Taylor et sa critique de la politique économique européene
La lettre du PDG de Titan, ce plaisant Mr. Taylor, est tombée cette semaine comme un pavé dans la mare, le paragraphe délirant qui présente les salariés français comme des fainéants surpayés focalisant l'attention médiatique et déclenchant une juste indignation. Mais, si ce passage est sûrement le plus inadmissible et le plus ridicule, il n'est certainement pas le plus intéressant. Le plus intéressant dans cette lettre, c'est le passage où Taylor critique la politique économique de l'Union Européene.

Mais laissons parler le texte :
« Vous êtes un homme politique et vous ne voulez pas faire de vagues. Les chinois livrent des pneus en France - en fait dans toute l'Europe – et vous ne faites rien. Le gouvernement chinois subventionne tous les producteurs de pneus. Dans cinq ans, Michelin ne sera plus capable de produire des pneus en France. »
Ces quatre phrases reprennent autant d'arguments contre la construction européen telle qu'elle est (et non la construction européene en tant que telle, je préfère m'éviter tout de suite quelques accusations de nationalisme, racisme, etc) :
« Vous êtes un homme politique et vous ne voulez pas faire de vagues ».
C'est malheureusement vrai, critiquer l'Union Européene c'est se vouer aux gémonies politiques et médiatiques pour des mois : tout ce que ne cherche pas un homme politique.
« Les chinois livrent des pneus en France – en fait dans toute l'Europe – et vous ne faites rien. ».
On nous a vanté les mérites de la division internationale du travail, avec les pays-ateliers (avec au premier rang la Chine), les pays producteurs de matières premières (en Afrique notamment) et les pays de services (ça c'est nous). Mais il faut en accepter les conséquences : le démantèlement de l'appareil industriel des pays développés.
Nos élites ont applaudi à deux mains à la mondialisation. L'Union Européene est le meilleur défenseur de ce processus : après avoir détruit toute frontière entre ses pays membre, elle passe des accords de libre-échange bilatéraux avec de plus en plus de pays ( pour preuve le projet de lire-échange avec les Etats-Unis ). A terme, l'Union sera ainsi un marché absolument ouvert : le rêve de tout apôtre de la mondialisation. Donc, oui, elle ne fait rien pour empêcher les chinois de livrer des pneus en Europe et donc en France. Il ne faut donc pas s'étonner si les usines ferment, et si des PDG de grands groupes comme Titan qui ne cherchent rien d'autres que le profit (car, hors du monde des bisounours, on ne peut rien attendre de plus de leur part ) préfèrent investir dans des pays où la production leur coûtera moins cher (du fait de coûts salariaux mais aussi environnementaux, de sécurité, etc, plus élevés), du fait de l'absence de tarifs douaniers qui compenserait ces différences de coût.
« Le gouvernement chinois subventionne tous les producteurs de pneus. »
Oui, les autres grandes puissances comme la Chine (mais aussi les Etats-Unis, le Japon, etc) soutiennent leur économie. Par des subventions, mais aussi par la politique douanière (protectionnisme), monétaire (tous cherchent à baisser la valeur de leur monnaie pour améliorer leur compétitivité-prix sans avoir à pressurer les salaires et donc la demande intérieure) et budgétaire (via les politiques keynésiennes de relance par l'investissement public).
Mais, si ça marche, faisons de même ! Impossible : l'Europe nous en empêche. La politique douanière est impossible avec une Comission libre-échangiste, l'utilisation de la monnaie pour endiguer la crise est impossible avec une Banque Centrale cantonnée à la lutte contre l'inflation, la relance budgétaire est impossible avec le cadre étroit imposé aux finances publiques avec le semestre européen, le TSCG, etc.
Autrement dit : nous n'avons pas les même armes que les autres. Car ne nous voilons pas la face : cette économie mondialisée, c'est un combat. Economique certes, mais ça reste un combat : le combat de cette géniale libre concurrence, sensée nous apporter la prospérité.
« Dans cinq ans, Michelin ne sera plus capable de produire des pneus en France ».
La conséquence de ce qui précède : destruction des emplois industriels. Malheureusement, pas besoin de développer tant cette triste vérité est régulièrement démontrée par une énième fermeture d'usine.
Loin de moi l'idée de m'identifier à la pensée de Taylor (et encore moins à sa lettre). Mais je souscris à son analyse sur le fait que l'industrie française est abandonnée dans une lutte inégale, non pas du fait de son infériorité, mais du fait qu'elle est face à des industries qui elles sont soutenues par une Etat volontariste.
Mais changer cet état de fait nécessite une hérésie, que l'élite ne semble décidément pas prête à accepter : commencer par dire que l'Europe telle qu'elle a été faite est un échec.
Une fois cela fait, on pourra enfin la repenser.
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