Réflexions autour de la monnaie unique et de la gouvernance mondiale
Face aux difficultés, certains cherchent le salut dans le retour aux frontières. Chaque pays, chaque organisation tente, dans le désordre le plus parfait, à éviter les pièges que l’économie et la nature nous imposent. Malheureusement, dans un marché devenu global, les problèmes sont mondiaux et les solutions ne pourront émerger qu’à ce niveau.
La fin possible - pas encore probable, mais possible - de l'euro fait ressurgir le spectre d’un retour aux monnaies nationales.
Certes, les entreprises devraient enregistrer des pertes, ou des profits, selon la localisation de leurs actifs. Les particuliers devraient réallouer leurs biens dans un pays à monnaie forte. Il faudrait aussi changer de devise à chaque passage de frontières, toutes choses que l'on croyait disparues en Europe. Ennuyeux et coûteux sans doute, mais pas un drame.
Pas plus d'ailleurs que ne serait un drame l'absence de remboursement des 40.000 milliards de dettes souveraines à l'échelle mondiale. Il y aurait certes, quelques ruines retentissantes. Le plus inquiétant, au moins à court terme, concernerait le risque systémique car les banques très engagées disparaîtraient et le financement de l'économie ne serait plus assuré. L'effet domino des défaillances bancaires accélèrerait l'effondrement de l'économie et donc des bourses. Nous n’échapperions alors sans doute pas à une longue et forte dépression. Qui s'en rappellera dans 1000 ans ?
Tout ne serait pas négatif pour autant.
Tout d’abord, si les Etats - hypothèse d’école - devaient rembourser leurs dettes, la quantité de monnaie actuellement cantonnée retournant au marché, déclencherait un incendie inflationniste dont nous aurions toutes les difficultés à nous extraire. L’irrécouvrabilité des créances souveraines en supprimant beaucoup de monnaie ferait donc disparaître ce risque inflationniste.
Secondo, si les banques centrales redevenues nationales retrouvaient la liberté de créer de la monnaie, elles pourraient couvrir les dettes souveraines. Mais ne nous faisons aucune illusion. Même avec des monnaies nationales, les déficits primaires (avant paiement de la dette) demeureraient et surtout, cela ne préparerait en aucun cas les Etats à une baisse de leur PIB et à une baisse encore plus rapide de leurs recettes fiscales. La monnaie disparue serait ainsi assez rapidement recréée avec les monnaies nationales et redeviendrait irrécouvrable. Nous subirions alors une double peine ; Et la ruine des créanciers et l’inflation.
Tertio, le monde retrouverait malgré tout un certain équilibre. Face à un dollar américain émis en toute liberté et à un contrôle des changes chinois qui permet une sous-évaluation structurelle du renminbi, les banques centrales se retrouveraient toutes à égalité.
Car aujourd'hui - et c'est bien l'un des soucis majeurs - les banques centrales ne se battent pas à armes égales. Comment peut-on faire cohabiter des monnaies dont les banques centrales ont des objectifs différents ? Avec un euro fort et le reste des monnaies dévaluées, l'Europe mourrait en bonne santé. Ce n'est évidemment pas acceptable. Il n'y a malheureusement pas de solution à ce problème. Car si la BCE a raison de vouloir contrôler ses émissions monétaires pour éviter de basculer dans une inflation européenne puis mondiale, et si les autres banques centrales n'ont comme seul objectif que de disposer d'une monnaie plus faible pour relancer leur économie, alors le jeu n'est pas équilibré.
Les autres pays condamnent donc l’Europe au choix suivant : Soit les suivre dans le petit jeu de l'émission monétaire illimitée et sombrer dans l'inflation mondiale, soit rester ferme sur nos principes mais mourir économiquement en bonne santé monétaire. Mais avec un dollar qui représente la moitié de la masse monétaire mondiale, même en restant ferme, l’Europe a toutes les chances de bénéficier à la fois et de l'inflation mondiale et de la mort économique.
Certains disent qu’il aurait fallu réaliser l’union économique en même temps que l’union monétaire et qu’il faudrait exercer un contrôle des budgets souverains par l'UE. Ils ont raison et il n’est pas trop tard pour le faire, mais tout cela n'y changera rien.
La seule solution raisonnable devrait conduire les dirigeants à changer de paradigme monétaire et adopter une monnaie unique, c’est-à-dire mondiale, seule solution crédible à terme. A défaut, il serait possible a minima de se doter d’une Banque Centrale Mondiale coordonnant la politique monétaire de l’ensemble des pays. Toute monnaie doit épouser son marché lequel est aujourd'hui mondial. Voilà pourquoi la fin de l'euro ne serait pas une fin en soi mais seulement une péripétie à l'échelle de la (future) monnaie unique planétaire, la seule que l'on utilisera dans 100, ou 10000 ans.
