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Transition verte. Ne pas oublier le social

Ce texte constitue une version écourtée de l’exposé présenté le 07/12/09 auprès du forum réseau bruxellois intersyndical de sensibilisation à l’environnement (BRISE). Ce forum réunissait 200 délégués des trois syndicats représentatifs en belgique (FGTB, CGSLB, CSC).

Alors que, d’un point de vue environnemental, les mauvaises nouvelles s’accumulent (perte de biodiversité, risque de désertification et réchauffement climatique), il est intéressant d’essayer d’analyser les répercussions des débats sur la protection de l’environnement sur le discours économique. Cette problématique est aussi simple qu’importante. Comment penser la prospérité économique à l’heure du défi climatique ? Les concepts en économie ne tombent naturellement pas du ciel. Ils sont enfants d’une histoire. Ainsi en va-t-il du Produit intérieur brut (PIB).

Pour rappel, le PIB désigne la valeur totale de la production interne de biens et services marchands dans un pays donné au cours d’une année donnée par les personnes résidant à l’intérieur de ce pays. Et quand le PIB augmente d’une année à l’autre il y a croissance. Le PIB, comme nous le disions auparavant, a une histoire. Découvrons-la.

Jusqu’aux années trente, aucun système de comptabilité publique systématique n’existait. C’est après la grande crise de 1929 que l’américain Simon Kuznets ("Prix Nobel" d’économie en 1971) s’est vu confier la mission de dresser une comptabilité permettant de retracer la production et la création de revenus aux Etats-Unis. En 1933, pour sortir les Etats-Unis du marasme de la Grande dépression, l’administration Roosevelt décide de pratiquer un interventionnisme économique jusque-là inédit.

Petits problèmes PIB

Problème : pour discerner les effets en retour sur l’économie nationale de l’intervention étatique, il fallait que l’administration US dispose d’un outil de mesure de l’activité économique. Or, à l’époque, rien, dans l’arsenal des économistes, ne le permettait. Jusqu’aux années trente, les économistes utilisaient, chacun dans son coin, un nombre épars d’outils de référencement. Pour certains, les cours de bourse constituaient le sésame pour discerner les aléas de la conjoncture. D’autres se fiaient aux évolutions des chargements de wagons de marchandises. Rien donc de global ni de systématique.

Élément de contexte important : c’est dans l’urgence, vu la profondeur de la crise de 1929, que les comptes nationaux ont été développés. Et pour parer au plus pressé, Kuznets, en partenariat avec le Britannique Nicholas Stone ("prix Nobel" d’économie 1984), n’a pas cherché à faire autre chose que dresser l’état des lieux des flux monétaires au sein de l’économie américaine. En effet, le PIB constitue la somme des valeurs ajoutées. Et la valeur ajoutée, d’un point de vue comptable, constitue le solde du compte de production. C’est-à-dire la différence entre la production à prix constants et la consommation intermédiaire à prix constants. Pour ce qui est des services non-marchands, un petit problème se pose. Le non-marchand ne vend pas ses services au prix du marché. Donc, difficile de pratiquer un calcul de valeur ajoutée en établissant la différence entre consommations intermédiaires et productions finales. Conventionnellement, on estime que la valeur des services publics équivaut à la somme des coûts supportés pour leur mise en oeuvre.

Evidemment, cette focalisation, du point de vue de la mesure de l’activité économique, sur le seul échange monétaire entraîne certaines lacunes. Il s’en suit, par exemple, qu’un certain nombre d’activités productives de valeurs d’usage ne sont pas intégrées dans le calcul du PIB puisqu’elles ne donnent pas lieu à un échange monétaire et marchand. Ainsi en va-t-il du secteur informel et de l’ensemble des productions domestiques pourtant, dans bien des cas, essentielles au bien-être collectif. De facto, on constatera que l’addition de flux monétaires ne renseigne que très peu sur le caractère socialement souhaitable des productions donnant lieu à un échange.

De plus, le PIB ne nous renseigne pas sur la redistribution de la richesse créée. Par exemple, si l’on prend la peine de comparer quelques PIB par tête d’habitant à travers le monde1 , on s’apercevra que la Guinée Equatoriale, pays africain producteur de pétrole, dont les énormes disparités de revenu ne sont plus à démontrer, devance, dans le classement FMI des PIB par tête d’habitant, l’Argentine, pays latino-américain bien connu pour l’importance sur le plan statistique de sa classe moyenne.

