Règle d’or, finances de plomb
“Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse”
Si la règle d’or pour les religions constitue un principe éthique de réciprocité, pour les apôtres de l’économisme elle préfigure une gestion ultra-orthodoxe qui exerce une pression sur le corps social. N. Sarkozy, bien meilleur dans le costume du maton que dans celui du gestionnaire, en appelle pourtant à un précepte d’équilibre des comptes publics, à inscrire dans la constitution. Coup politique, dédouanement quant à sa propre incurie ? Alors que la crise de la dette souveraine frappe les pays occidentaux, avec la désinvolture qu’on lui connaît, il s’en remet aux vertus budgétaires totalement bafouées depuis depuis le début de sa mandature. Dans ce contexte qui n’est pas anodin, cette règle sous l’apparence du bon sens et de la neutralité constitutionnalise l’austérité.
L’enfer est pavé de bonnes intentions, et constitutionnaliser l’équilibre budgétaire sonne effectivement comme une vertu. En utilisant le parallèle familial de la bonne gestion (patriarcale) et “la vie à crédit”, la sarabande médiatico-politique adhère largement au concept de la règle d’or. De F. Bayrou à J. M. Aphatie, il n’est pas une intervention sur quelque sujet que ce soit, sans que le fardeau de la dette ne soit évoqué pour asseoir un argument de pondération, pour taper sur les doigts de récalcitrants. Or derrière les discours on découvre une réalité. Dans un monde où la tendance de fond depuis trente ans consiste à désengager l’État et la puissance publique au profit des acteurs privés, la règle d’or n’a d’autre signification que de graver dans le marbre la RGPP, constitutionnaliser les privatisations. On peut rétorquer que les gouvernements n’ont aucun besoin de règle d’or pour sabrer, l’hégémonie culturelle du néo conservatisme a suffi largement à inculquer le sacrifice. Mais il ne faut jamais être à court de symboles. Regrouper dans un même corpus la Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’orthodoxie budgétaire relève alors du coup de maitre.
D’une apparente neutralité, la règle d’or, compte tenu des rapports de force ne peut qu’aboutir à l’austérité pour les classes moyennes et inférieures. Il y a deux leviers pour équilibrer les comptes. Augmenter les recettes et baisser les dépenses. La tendance lourde depuis de nombreuses décennies consiste à présumer que les dépenses de l’État s’apparentent à une gabegie. En l’occurrence que l’on dépense trop pour un résultat médiocre ; ce qu’affirment en substance L. M. Châtel, L. Wauquiez, et autres portes voix de la réforme inéluctable. De façon significative ce type d’emballement peut trouver un écho chez nombre de socialistes (D. Migaud, M. Valls et bien d’autres). De façon quasi automatique, on aboutit à l’expression incessamment ressassée « faire mieux avec moins », comme par exemple accueillir plus d’élèves avec moins de professeurs. Et donc y entendre allouer moins de subsides aux services publics et par la magie de protocoles de management, qualifiés de modernisations, obtenir le même service. C’est évidemment une vaste escroquerie pour transférer une partie des services publics sous gestion privée. Ou les abandonner à la décrépitude. E. Todd en marge d’une conférence de presse sur la démondialisation, expliquait qu’on ne peut mesurer la baisse du pouvoir d’achat sans tenir compte de la dégradation des services publics.
Le levier recette finalement, n’est que très peu activé. La diatribe sur les niches fiscales qui ravit tout le landerneau, n’est finalement qu’une facette du problème. Elle permet de faire croire que le système de contribution n’est inefficace que parce qu’une partie de la population bénéficie de dérogations spécifiques. Or la question des recettes s’avère bien plus cruciale et globale. Elle englobe par exemple le nombre de tranches d’imposition (qui n’ont cessé de diminuer, rendant l’impôt moins progressif), et leur taux marginal. Mais bien au-delà la façon de lever l’impôt a une immense portée politique et conditionne le type de société dans laquelle on vit. Aujourd’hui, on a largement intégré la nécessité de choyer une classe oligarchique très opulente. Qu’il ne faut pas trop ennuyer sous peine de la voir fuir.
Dans cette optique, et compte tenu de l’air du temps, quand N. Sarkozy veut ériger la bonne gestion des deniers publics en principe constitutionnel, il ne peut oblitérer les conséquences que cela implique. Les commentateurs de tous bords non plus. Annoncer à la classe moyenne que l’on va rationaliser les comptes publics, c’est escamoter qu’elle va en payer les conséquences directement. En terme de santé, de services, d’éducation, de culture, etc.… Un choix de société, un profond sens politique. Dissocier causes et conséquences reste le meilleur moyen de brouiller les cartes. La règle d’or version N. Sarkozy loin des préceptes religieux initiaux d’impératif de réciprocité, ne sert qu’à confirmer le caractère univoque des efforts à consentir.
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