Théories keynésiennes et protectionnisme
Voir l'économie de manière keynésienne, peut conduire quelqu'un à vouloir que, dans certaines circonstances, son pays ait recours à du protectionnisme pour relancer son économie. En effet, une idée importante de la vision keynésienne est qu'il faut tenir compte de la demande des consommateurs, quand on conçoit une relance : comment la demande des consommateurs pourrait faire rater la relance si elle n'est pas adaptée aux modalités de relance choisies, comment elle devrait interagir avec les autres grandeurs importantes et évoluer au cours de la relance, comment donc finalement on pourrait tenter d'agir sur la demande pour que la relance soit aussi réussie que possible. Or le protectionnisme est une action sur la demande des consommateurs du pays, voire du reste du monde (selon la manière dont on le conçoit), qui vise à modifier les modalités de la concurrence avec le reste du monde, en mettant par exemple des taxes sur les biens importés, voire des subventions aux exportations ou en dévaluant.
Dans certaines circonstances, il peut apparaître que la demande des consommateurs du pays est tellement tournée vers la production étrangère, en regard de la demande étrangère pour la production locale, que cela empêche de manière décisive la réussite d'une relance dans le pays, et le condamne donc à rester dans une situation de chômage de masse. Dans de telles circonstances, on peut trouver illusoires des propositions de relance basées uniquement sur une action sur l'offre des producteurs, comme la relance par la « rigueur » proposée par la droite libérale, ou la relance par « l'innovation » (et la spécialisation dans les services) proposée par une partie de la gauche. Illusoires, justement parce qu'elles ne cherchent pas à agir sur la demande des consommateurs, ou omettent dans tenir compte, et seraient finalement mises en échec par elle (« les faits sont têtus »).
Dès sa constitution dans les années 1930, puis tout au long de son histoire, le courant keynésien a perçu que le commerce extérieur est en relation étroite avec la demande des consommateurs locaux ou étrangers pour la production du pays, et donc, avec la plus ou moins grande réussite d'une relance. Les exportations sont évidemment le résultat de la demande des consommateurs de l'étranger pour la production du pays ; et presque aussi évidemment, les importations peuvent être le résultat d'une demande des consommateurs du pays qui se détourne de la production locale pour lui préférer une production étrangère.
Il n'est donc pas très étonnant que les théories keynésiennes comprennent depuis maintenant assez longtemps, plusieurs éléments sur lesquels on peut se fonder pour justifier un recours à du protectionnisme pour relancer une économie, ou même pour concevoir avec un certain niveau de détail, une relance qui userait de protectionnisme.
L'un de ces éléments, que j'avais présenté dans une première partie est la « loi de Thirlwall », formulée par Anthony Thirlwall à la fin des années 1970. Selon cette « loi », un pays qui se fixe un objectif élevé de création d'emplois, et donc de croissance, grâce à une relance forte, mais qui peut s'attendre à ce que la croissance de ses exportations ne soit pas aussi soutenue que celle qu'il voudrait pour sa production, doit s'assurer que baisse au cours de la relance la proportion de biens importés dans sa consommation, c'est à dire sa propension à importer, sous peine que sa relance ne fonctionne pas : parce que la production supplémentaire suscitée par la relance ne trouverait alors pas de débouchés suffisants, et parce que se creuserait un déficit commercial. Une fois fixé un objectif de création d'emplois, la réduction nécessaire de la propension à importer devient une fonction mathématique de l'augmentation attendue des exportations ; suivant cette fonction, la réduction nécessaire de la propension à importer est d'autant plus importante, que l'augmentation attendue des exportations est faible.
Un autre élément keynésien permettant de justifier et concevoir un usage du protectionnisme dans le cadre d'une relance, et qui sera le sujet de cette deuxième partie, est l'ensemble des différentes versions de « multiplicateurs keynésiens », apparues à partir des années 1930. Un multiplicateur keynésien est une mesure de l'efficacité pour relancer l'économie, de différentes impulsions qui peuvent être données à la demande pour la production locale.