Ces exemples indiquent que le PIB pose aujourd’hui de nombreuses questions. Quelles réponses apporte-t-on à ces dernières ?

Vers un PIB vert ?

Des projets de correction du PIB commencent à voir le jour. Ainsi, par exemple, le Comité d’experts des Nations unies sur la comptabilité environnementale-économique (en anglais, UN Committee of Experts on Environmental-Economic Accounting, UNCEEA) travaille à mettre en œuvre un système de comptabilité environnementale économique (SEEA). L’objectif du UNCEEA consiste à promouvoir l’utilisation du SEEA par les pays membres de l’ONU.

D’un point de vue strictement comptable, l’apport présumé du SEEA devrait résider dans la capacité à apporter des ajustements environnementaux au mode de calcul du PIB. De cette façon, il devrait être possible de passer du produit intérieur brut au produit intérieur net. Pour en arriver au PIB vert, l’UNCEEA entend donc défalquer du PIB classique la destruction et la dégradation de l’environnement.

Le serpent se mordrait-il la queue ? Car revoir à la hausse ou à la baisse un PIB suppose que, pour en modifier le flux, l’on dispose au préalable de données monétaires. Logique. Mais que faire dans le cas de l’environnement ? Quel prix, par exemple, pour l’air ?

Gare ! Si l’on n’y prend garde, avec la promotion du PIN, la marchandisation de l’environnement n’est plus très loin. A l’intérieur de la méthodologie PIB, défalquer l’usure du "capital" naturel, c’est aussi donner un prix à ce qui n’en a jusqu’à présent jamais eu. "Cela conduit à des monstruosités comme ce rapport récent qui évalue à 970 euros par hectare et par an la valeur moyenne à accorder aux écosystèmes forestiers métropolitains".2

Le PIB vert pose donc de sérieux problèmes de mise en œuvre. Car il n’existe ni marché ni prix pour l’ensemble des éléments constitutifs d’un écosystème. Bien entendu, il n’est en rien illégitime de développer une approche visant à identifier les coûts de la pollution. Mais plutôt que d’essayer d’attribuer un prix fictif à l’environnement, un certain nombre d’indicateurs pourraient évaluer le coût réel in concreto des différentes pollutions.

Par exemple, en évaluant leur impact sur les finances de la sécurité sociale. Cette liaison entre protection de l’environnement et progrès social n’est pas sans fondements. Ainsi, le think tank US Center for Economic Policy Research (CEPR) estimait dans un communiqué de presse du 20 novembre 2006 que "si l’Europe adoptait les pratiques US et augmentait son temps de travail annuel au niveau de celui des Etats-Unis, (...) elle consommerait 30 % d’énergie en plus".3 La tendance en vogue dans certains milieux consistant à miser sur le "capitalisme vert" pour relancer nos économies en crise ne mettra guère en avant ce genre de corrélations.

Le capitalisme dit vert, c’est le même que celui qui a raboté la part salariale à l’intérieur des PIB occidentaux depuis 25 ans et précarisé (flexibilisé) une frange non négligeable du salariat. Cette donnée reste trop souvent occultée par les thuriféraires d’un altercapitalisme bio.

Un capitalisme vert ?

Pendant longtemps, les milieux environnementalistes ont développé un discours critique à l’égard de l’entreprise. Aujourd’hui, changement majeur. L’entreprise est, dans certaines sphères de l’écologie politique, promue au rang de principal acteur d’une mutation qui pourrait réconcilier la logique marchande et la protection de l’environnement.

