Un « Grenelle » de la propriété industrielle ?
Le Secrétaire d’Etat au Commerce extérieur et aux Entreprises Hervé Novelli vient de former au sein du CSPI (Conseil supérieur de la propriété industrielle) un groupe de travail « Inventions de salariés ».
Le thème des Inventeurs salariés et de leurs rémunérations a été retenu, avec d’autres thèmes, comme désormais prioritaire en matière de propriété industrielle.
La mission dévolue à ce groupe de travail est d’analyser la situation actuelle en France dans ce domaine, d’examiner les systèmes existant dans les principaux pays étrangers, et d’élaborer pour le gouvernement dans le courant de l’année 2008, un rapport de synthèse contenant des propositions.
Ce premier pas, notable et nouveau, est à saluer, même si ce groupe de travail ne comprend pas toutes les parties prenantes et, en particulier, les salariés au travers des organisations syndicales classiques et de l’Association des inventeurs salariés.
Il est à espérer que ce travail constitue la première étape vers un véritable « Grenelle » de la propriété industrielle.
La situation est maintenant bien connue, la France est en perte de vitesse dans l’innovation technologique. Il est temps de se pencher sur cette question car aucun groupe industriel français ne figure dans les 10 premiers déposants de brevets à l’OEB (Office européen des brevets) et à l’USPTO (US Patent Office).
Où doit-on chercher l’explication du manque d’intérêt des chercheurs salariés français envers les dépôts de brevet ?
Point n’est besoin d’aller imaginer comme on le fait souvent des explications philosophiques ou « culturelles » !!
Dans la plupart des cas l’ingénieur français n’a aucun intérêt financier à réaliser et protéger des innovations/inventions pour son entreprise : il ne dépose donc pas ou peu de brevet, celui- ci n’étant pour lui qu’une source de travail supplémentaire peu (ou pas du tout) rémunéré et de complications dont il peut fort bien se passer sans hypothéquer, bien au contraire, la suite de sa carrière.
Une analyse complète et édifiante sur la comparaison entre les sociétés Siemens et Alstom est disponible sur le site de l’AIS (Association des inventeurs salariés http://inventionsalarie.neufblog.com/)
Si le principe d’une rémunération supplémentaire pour les inventeurs salariés du privé est reconnu par la loi depuis 1990, aucun ou presque de ces systèmes dans le secteur privé ne définit un mode de calcul précis de la rémunération supplémentaire en fonction des retombées commerciales de l’invention (contrairement au mode de calcul précis défini pour les inventeurs fonctionnaires).
En pratique, on constate une totale anarchie du traitement des salariés inventeurs dans le secteur privé. De nombreuses entreprises surtout des PME, mais aussi de grands groupes persistent à ignorer leurs obligations légales et/ou conventionnelles dans ce domaine. Cela contraint les inventeurs, soit à renoncer à leurs droits légaux à rémunération pour ne pas être licenciés, soit à intenter des procédures longues et coûteuses entraînant quasi-automatiquement leur licenciement lorsqu’ils n’ont pas déjà quitté l’entreprise.
On constate une discrimination de traitement entre inventeurs de la fonction publique et inventeurs salariés du secteur privé.
L’Etat français a institué depuis 1996 un régime extraordinairement incitatif financièrement pour les seuls chercheurs fonctionnaires, afin de les motiver et de multiplier ainsi les dépôts de brevets par les laboratoires publics.
Cette mesure est un réel succès, par exemple, dans le cas du CNRS qui en dix ans a multiplié par trois ses dépôts de brevets grâce à cet intéressement et mérite une extension adaptée à l’ensemble de l’industrie. Le député UMP Michel Raison avait déposé un projet de loi extrêmement innovant sur le sujet en 2006 http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/amendements/3447/344700002.pdf , espérons que le groupe de travail du CSPI s’en inspirera.
Selon les sources de l’INPI (Institut national de la propriété industrielle), 90 % des inventions brevetées sont le fait d’inventeurs salariés, alors que dans le même temps les dépôts de brevets par les inventeurs indépendants ont diminué de 40 % en dix ans. Il est donc urgent de motiver et de récompenser les efforts des créateurs d’innovation de nos entreprises privées.