La première version du multiplicateur keynésien, proposée par Richard Kahn en 1931, ne tient pas compte du commerce extérieur : l'impulsion envisagée est plutôt une augmentation des investissements des entreprises, suscitée par exemple par des facilités de financement, ou une augmentation de certaines dépenses de l'État ou des ménages, financées encore avec d'éventuelles facilités ; et l'efficacité des impulsions dépend seulement de la propension des gens du pays à épargner plutôt que consommer : plus la propension à épargner est importante, moins les impulsions sont efficaces.
Dès 1933, Roy Harrod propose une version du multiplicateur keynésien qui généralise celle de Kahn en tenant compte du commerce extérieur : l'impulsion donnée à la demande pour la production locale peut aussi être une augmentation des exportations ; et l'efficacité des impulsions dépend aussi de la proportion de biens importés dans la consommation des gens du pays : plus la propension à importer est importante, moins les impulsions sont efficaces.
En 1938 enfin, Colin Clark a la bonne idée d'attirer l'attention sur le fait que, lorsqu'on réduit la propension des gens d'un pays à consommer des biens importés, cela n'a pas seulement pour effet d'améliorer l'effet des autres impulsions qui pourraient être données à la demande pour la production locale : cela est aussi, en soi, une impulsion donnée à la demande pour la production locale, puisque cela a pour conséquence un report vers la production du pays, d'une partie de la demande des consommateurs du pays, tournée jusqu'alors vers des importations. Clark propose donc une version du multiplicateur keynésien semblable à celle de Harrod, à ceci près qu'elle voit aussi une réduction de la propension du pays à importer, comme une impulsion à la demande pour la production locale, à travers un report, et pas seulement comme quelque chose qui améliore l'efficacité des autres impulsions.
Dans ce billet je présenterai d'abord le principe du multiplicateur keynésien, puis ses versions de Kahn, Harrod et Clark.
Je montrerai ensuite comment la théorie du multiplicateur dans sa version de Clark s'applique au cas de la France d'aujourd'hui (2010).
Cette théorie permet d'exprimer la croissance qu'on voudrait qu'une relance crée dans le pays, comme une fonction mathématique de plusieurs paramètres : une impulsion initiale donnée par des investissements, une réduction de la propension du pays à importer, et un accroissement prévu des exportations. On peut alors fixer un objectif de croissance élevé, conséquence d'un objectif ambitieux de lutte contre le chômage. Puis on peut avoir recours à la loi de Thirlwall, pour exprimer la réduction nécessaire de la propension à importer comme une fonction de l'accroissement prévu des exportations.
Apparaît alors la grande complémentarité de la loi de Thirlwall et du multiplicateur keynésien dans sa version de Clark, qui quand on les combine permettent, une fois fixé un objectif de croissance, d'exprimer toutes les grandeurs liées à une relance comme des fonctions mathématiques du seul accroissement prévu des exportations : la réduction nécessaire de la propension à importer, mais aussi l'impulsion initiale nécessaire des investissements, l'impulsion initiale du report de la demande locale sur la production locale, l'impulsion initiale de l'accroissement des exportations, et l'efficacité de toutes ces impulsions initiales pour relancer l'économie (c'est à dire le multiplicateur).
En plus de celles de Harrod et Clark, une autre version intéressante du multiplicateur tenant compte du commerce extérieur, a été proposée autour du début des années 1950 par Richard Goodwin. Cette version permet d'envisager des relances simultanées dans le pays et dans le reste du monde : quelle est l'efficacité pour relancer l'économie du pays et celle du reste du monde, d'impulsions données simultanément à la demande du pays et à celle du reste du monde, par des investissements (ou dépenses de l'État ou des ménages) supplémentaires ; comment les relances simultanées dans le pays et dans le reste du monde interagissent : comment la relance du reste du monde stimule la demande du pays en augmentant ses exportations, comment la relance du pays stimule la demande du reste du monde, en augmentant les importations du pays. Par rapport à celles de Harrod et Clark, cette version du multiplicateur tenant compte du commerce extérieur, précise donc l'influence indirecte des investissements dans le pays sur ses exportations : les investissements dans le pays stimulent l'économie du pays et par là ses importations, ce qui stimule l'économie du reste du monde et par là les exportations du pays. Mais cette version, qui utilise les méthodes du calcul « d'analyse entrées-sorties » initiées par Leontief (et donc des matrices), est plus compliquée mathématiquement.