La gouvernance mondiale, un choix incontournable
Il existe une relation fondamentale entre ces évènements et l’échec de Durban en 2011 sur le climat : L’incapacité des pays à s’entendre sur des sujets transnationaux et donc supranationaux c’est-à-dire qui s’imposent aux Etats. Cette situation démontre plus que jamais la nécessité d’une gouvernance mondiale. Car quelle est la légitimité d’un pays manipulant sa monnaie si la seule conséquence est d’enfoncer économiquement les autres ? Quelle est la légitimité d’un pays qui, refusant d’appliquer des règles contraignantes sur le climat impose aux autres les dérèglements climatiques, tout en s’affranchissant des coûts de production correspondants ? La légitimité des Etats s’arrête lorsque les décisions des uns affectent le fonctionnement des autres. Les problèmes d’aujourd’hui sont de nature mondiale qu’ils soient monétaires ou autre et aucun G20, G30 ni même G184 ne permettra d’avancer car les pays auront toujours un avantage particulier à défendre.
La raison essentielle – sinon unique – de l’incapacité à définir des règles mondiales vient du niveau de représentation des élus nationaux. Ils sont élus pour défendre les intérêts d’un pays ce qui s’avère évidemment totalement inadapté lorsqu’il s’agit de définir des règles globales. Les gouvernements ne pouvant pas s’entendre car ce n’est pas leur mandat, il faut changer d’approche et confier directement aux peuples, tous les peuples, les choix de société du monde de demain en organisant un référendum mondial. Le temps n’est plus à l’indignation, encore moins à la résignation, mais au contraire à l’action.
L’ONU aurait pu, aurait dû, jouer ce rôle. Mais manipulée par les Etats qui la financent, l’ONU apparaît incapable d’initiative globale. Cette organisation ne s’imposera donc pas en tant qu’organe de gouvernance du monde. Avec ses 5 milliards de dollars de budget par an, l’ONU n’aurait de toute manière pas les moyens de ses ambitions.
Trop de sujets relèvent aujourd’hui d’une responsabilité supranationale pour en laisser la régulation à une communauté limitée d’Etats. Citons en quelques-uns : la (dé)pollution de l’espace, la gestion des adresses IP (Internet), la concurrence fiscale déloyale des petits Etats, la supervision budgétaire de tous les Etats, l’attribution des fréquences de télécommunication spatiale, la régulation financière, certains projets scientifiques tels que (parmi beaucoup d’autres) la recherche sur les maladies orphelines. Mais il faut surtout d’urgence rééquilibrer les monnaies, en particulier celle des pays pauvres. D’ici 10 ans, les pays riches n’auront plus les moyens de soutenir les pays pauvres et il est peu probable que la Chine dont la culture n’a pas une vocation universaliste s’y substitue. La monnaie mondiale unique constitue une opportunité exceptionnelle de réévaluer les monnaies des pays pauvres en fixant un taux de change différent du marché. Il faudra bien sûr encadrer cette mesure pour éviter que cette réévaluation ne profite aux spéculateurs professionnels. Une telle mesure permettrait un rééquilibrage immédiat de la répartition de la valeur ajoutée mondiale et offrirait aux pays les plus démunis un accès aux soins, à l’alimentation, donc à l’éducation et donc au contrôle de la démographie et in fine des migrations.
Non seulement les sujets sont mondiaux mais ils sont parfois très liés. Les questions climatiques par exemple devraient être traitées en même temps que les questions démographiques. Avec 10 milliards d’habitants, le C02 engagé c’est-à-dire qui sera produit par la seule respiration des individus au cours de leur existence, atteindra 350 Gt soit 10 fois les émissions industrielles totales annuelles. Qui pilote ?
Les réglementations imposées à l’économie sont perçues par beaucoup, y compris les chefs d’entreprise, comme des sources de coûts et donc de handicap dans la compétition internationale. Mais ce raisonnement ne peut être maintenu dès lors que l’on impose à tous les mêmes règles. Des règles contraignantes imposées à toute l’économie permettraient au contraire de baisser le niveau des prélèvements (recyclage), et de diminuer les pollutions (internalisation des coûts de dépollution). Ces contraintes offriraient à tous les pays plusieurs décennies de productivité négative et des dizaines de millions d’emplois. Les populations deviendraient plus pauvres mais disposeraient de davantage d’emplois. Ceci constitue un argument puissant en faveur d’une régulation mondiale de l’économie.
C’est pourquoi, nous, citoyens du système Terre, devons nous doter d’un Comité des Règles composé d’experts, qui sera adossé à un gouvernement, une assemblée mondiale ainsi qu’un Sénat des Nations élu au suffrage universel dans chaque Etat. Ce comité définira les grands principes de préservation des ressources incluant la biosphère, les matières premières, l’eau et l’air. Il en planifiera le déploiement. Aucun pays ou groupe de pays n’accepterait d’être commandé et dirigé par un autre. En revanche, si ces règles sont celles de la nature, leur légitimité ne pourra pas être contestée. Il n’y aura pas de territoire à conquérir, pas de culture ni de religion dominante ou à imposer, seulement des règles à respecter. Et ces règles seront simples. Le financement de ce Comité et des structures de gouvernance, sera assuré par une taxe carbone mondiale qui, à 12 euros la tonne, rapportera 500 milliards de dollars par an. Un budget suffisant pour amorcer la mise en place d’un gouvernement mondial.
Bruno Mortier
- Autres articles publiés sur « lesechos.fr » :
« Quand le système monétaire s’effondrera… » (Mars 2011)
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