Pour le capital, un nouveau marché s’ouvre : celui des énergies alternatives, de la technologie et du savoir-faire écologique, de la production durable et tout ce que cela demande comme apport en matériel de production, de transport, de distribution. Il s’agit d’un marché encore relativement faible, mais en forte expansion. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) 4 prédit un marché fabuleux pour ceux qui y investiront des capitaux. "Aujourd’hui, le marché mondial en volume pour les technologies environnementales pèse environ 1000 milliards d’euros, selon l’entreprise allemande de consultants Roland Berger qui projette un marché de 2.200 milliards d’euros d’ici 2020."5

La philosophie du PNUE consiste en un soutien au secteur privé et attribue au public une mission de stimulation et de soutien aux investissements. L’idée est que le secteur privé prendra en charge la question environnementale dans la mesure où le marché "environnement" lui ouvrira de nouveaux débouchés pour l’accumulation de capital. Le PNUE entrevoit la possibilité d’investissement de l’ordre de 1% du PIB mondial dans les technologies vertes dans un avenir proche.

L’argument sur lequel misent ses partisans pour vendre le capitalisme vert au bon peuple réside dans son potentiel riche en emplois. Ainsi, selon le rapport conjoint PNUE-OIT intitulé "Emplois verts. Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone", on pourrait anticiper "2 à 3,5 millions d’emplois verts supplémentaires seulement en Europe et aux Etats-Unis. Le potentiel est beaucoup plus important dans les pays en développement. Un indicateur précurseur fiable de ce changement est la forte poussée du flux de capital-risque dans les technologies propres. Aux Etats-Unis, les nouvelles pousses se consacrant aux technologies propres constituent le troisième plus grand secteur après l’informatique et la biotechnologie. Elles pourraient à elles seules générer entre 400.000 et 500.000 emplois dans les années à venir. De même, le capital-risque investi dans les technologies propres a aussi plus que doublé en Chine et représente maintenant 19% de l’investissement total".6 Idyllique, le capitalisme vert ?

Voire. Ainsi, la Confédération européenne des syndicats (CES) rappelait que "cette appellation [NDLR d’emplois verts] renvoie pour le moment trop souvent à des jobs précaires, de basse intensité et de qualification, et d’attractivité faible".7 Et la CES de presser les gouvernements réunis à Copenhague de "de réviser l’analyse, l’organisation et la décision économiques pour prendre en compte le long terme et coupler l’écologique et le social".

Cela nous ramène au PIB vert et aux circonvolutions tortueuses qui tentent de lui faire voir le jour. Comment prendre le contre-pied de cette entreprise ? En réhabilitant le politique, par exemple. Avec pour ambition de constituer "une société qui viserait à maximiser de manière durable le bien-être de ses membres aurait à faire des arbitrages et à tenir compte des contraintes qu’elles se seraient fixées. Elle aurait à évaluer les effets sociaux utiles (…) de ses décisions, mais c’est par la délibération démocratique qu’elle déterminerait ses priorités et non en demandant à des technocrates de simuler des pseudo-marchés".8 C’est une manière d’envisager le lien entre le social et l’environnemental. Ce n’est pas, mais devait-on encore le préciser, celle du capitalisme dit vert.

 

Notes

1 International monetary fund, World Economic Outlook Database, October 2009.

2 "Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes" (URL : http://gesd.free.fr/biodiv.pdf) cité par Michel Husson, "Les indicateurs pour les nuls" in Politis n°1069, 24 septembre 2009.

3 CEPR, Long US Work Hours Are Bad for the Environment, Study Shows, novembre2006.

4 PNUE – Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP – United Nations Environment Programme).

5 Traduction de" At present, the global market volume for environmental technologies - products and services - runs to about €1,000 billion, according to German-based Roland Berger Strategy Consultants, with a projected €2,200 billion by 2020.".

6  PNUE-OIT, "Emplois verts. Pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone", p.15, septembre 2008.

7 CES, "Le changement climatique, les nouvelles politiques industrielles et les sorties de crise ", texte mis en ligne le 21/10/2009 (URL : http://www.etuc.org/a/6595. Date de consultation : 10 décembre 2009).

8 Michel Husson, op.cit.


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2 réactions à cet article    


  • plancherDesVaches 27 août 2010 16:40

    A l’auteur :

    Ne vous inquiètez-pas. Tout le monde a compris que le green-business est une mode pour récupérer du fric.
    Je comprends aussi votre besoin de récupérer le social, principalement sous forme d’aumône comme savent faire ceux qui veulent tenir les pauvres dans une condition identique, pour ratisser plus large.
    En plus, ça soulage la conscience.
    Que du bonheur...


    • xavier dupret xavier dupret 8 octobre 2010 22:03

      Pauv ’type

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