C'est pourquoi c'est seulement tout à la fin de ce billet que je la présenterai.
Le principe du multiplicateur keynésien.
Le principe du multiplicateur keynésien se base sur une vision simplifiée de l'économie d'un pays, comme un « circuit » dans lequel circule l'argent. Cette vision est illustrée par la figure 1.
Figure 1. Vision de l'économie à la base du principe du multiplicateur keynésien
Dans cette vision simplifiée, de l'argent est d'abord détenu par les acheteurs du pays ou étrangers, qui s'apprêtent à solliciter la production du pays, soit pour la consommer, soit pour l'accumuler (sous forme de capital). Cet argent constitue la demande pour la production du pays. Puis les acheteurs achètent des choses aux entreprises du pays, et sollicitent ainsi la production du pays. Puis les entreprises du pays vont distribuer l'argent qu'elles ont gagné : elles vont en donner une partie aux salariés, elles vont en donner une autre partie aux détenteurs du capital, et elles vont garder le reste pour elles-mêmes, pour financer en partie un accroissement et/ou une modernisation de leur appareil productif (leur capital). L'argent ainsi distribué constitue le revenu des résidents du pays. Une partie du revenu ne sera pas utilisée par ceux qui l'ont perçu pour acheter des choses au pays, par exemple ils l'épargneront ou achèteront des choses à l'étranger. L'argent qui n'est par réutilisé pour acheter des choses au pays constitue une « fuite » du circuit. L'autre partie du revenu, réutilisée pour acheter des choses au pays, ré-alimente donc la demande pour la production du pays, ce qui boucle le circuit.
Une impulsion donnée à la demande pour la production du pays, peut alors être : une augmentation des investissements des entreprises, des dépenses des ménages ou de l'État, suscitée par exemple par des facilités de financement pour ces investissements ou autres dépenses ; ou bien une augmentation des exportations ; ou encore un report de la demande des gens du pays vers la production du pays, plutôt que vers des biens importés vers lesquels elle était jusqu'alors tournée. Et l'efficacité des impulsions, ou autrement dit le multiplicateur keynésien, est l'accroissement de la production que les impulsions suscitent, en regard de leur ampleur.
La valeur du multiplicateur keynésien peut alors se calculer de la manière suivante. Soit Impulsions la valeur de l'accroissement de la demande pour la production du pays, suscité par des impulsions (mesuré en pourcentage du PIB). Cet argent va être utilisé pour acheter des choses au pays, suscitant une production supplémentaire dont la valeur est Impulsions. Puis cet argent sera distribué par les entreprises pour devenir des revenus supplémentaires. Soit Fuites la proportion du revenu qui n'est pas réutilisée par ceux qui le détiennent, pour acheter des choses au pays (mesurée en pourcents). La partie du revenu supplémentaire issu de l'impulsion, qui est réutilisée pour acheter des choses au pays, c'est à dire qui ré-alimente la demande, a donc une valeur de : Impulsions x (1 – Fuites). Cet argent va à nouveau solliciter une production supplémentaire dont la valeur est Impulsions x (1 – Fuites). Puis il sera distribué par les entreprises pour devenir du revenu supplémentaire. La part de ce revenu supplémentaire qui sera réutilisée pour acheter des choses au pays, aura alors une valeur de Impulsions x (1 – Fuites) x (1 – Fuites), soit Impulsions x (1 – Fuites)2. Ce qui suscitera encore une production supplémentaire dont la valeur est Impulsions x (1 – Fuites)2. Et ainsi de suite... Pour VP la production supplémentaire totale suscitée par les impulsions à la demande (mesurée en pourcentage du PIB), on a donc :
Grâce à une astuce de calcul(1), on peut obtenir finalement :
La mesure de l'efficacité des impulsions pour accroitre la production, qu'on appelle le multiplicateur, est donc la valeur 1 / Fuites. Plus le multiplicateur est élevé (donc plus les fuites sont faibles), et plus une impulsion d'une ampleur donnée aura une grande efficacité pour accroitre la production du pays.
