Schizophrénie à la française
Il est temps de dire aux hommes providentiels dont nous avons un quasi monopole mondial, qu’il est temps pour eux de cesser de nous prendre pour des veaux. Il est temps de leur faire comprendre que leur schizophrénie n’est plus contagieuse.
Schizophrénie à la française
La décision d’écrire cet article est née lors de mon dernier voyage à Paris, le 21 janvier. Pendant ce séjour, j’ai eu l’occasion d’écouter et de discuter avec plusieurs de mes relations, les informations sur les derniers évènements des banlieues, les nouvelles mesures préparées par le gouvernement pour l’emploi et les polémiques que celles-ci nourrissent. Tout ceci m’a naturellement interpellé sur la situation sociale en France, comme tout un chacun, je présume.
Le déclic d’une telle situation est certainement dû à de nombreuses causes, sociales, religieuses, ethniques, politiques et économiques. Je ne suis pas sociologue, et ne m’aventurerai donc pas dans l’analyse des causes. Je suis convaincu que de nombreux lecteurs seront plus à même que moi de le faire.
Après un voyage d’une semaine au Portugal, avec quelques-uns de mes collaborateurs, nous sommes arrivés à Paris, où nous devions rester une semaine. Mes collaborateurs n’étant ni français, ni européens, ont été surpris, pour ne pas dire choqués, quand ils ont vu une telle masse de monde sur la Place de la République : ils me demandèrent quelle en était la raison, et ne le sachant pas, je posai donc la question à mon frère qui vit à Paris, et qui me dit que c’était la soupe populaire servie à toute personne qui vivait sous le seuil de pauvreté. Je lui demandai ensuite si c’était la seule place où cela se passait, et il me répondit que non. Je traduisis ces réponses à mes collaborateurs, qui n’en croyaient pas leurs yeux.
Nous voici donc dans un pays, la France, où :
Le taux officiel du chômage avoisine les 10%, et ceci, de manière endémique
La dette est à un point qui nous conduit à nous demander si dans les années qui viennent, une part non négligeable du budget ne va pas servir à la couvrir
La pression fiscale en est arrivée à un point tel que les outils budgétaires n’ont plus de flexibilité ni de marge de manœuvre
Les partis politiques, se préparent à une nouvelle passe d’armes pour la présidentielle de 2007, rivalisant de démagogie, sans proposer quoi que ce soit de nouveau
Les syndicats se révoltent lorsqu’il y a menace de licenciements ou de fermeture par une entreprise d’importance qui veut délocaliser
La population se plaint du coût de la vie et des salaires stagnants.
Nous avons ici tous les ingrédients d’une société qui exprime une anxiété réelle et compréhensible, et qui, en même temps, ne cesse de demander plus à ses représentants politiques ou syndicaux. Cette population, qui s’insurge en permanence devant de tels licenciements et des délocalisations, et qui en même temps demande à travailler moins, à avoir plus de congés payés, plus d’avantages sociaux et, et, et... s’est-elle posée la question, une seule fois et de manière objective, de savoir qui allait payer, et qui payerait ?
Les politiques, comme les syndicats, peuvent continuer de vendre au comptant ce qu’ils savent ne jamais pouvoir délivrer ; ils rivalisent de démagogie sur le modèle social français, et maintenant le patriotisme économique, c’est beau et grand à la fois, mais un peu aveugle en même temps. Pourquoi n’expliquent-ils pas au bon peuple que le modèle social français sert surtout de rente de situation à quelques professions libérales, et à tous ceux qui, pour un oui ou pour un non, sont en arrêt maladie au moindre coup de froid, ou pour ceux qui n’ont jamais assez de congés payés ?
Pourquoi n’expliquent-ils pas que si demain, ce même bon peuple, ne pouvait qu’acheter français, il ne pourrait même plus vivre comme aujourd’hui, au prix où seraient les produits qui leur seraient proposés sur le marché ? Comment se fait-il qu’un pays, si riche par son agriculture, se voie proposer, en grande surface, ses propres produits à des prix nettement supérieurs à ceux des produits importés ? Cela vaut également pour les voitures, les vêtements, et tout ce qui touche à la vie de tous les jours. Il est évident que tous les pays desquels proviennent les biens importés ne partagent pas les mêmes avantages sociaux, peut-on les obliger à avoir une sécurité sociale budgétivore ? Est-ce que tous les pays à partir desquels ces produits sont importés ont un niveau de vie inférieur à celui de la France ? Je ne le crois pas. Comment se fait-il donc que dans certains pays à niveau de vie identique, voire supérieur, les gens vivent aussi bien, sinon mieux ?
