En 2007 la France croyait avoir élu un président. C’est d’un PDG qu’elle héritait en même temps qu’elle devenait une entreprise comme les autres. Alors, politique chevronné mais chef d’entreprise inexpérimenté, il allait pourtant tout remettre à plat dans l’entreprise France. Tout, absolument tout ce que ses fainéants de prédécesseurs avaient construit avant sa venue. Avec lui, on allait voir ce qu’on allait voir ! Cela allait chauffer : pouvoir d’achat, plein emploi, croissance … !
L’homme, assuré, accaparé par sa propre personne et sûr de son fait, commença par distribuer, dans l’urgence, l’argent de l’entreprise dès le mois de juillet 2007, alors que les caisses étaient vides. La fameuse TEPA et ses célèbres 15 milliards d’euros – que personne n’avait d’ailleurs demandés. Quinze milliards dont se prive désormais chaque année, le Trésor public. Les milliards qui marqueront à jamais la plaque en marbre de son passage. Il pensait très assurément qu’avec lui comme PDG, l’Etat-entreprise aurait vite fait d’en recueillir les fruits et pourrait rapidement regarnir ses caisses à travers un pouvoir d’achat enfin dynamisé, via le plein emploi retrouvé.
Son crédo semblait être "diriger c’est agir". Bien sûr, il faisait fi du "diriger c’est prévoir" que l’on trouve dans tous les manuels de management.
Le job lui semblait tellement facile, à lui ! Pour preuve, même des fainéants avaient pu le faire. Alors lui, le PDG nouveau, l’expert en tout et n’importe quoi, l’œil vif, le mouvement d’épaules énergique, l’envie de toujours bouger plus, d’être ici et ailleurs en même temps … ne pouvait vraiment pas faire moins. Pas possible de foirer ! Impossible de se planter !
Et puis, la croissance en 2007 était de seulement 2 %. C’était nul ! Alors, il irait "la chercher avec les dents" et rapporterait 1 point de plus pour l’établir à 3 %, cette damnée croissance. Comment ? D’abord, travailler plus. Puis, faire en sorte que les heures supplémentaires coûtent moins que d’embaucher. Pour cela, le PDG souhaitait que tous les ouvriers de son entreprise soient propriétaires. Et, pour qu’ils le soient, lui, le PDG, favoriserait le crédit hypothécaire rechargeable, comme cela se fait si bien en Amérique depuis des lustres.
Et puis, dans la foulée et dans l’euphorie du pouvoir personnel et d’une clairvoyance autant divine qu’enfantine, à la poubelle le modèle social français. Désormais, il fallait favoriser l’avènement d’une dynamique anglo-saxonne, porteuse de si grands mérites en 2007. Pourquoi le mettre à la poubelle ce modèle français ? Tout simplement, parce qu’il a été construit par des fainéants et des soixante-huitards. Et que pour lui, ce n’est pas le genre de la maison.
Alors, seulement dix-huit mois après, on pourrait se tordre de rire tellement le décalage est grand, voire abyssal, si la réalité n’était subitement devenue catastrophique. Un véritable gouffre ! Béant, qui commence inexorablement à s’ouvrir sous nos pieds.
Le vent a tourné. Et seulement dix-huit mois se sont écoulés. Mais, presque déjà une éternité pour ceux qui souffrent au quotidien ou qui ont tout simplement peur pour les 3,5 ans qui restent. Durant ses 18 mois à lui, notre PDG a tout fait pour constituer de ses propres mains, un terreau de crise endogène sur lequel une autre crise, plus exogène et mondiale, va pouvoir se nourrir, se gaver beaucoup plus facilement.
Ah ! que sont-ils devenus ces 15 milliards annuels dont le retour sur investissement n’est d’ailleurs plus jamais attendu.
Pour beaucoup, 15 milliards c’est assez abstrait. Mais, avec ces 15 milliards, que l’entreprise France perd désormais chaque année, on aurait pu relancer massivement tant l’investissement et que la consommation, c’est-à-dire :
- ajouter 580 projets, tout de suite, aux 1 000 du fameux plan de relance sans précédent 2009/2010. Puis encore 580 en 2010, puis 580 en 2011. Idem en 2012, 2013, 2014, 2015, etc.
Avec une telle manne annuelle, le braquet du vélo royal aurait eu une autre allure, une autre efficacité ! Tellement plus en adéquation avec les enjeux du phénomène à traiter.
- ou prendre en charge 500 € par mois pour 2 500 000 salariés au chômage partiel, chaque année. Là encore, on aurait changé de dimension !
- ou donner une prime de 2 000 euros aux 7 500 000 foyers les plus pauvres, chaque année.
- ou financer presque 900 000 nouveaux emplois au smic, charges patronales comprises, chaque année.
- ou payer deux fois, les 23 millions d’heures supplémentaires qui attendent chez les
personnels hospitaliers. Puis en permettre de nouvelles les années suivantes.
- ou bonifier chaque année de 3 %, 15 432 098 prêts de 15 000 euros chacun sur une durée de 4 ans. Un taux 3 % au lieu de 6 % fait gagner 972 € d’intérêts sur la période (972 * 15 432 098 = 15 Mds).
De quoi acheter plus de 15 millions de voitures de gamme moyenne, soit 6 à 7 fois notre consommation annuelle. Ou, plus raisonnablement, financer des dizaines de milliers projets dans des dizaines de milliers de PME ou de TPE uniquement installées sur le territoire national.