Les versions de Kahn, Harrod et Clark du multiplicateur keynésien.
Les versions de Kahn, Harrod, et Clark, se différencient alors simplement par les fuites possibles et impulsions possibles dont ils tiennent compte.
Kahn ne tient compte que des impulsions données par des investissements, et des fuites dues à ce que les gens épargnent une partie de leur revenu au lieu de l'utiliser pour acheter des choses. Pour PT la proportion de leur revenu que les gens du pays épargnent (mesurée en pourcents), et K l'accroissement de la demande suscité par des impulsions d'investissements (mesuré en pourcentage du PIB), la version de Kahn du multiplicateur keynésien est :
Harrod tient compte aussi des impulsions données par des exportations supplémentaires, et des fuites dues à ce que les gens utilisent une partie de leur revenu pour acheter des biens importés. Pour VE l'accroissement des exportations (mesuré en pourcentage des exportations initiales), E les exportations initiales (mesurées en pourcentage du PIB), et PI la proportion de leur revenu que les gens du pays utilisent pour acheter des biens et services importés (mesurée en pourcents), la version de Harrod est :
Enfin, Clark envisage les effets d'une baisse de la propension du pays à importer, non seulement comme réduisant les fuites, mais aussi comme suscitant une impulsion sur la demande : le report d'une partie de la demande des consommateurs du pays, qui jusqu'alors était tournée vers des importations, et qui se tourne vers la production locale. Pour VPI la variation de la propension à importer (en pourcents), de valeur négative si cette variation est une baisse, et pour D la demande du pays (en pourcentage du PIB), c'est à dire sa consommation et son accumulation de capital, la demande supplémentaire suscitée par le report aurait pour valeur : (–VPI) x D. La version de Clark est alors :
Application du multiplicateur keynésien (dans sa version de Clark, et de manière complémentaire à la loi de Thirlwall), au cas de la France d'aujourd'hui.
La théorie du multiplicateur keynésien dans sa version de Clark permet donc d'écrire :
Les grandeurs caractéristiques de la situation de la France en 2010, ont les valeurs suivantes(2) :
- la production P du pays, c'est à dire son PIB, est égale à 100% du PIB ;
- les importations I du pays, sont égales à 36,6% du PIB ;
- les exportations E du pays, sont égales à 34,9% du PIB ;
- le solde courant S de la balance des paiements est égal à E – I, c'est à dire -1,7% du PIB ;
- la demande D des acheteurs du pays, est égale à P – S, c'est à dire 101,7% du PIB ;
- la propension à importer, PI, est égale à I / D, c'est à dire 36% ;
- la formation de capital dans le pays, A, est égale à 19,3% du PIB ;
- l'épargne T du pays est égale à A + S, c'est à dire 17,6% du PIB ;
- la propension à épargner du pays, PT, est égale à T / D, c'est à dire 17,3%.
En 2010, il y a aussi en France 4 millions de chômeurs plus ou moins officiels, et 25,5 millions d'actifs ayant un emploi(3). Si un plan de relance parvenait à redonner du travail à ces 4 millions de chômeurs, il ferait passer le nombre d'actifs ayant un emplois de 25,5 millions à 29,5 millions (25,5 + 4), ou autrement dit il ferait croitre le nombre d'actifs ayant un emploi de 15,7% (4 / 25,5). On peut penser que la production augmenterait elle aussi d'environ 15,7%, puisqu'un chômeur ne produit pas, alors que quelqu'un qui a un emploi produit.