Je crois qu’il est temps de faire preuve de clairvoyance, à défaut d’honnêteté, et de se rendre compte que nous sommes dans une société schizophrène, où l’on veut le beurre et l’argent du beurre. Je crois que la campagne des présidentielles sera, de ce point de vue, salutaire, si, et seulement si, la population française, dans un moment de clairvoyance comme elle en a eu dans le passé, est capable de dire à tous les représentants qui sont les siens aujourd’hui : cela suffit ! Nous voulons savoir où nous en sommes, nous voulons savoir ce qui coûte aussi cher dans l’ensemble de notre société, nous voulons, nous exigeons de savoir pourquoi notre société en est arrivée à un tel blocage, économique et social.
Tout le monde connaît les conséquences de l’après Yalta, en termes économiques, et les suites politiques qui ont été mises en œuvre. Cela a débouché sur ce que nous appelions alors les confrontations Est/Ouest, et le fameux dialogue Nord/Sud.
Cette situation a perduré de l’immédiat après Yalta jusqu’à l’effondrement du bloc de l’Est, avec la chute du mur de Berlin en 1989. Cet évènement a révélé urbi et orbi la défaillance totale du modèle communiste comme système social, économique et politique. Durant cette période de confrontation, deux systèmes économiques étaient en concurrence directe, le modèle capitaliste et le modèle communiste, ce n’est que durant les derniers vingt ans de cette guerre froide que naquit la nouvelle tendance du libéralisme économique telle que nous la connaissons aujourd’hui sous les différents vocables que sont : " la globalisation ; la mondialisation ; la délocalisation" et toute une kyrielle de locutions d’origine anglo-saxonne.
Ce nouveau mode de pensée et d’être, par ses excès, a créé son corollaire, connu sous le vocable d’altermondialisme. Les deux ayant leur sommet annuel, au travers duquel les uns et les autres fourbissent les mêmes armes -utilisées dans la précédente guerre- ou les archers de violons pour un même concerto.
Cela étant, de nombreux exégètes ont déjà défini ce qu’était et ce que sous-tendait l’une et l’autre de ces nouvelles tendances, je n’y reviendrai donc pas. Je suggère plutôt de voir ce que nous pourrions faire avec elles. En effet, le libéralisme est le point de départ de notre propre révolution, il était le phare éclairant le nouveau mode de pensée du siècle des Lumières. Il s’inscrivait dans une volonté de libération de l’homme au sens de ses droits civiques et de ses libertés vis-à-vis de la noblesse et la royauté. Cela nous a donné 1789, et les libertés associées. Si tant est que cette notion de libéralisme s’applique aujourd’hui, principalement en économie de marché, ne pourrait-on pas voir si, par extension, cela ne pourrait pas aussi aller plus loin dans le sens de plus de liberté civique ? Je m’explique. Le libéralisme économique forcené que nous connaissons ces temps est prôné par les partis de droite ou de centre droit, et est en butte au libéralisme proposé par les partis de gauche. Les uns pour plus de libertés économiques, et les autres, pour les freiner et avoir plus de libertés sociales.
Si tant est que nous soyons entrés dans l’ère d’une nouvelle doctrine, « le libéralisme », qui a pour moi les mêmes relents que le mercantilisme en son temps, alors pourquoi ne pas faire aussi, de ce même libéralisme, une forme politique plus civique, et demander aux populations qui en subissent les effets de pouvoir, pourquoi pas, donner leur opinion sur la mise en œuvre du budget de l’Etat ? Le gouvernement et le Parlement, quelle que soit la coloration politique, nous considèrent comme suffisamment intelligents pour remplir nos déclarations d’impôts, alors pourquoi ne pas remplir, au verso de cette même déclaration, l’affectation budgétaire que nous décidons de ces mêmes impôts ? Je ne crois pas un seul instant que l’ensemble des 577 députés qui siègent au Parlement et la centaine de hauts fonctionnaires qui sévissent depuis l’Elysée jusqu’à Matignon, en passant par tous les autres ministères, soient plus intelligents que la somme des intelligences de la population.
La population ainsi deviendrait le point d’orgue de la société dans laquelle nous vivons et saurait ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas.
Il est temps de dire au saltimbanque en chef qui sert de camelot aujourd’hui, que sa démagogie ne peut plus avoir d’effets. Il est temps de dire aux hommes providentiels dont nous avons un quasi monopole mondial, qu’il est temps pour eux de cesser de nous prendre pour des veaux. Il est temps de leur faire comprendre que leur schizophrénie n’est plus contagieuse, et que si nous devions écrire une nouvelle étape de la démocratie, celle-ci ne pourrait passer que par là, dans un consensus entendu et paisible, redonnant ainsi au libéralisme la totalité de ses attributs.
© 02/01/06 par Philippe Murcia.
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