Si on écoute certaine déclaration du Medef, il ne devrait pas y avoir de problème.
Lors de la diffusion sur la chaîne parlementaire d’une émission sur Mme Parisot du Medef, le sujet des rémunérations extrêmement importantes de nos grands patrons a fait l’objet de sa part des commentaires suivants :
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Il est normal que le montant de la rémunération des managers de hauts niveaux soit directement proportionnel au résultat de l’entreprise.
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Finalement l’attention particulière sur le sujet est due à une part de jalousie.
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« Le talent doit être récompensé à sa juste mesure, sinon il risque de partir à l’étranger » (s’agissant des dirigeants d’entreprises, France Inter, février 2007)
Pour les inventeurs qui doivent passer par de longues et coûteuses actions juridiques pour obtenir une juste rémunération supplémentaire il y a de quoi sourire. De plus, la plupart des entreprises concernées par des actions juridiques sur les rémunérations supplémentaires des inventions refusent obstinément une quelconque proportionnalité avec le chiffre d’affaires réalisé avec les inventions concernées.
Quant à l’argumentation classique que cette proportionnalité conduirait à la ruine des entreprises françaises, il faut rester sérieux, on est loin malheureusement d’avoir des inventions de rupture en nombre important. C’est bien l’enjeu de cette réflexion.
L’ensemble des rémunérations supplémentaires proposées par la CNIS (Commission nationale des inventeurs salariés) ou accordées par la justice en 2006 représente moins d’1 million d’euros. Même si on multipliait par dix ce montant cela resterait inférieur au bonus annuel de certains remarquables managers (à titre d’illustration l’exemple cité dans Le Nouvel Observateur de décembre 2007 sur Bernard Charles, le patron de Dassault Systèmes, fort méritant par ailleurs, qui a levé en 2006 un tiers de ces stock-options pour un montant de 7 millions d’euros). On constate bien que le véritable problème n’est pas là.
Sans faire de procès d’intention à Mme Parisot, il y a une différence notable entre la théorie et la pratique.
L’entreprise est aussi finalement la victime d’une barrière idéologique voire d’une certaine jalousie d’une partie de ses dirigeants paradoxalement souvent salariés eux-mêmes.
Les véritables propriétaires des entreprises (petits actionnaires, fonds financiers, investisseurs institutionnels et banques) n’ont pas vraiment, en pratique, voix au chapitre sur le sujet et c’est bien dommage car finalement quels sont leurs intérêts ?
Il est évident que pour les propriétaires des entreprises il est logique d’encourager tout ce qui va permettre d’augmenter à la fois les parts de marché, la valeur et la réputation de l’entreprise. Il serait temps que les détenteurs du capital s’assurent de la bonne gouvernance de leurs entreprises.
La réputation des entreprises est aussi menacée par cette mauvaise gouvernance. Par exemple, les condamnations répétées des sociétés du groupe Pierre Fabre concernant les chercheurs réputés Cousse et Mouzin (http://jeanpaulmartin.canalblog.com/) jettent un peu de trouble sur cette société ainsi que sur sa fondation. Les affirmations de bonne gouvernance disponibles sur le site internet du groupe : « Sous l’impulsion de son président, le groupe met tout en œuvre pour que chacun de ses membres soit connu et puisse être reconnu. La politique de gestion de carrière a pour objectif l’épanouissement et la progression dans sa vie professionnelle » doivent faire sourire nos deux éminents chercheurs et sont difficilement toujours crédibles...
Il est curieux que les juristes de ces entreprises laissent exister une telle incertitude juridique, toujours potentiellement préjudiciable, car une minorité de salariés font quand même valoir leurs droits en justice.
Les agences de notation des entreprises, cotées ou non, devraient faire plus attention à ces dérives. La responsabilité sociétale des entreprises inclut aussi un traitement juste des salariés.
Soyons positifs, espérons que les nouvelles perspectives ouvertes par ce petit « Grenelle » vont permettre à l’innovation de prendre un nouveau départ pour le bienfait de notre pays et que le bon sens triomphera. L’enjeu est important car l’avenir de notre économie passe par le développement de nos capacités d’innovation.
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