Autrement dit la valeur VP de l'accroissement de la production, visée par un plan de relance ambitieux pour la France, devrait être d'environ 15,7%.
Par ailleurs, dans la première partie, sur la loi de Thirwall, cette « loi » m'avait permis de conclure que, étant donné un tel objectif de croissance de la production de 15,7%, pour qu'un plan de relance poursuivant cet objectif réussisse, il est nécessaire que :
Une fois fixés PI, E et VP, la réduction VPI de la propension à importer qui est nécessaire pour que la relance réussisse, devient donc une fonction mathématique du seul accroissement prévu VE des exportations.
A partir de tout cela, en faisant quelques calculs, il est même possible d'exprimer comme des fonctions du seul VE prévu (mesuré en pourcentage des exportations initiales), les autres grandeurs associées à une relance :
- la variation nécessaire VPI de la propension à importer (en pourcents), comme on l'a vu ;
- mais aussi l'impulsion des exportations sur la demande, VE x E (en pourcentage du PIB) ;
- l'impulsion du report d'une partie de la demande des gens du pays sur la production du pays, (–VPI) x D (en pourcentage du PIB) ;
- l'impulsion nécessaire K des investissements (en pourcentage du PIB) ;
- l'impulsion totale, VE x E + (–VPI) x D + K (en pourcentage du PIB) ;
- et le multiplicateur keynésien, qui mesure l'efficacité de ces impulsions, 1 / (PT+PI+VPI).
Ces fonctions sont représentées sur la figure 2.
Figure 2. Grandeurs associées à une relance réussie de l'économie française, selon la variation prévue des exportations au cours de cette relance.
Si au cours de la relance, les exportations augmentaient 2 fois moins vite que la production, elles augmenteraient de 7,9% (15,7 / 2). VE vaudrait donc 7,9% des exportations initiales. Les points au milieu des courbes correspondent aux valeurs des autres grandeurs dans ce cas : on aurait VPI = -3,5%, VE x E = 2,7% du PIB, (–VPI) x D = 3,5% du PIB, K = 1,6% du PIB, et un multiplicateur keynésien qui vaudrait 2.
Tous ces résultats doivent quand même être vus, plutôt comme ceux qu'on obtient pour illustrer une manière de penser, que comme les vraies valeurs des grandeurs liées à une relance en France, ou alors comme des approximations qui risquent d'être assez peu précises : car pour les obtenir je n'ai pas tenu compte d'une éventuelle variation des taux de change au cours de la relance, qui aurait pourtant des effets significatifs, et qui est assez probable (dans une note du billet sur la loi de Thirlwall, j'envisage un peu plus cette variation des taux de change).
En observant ces courbes, il apparait que l'impulsion initiale nécessaire donnée par les investissements est la même quel que soit l'accroissement prévu des exportations : la réduction de la propension à importer qui est nécessaire selon la loi de Thirlwall, suscite une impulsion initiale de report de la demande locale sur la production locale, qui compense exactement le manque d'impulsion initiale donné par une trop faible augmentation des exportations. Le problème de la non compensation de la faible hausse des exportations, par une baisse suffisante de la propension à importer, et le problème de la faiblesse des investissements, semblent donc être à peu près indépendants.
Il apparait aussi que quels que soient l'accroissement prévu des exportations, et la réduction nécessaire de la propension à importer, l'efficacité des impulsions initiales (mesurée par le multiplicateur) est à peu près la même. Autrement dit c'est bien plus par l'impulsion de report qu'elle suscite, que par l'amélioration qu'elle suscite aussi de l'efficacité des impulsions, que la réduction de la propension à importer contribue à une relance.
