Stages : une nouvelle forme d’esclavage
A l’heure du CPE, dans notre belle France « citoyenne », coexistent trois catégories d’individus : ceux qui ont un travail rémunéré, ceux qui n’en ont pas, et les stagiaires. Les premiers, s’ils sont salariés, touchent au minimum le SMIC ; les deuxièmes, même s’ils ne travaillent pas, ont souvent droit à des indemnités ou des retraites ; les derniers, tout en travaillant beaucoup, n’ont droit à (presque) rien. Ils occupent un emploi non payé. Ce système, une aubaine pour certaines entreprises, permet de contourner le fameux SMIC, qui avait été institué pour éviter ce genre d’abus.
De fait, le SMIC, en France, n’a plus aucun sens, puisqu’on peut embaucher sans payer l’employé. Au départ, l’idée du stage était bonne : il s’agissait de faire découvrir l’entreprise à un jeune parallèlement à ses études, ce qui lui permettait de se familiariser avec le monde du travail. Aujourd’hui, cette idée a fait long feu. Le stagiaire ne découvre rien, il est exploité comme bonne à tout faire, on le menace de renvoi s’il proteste, il est souvent chargé de tâches ingrates qui n’ont rien à voir avec sa formation : préparer le café, faire des photocopies, classer des papiers, s’occuper du ménage, répondre au téléphone, etc. Les exemples de harcèlement moral sont légion à l’égard d’une catégorie de sous-hommes qui ne bénéficient d’aucune protection, le fin du fin étant de faire miroiter une « vraie embauche » au stagiaire afin qu’il soit docile jusqu’au bout. Jeune, sans expérience, effrayé par le chômage, il proteste rarement. Une étude récente a montré que ces promesses d’embauche non contractualisées étaient en général bidon : une ruse de plus, afin de transformer le jeune homme ou la jeune fille en individu corvéable à merci.
Le scandale atteint son paroxysme quand il ne s’agit plus d’étudiants, mais de jeunes au chômage, parfois âgés de 30 ans, qui préfèrent travailler sans être payés, de façon à mettre un pied dans l’entreprise plutôt que de ne rien faire, en espérant décrocher enfin un vrai travail. On arrive à une situation ahurissante : le candidat passe des entretiens d’« embauche » à la chaîne pour obtenir un travail... non payé ! Et parfois, la concurrence est rude.
Parallèlement, y compris dans des entreprises qui marchent bien, on assiste à des licenciements massifs de salariés... qui sont remplacés par des stagiaires.
Pourquoi ce scandale n’est-il jamais dénoncé ? Parce que les partis politiques de gauche et de droite, les syndicats, les journaux, les radios, les télévisions profitent eux aussi de cette main d’œuvre quasi gratuite, parfois très qualifiée. Le silence et l’hypocrisie de nos élites sont sans bornes... et permettent à certains nantis de gagner toujours plus au détriment des plus faibles. L’homme est un loup pour l’homme, même en France.
C’est donc aux stagiaires et à ceux qui les soutiennent de se fédérer et d’agir dans un cadre autorisé par la loi : courriers aux hommes politiques, pétitions, rassemblements, manifestations, grèves... Une coordination apolitique, Génération précaire, a vu le jour. Qu’elle grandisse, grandisse...
Une loi doit interdire tout travail - quel qu’il soit - non rémunéré au minimum du SMIC, comme cela avait été décidé par les pères fondateurs de notre République. De plus, les stagiaires doivent bénéficier des mêmes droits que les autres salariés, notamment auprès des prud’hommes. Il faut très vite mettre fin, sous peine d’explosion sociale, à cette nouvelle forme d’esclavage.
Que les stagiaires cessent de se sentir seuls, exploités, sans ressorts. Qu’ils sortent du silence où on les cantonne. Qu’ils rassemblent autour d’eux des millions de Justes. Qu’ils hurlent leur colère et leur révolte. Aucun progrès social n’est jamais venu sans une organisation forte, des revendications solides et un acharnement sans faille.
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