- ou augmenter en 2009, de 225 %, le budget de la justice
(seulement 6,66 milliards en 2009), puis ensuite lui ajouter chaque année 15 nouveaux milliards. Pour avoir enfin une justice digne de ce nom !
- ou augmenter en 2009, de 150 %, le budget des universités
(seulement 10 milliards en 2009), puis ensuite lui ajouter chaque année 15 nouveaux milliards. De quoi avoir une recherche digne de la 6ème puissance mondiale !
- ou combler chaque année, 1,5 fois le déficit de l’assurance maladie. Ou 5 fois celui du trou des retraites, etc, etc.
Eh oui ! chaque année on aurait pu avoir 15 milliards d’euros en plus, si … la TEPA n’avait pas vu le jour pour concrétiser un caprice de PDG.
Quel gâchis !
Puis soudain, allez savoir pourquoi, en septembre 2008, le modèle de notre PDG n’est plus américain !
Ces gens-là sont subitement devenus des irresponsables. Ils nous ont envoyé une crise mondiale, à nous qui avions prévu exactement le contraire, en mai 2007, lors de notre nomination, que nous avions attendue au … Fouquet’s.
La croissance, celle de 2007 avec ses 2 % si nuls, s’est transformée en déroute économique. C’est même la récession et peut-être la dépression qui guettent désormais. Elles aussi encore venues toutes les deux des Etats-Unis.
Le "travailler plus" s’est transformé en "travailler moins". Et même, en "travailler plus du tout" pour 45 à 50 000 personnes par mois. De plus, le peu d’heures supplémentaires qui reste, empêche tout espoir, même infime, d’une simple création d’emploi dans l’entreprise France en 2009 et 2010. Pour les experts, la barre des 3 millions de chômeurs n’est pas improbable. Quel gâchis !
Et puis, comble de tout, les ouvriers sont de moins en moins propriétaires et, pour beaucoup, la crainte de coucher dehors devient une angoisse de plus en plus prégnante.
Que dire aussi de leur pouvoir d’achat ? N’en parlons même pas !
Alors, si le PDG de notre entreprise ne trouve pas très rapidement une once de clairvoyance, de modestie et de vision globale, notre pays risque le pire. Pire, d’autant plus catastrophique que notre modèle social a été largement déconstruit depuis 2007. Son bouclier en bronze a été transformé en carton lors de trop nombreuses fausses négociations. Nous pourrions dire, après seulement 18 mois de gourvenance, que "désormais quand on parle du modèle social français plus personne ne sait de quoi il s’agit … !".
Face à cette immense gabegie, la première chose que devrait entendre notre PDG, c’est que, dans le sigle PDG il y a en fait deux fonctions. Celle de "P" pour président et celle de "DG" pour directeur général. Généralement, plus l’entité économique est grande et plus chaque fonction est occupée par une personne physique à part entière et, évidement, distincte de l’autre. Que notre PDG sache bien, qu’aucun PDG au monde, même un dieu, n’a jamais réussi à gouverner seul une entreprise de 64 millions d’individus. Jamais ! Ni Napoléon 1er, ni son triste neveu dénommé par la presse de l’époque
Napoléon le petit, n’y sont parvenus, même avec des populations moindres.
Par ailleurs, il doit aussi savoir que tous les jobs sont durs. Bien sûr, le sien n’est pas facile, comme il l’a si bien théâtralisé jeudi soir, le 5 février 2009, sur nos antennes. Mais, sachez monsieur, que celui de femme de ménage, gagnant 30 à 40 fois moins, tous frais compris – logements, nourriture, habits, voitures, loisirs … – avec deux gosses, n’est pas facile non plus !
Si le job de boss de notre entreprise est si dur, il faut en changer. Prendre par exemple celui d’homme de ménage ou d’ouvrier à la chaîne chez Peugeot, Renault ou Citroën. Jobs tous aussi durs que celui de PDG, bien que beaucoup moins médiatiques. Mais, jobs où l’on peut agir dans l’instant, émotionnellement, bouger, remuer à sa guise ... Jobs dans lesquels la vision stratégique n’est pas indispensable contrairement au job de PDG. Job de PDG d’ailleurs essentiellement payé pour cela, doit-on le rappeler !
Agir, courir à droite et à gauche, parader, parler de soi et encore de soi … tout le monde peut le faire. Mais, anticiper, prévoir, avoir une vision claire et globale du futur … cela, c’est vraiment autre chose !
Alors, dans cet esprit, avoir une vision stratégie, c’est quoi ?
C’est le fait, selon nous, de piloter une entité en agissant aujourd’hui en fonction de ce que l’on a prévu à moyen et long terme. C’est refuser l’action émotionnelle, précipitée et instinctive. C’est le refus de l’omniscience. Le refus du cavalier seul. Le refus du "je sais tout" et du "je vais vous montrer, moi, personnellement, tout seul, ce dont je suis capable...".
Mais, c’est surtout le fait que, quand on s’est planté de manière magistrale et dramatique, on le dit ou on se tait et on démissionne. C’est cela l’honneur, le courage et la vraie responsabilité politique d’un PDG stratège et moderne. Qu’il soit président d’une entreprise ou d’un Etat !