Et il apparaît enfin que, dans le cas de la France d'aujourd'hui, et pour un objectif ambitieux de croissance, les investissements nécessaires représentent environ un quart de l'impulsion initiale totale nécessaire, tandis que la somme des impulsions données par la baisse de la propension à importer et par la hausse des exportations représente les 3 quarts de l'impulsion totale nécessaire : ce qui suggère qu'aujourd'hui en France, la relance est bloquée par la non compensation de la faiblesse de la croissance des exportations par une baisse de la propension à importer, bien plus que par un manque d'investissements.
La version de Goodwin du multiplicateur keynésien.
La version de Goodwin du multiplicateur keynésien se base sur une vision de l'économie, illustrée par la figure 3, qui généralise celle à la base des versions antérieures de Kahn, Harrod et Clark.
Figure 3. Vision de l'économie à la base de la version de Goodwin du multiplicateur keynésien
Cette vision s'obtient en « raccordant » une représentation comme « circuit » de l'économie du pays et une représentation comme « circuit » de l'économie du reste du monde. Les « fuites » du circuit de l'économie du pays dues à ses importations, alimentent la demande pour la production du reste du monde. Et les « fuites » du circuit de l'économie du reste du monde dues aux exportations du pays, alimentent la demande pour la production du pays.
Les grandeurs rattachées à l'économie du pays sont les mêmes que précédemment : K, VE, E, PT, PI, VP. Les grandeurs rattachées à l'économie du reste du monde sont leurs analogues : KR est l'impulsion donnée à la demande pour la production du reste du monde, par des investissements (ou autres dépenses des ménages ou des États) supplémentaires dans le reste du monde ; VPR est la production supplémentaire dans le reste du monde ; PTR est la propension à épargner du reste du monde ; CE est la capacité du pays à exporter : part des exportations du pays dans le revenu du reste du monde.
Le multiplicateur keynésien dans sa version de Goodwin va alors mesurer l'efficacité des impulsions K et KR, pour susciter des accroissements de production VP et VPR. Il se calcule d'une manière analogue à celle vue précédemment, en plus compliquée.
Soient VP[n] la production supplémentaire du pays, suscitée par le n-ème tour de l'argent dans le circuit de l'économie du pays ; et VPR[n] la production du reste du monde, suscitée par le n-ème tour de l'argent dans le circuit de l'économie du reste du monde.
On peut poser :
On traduit alors ces équations sous des formes mettant en jeu des matrices, puis on fait des calculs analogues à ceux faits précédemment, à ceci près qu'ils s'appliquent à des matrices(4), puis on retraduit le résultat qu'on obtient sous une forme qui ne met plus en jeu de matrices, pour obtenir finalement :
Le multiplicateur keynésien dans sa version de Goodwin est une matrice qui contient les nombres qui, dans ces équations, permettent d'exprimer VP et VPR en fonction de K et KR.
Notes.
1. Le calcul du multiplicateur keynésien dans ses versions les plus classiques utilise l'astuce permettant de calculer une série géométrique :
2. Tous ces chiffres sont repris du billet sur la loi de Thirlwall, eux mêmes repris à l'INSEE et à la Banque de France, sauf la formation de capital dans le pays, qui est plus exactement la formation brute de capital (somme de la formation brute de capital fixe, de la variation des stocks, et de la variation des objets de valeur possédés). Selon l'INSEE, en 2010 la formation brute de capital vaut 374,1 milliards d'euros (373,3 + 0,2 + 0,6).
3. Ces chiffres sont à nouveau repris du billet sur la loi de Thirlwall, eux-mêmes repris de l'INSEE.
4. Le calcul du multiplicateur keynésien dans sa version de Goodwin, met en jeu des matrices et les constantes et opérations classiques du calcul sur les matrices (matrice nulle, matrice unité, somme de matrices, multiplication d'une matrice par un nombre, produit de matrices, inverse d'une matrice) ; il utilise l'astuce permettant de calculer une série géométrique de nombres, adaptée aux séries géométriques de matrices :
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