Un ministre qui déraille...
SNCF, 4 lettres pour un symbole national du service public auquel la France est attaché depuis longtemps, mais aussi parfois l’objet d’incohérences, dues souvent au ministre des transports.
Récemment, une nouvelle affaire éclatait avec la commande de trains non adaptés aux quais de toutes nos gares, ce qui va provoquer une dépense de plus de 50 millions d’euros…
Pourtant droit dans ses bottes, Frédéric Cuvillier, secrétaire d’état aux transports affirme qu’il n’y a pas eu d’erreur dans les commandes de trains par la SNCF, et que tout ça est « la faute à l’Europe » qui s’est mis logiquement en tète de normaliser la taille des quais, mais on est sur d’une chose, il faudra raboter un millier de quais. lien
Jusqu’à ce jour, la taille des quais était variable à quelques centimètres près, rappelle-t-il, sauf qu’il aurait mieux valu, en haut lieu, mettre tous ces quais aux normes avant de commander les nouveaux trains.
Mais que sont 50 millions face aux milliards que le ministre envisage de gaspiller pour mettre en route des grands projets inutiles ?
L’un des désastres annoncés les plus calamiteux est le Lyon-Turin.
Il va provoquer un gaspillage d’au moins 30 milliards d’euros, sans le moindre espoir de rentabilité.
En 1997 les opposants au projet avaient pu, grâce à une expertise indépendante financée par la région Rhône-Alpes, démontrer que le bien fondé du projet était loin d’être prouvé. lien
Quelques années après, la table ronde sur le fret ferroviaire organisée par les opposants à Brégnier Cordon (Ain) était arrivée à la conclusion que, si les transporteurs n’étaient pas hostiles au fret ferroviaire, ils n’entendaient pas l’utiliser parce que trop lent et trop cher, en deux mots : pas fiable.
Il fallait pour les convaincre une technologie novatrice qui permette de charger et décharger les marchandises en moins de 6 minutes, franchir des pentes d’au moins 3%, et rouler à bonne vitesse, ce qui est possible aujourd’hui grâce à R-Shift-R, une technologie qui a obtenu récemment le premier prix de l’innovation en matière de transport. lien
Il faudrait aussi transformer le réseau existant pour en supprimer la quasi-totalité des nuisances, suivant la technologie développée au Brenner, en Autriche. lien
Aujourd’hui, la SNCF a agrandi le tunnel ferroviaire du Fréjus, afin de permettre les convois de fret, et elle entend moderniser la ligne existante, mais il faudrait aller au-delà des quelques transformations prévues en engageant une petite partie de l’argent nécessaire au Lyon-Turin.
Le 23 janvier 2010, tous les opposants aux grands projets inutiles imposés se réunissaient à Hendaye, publiaient une charte, et le Lyon-Turin y était en bonne place. lien
Le 10 décembre de la même année, les opposants alertaient la Cour des Comptes, lui donnant par courrier tous les éléments prouvant que le projet était surestimé en ce qui concernait le nombre de voyageurs transportés et le fret espéré, et qu’il était sous estimé sur son cout : 12 milliards pour les promoteurs, et 26 milliards selon les opposants.
Ils indiquaient aussi que la ligne historique était, pour le fret, largement sous exploitée (18% de ses capacités), et qu’au lieu de l’augmentation exponentielle du fret affirmée par les promoteurs du projet, celui-ci stagnait depuis des années.
Et c’est en 2013 que la même Cour des Comptes publiait un rapport indiquant que le projet Lyon-Turin devait être remis en cause confirmant les dires des opposants.
Extrait :
Constatant que « les couts prévisionnels sont en forte augmentation. L’estimation du cout total est en effet passée, en euros courants de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards d’euros (…) le risque de saturation des infrastructures existantes n’est aujourd’hui envisagé qu’à l’horizon 2035. Enfin, associée à une faible rentabilité socioéconomique, la mobilisation d’une part élevée de financements publics se révèle très difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel ». lien
A cette lecture, le député Dominique Dord, constatant la convergence de cette analyse avec celle des opposants, décida de ne plus soutenir ce projet, évoquant un « abus de confiance ». lien
Dans la foulée, il proposa entre autres « de rénover la ligne historique pour les marchandises le long du lac du Bourget, de la caréner et la couvrir afin d’en réduire les nuisances pour un cout estimé de moins de 700 millions d’euros loin des 30 milliards du Lyon Turin ». lien
Avant ça, il y avait eu le rapport « mobilité 21 » présidé par le député Philippe Duron. lien
Extrait : « la commission considère que la dimension européenne et singulièrement l’inscription au réseau européen de transport (RTE-T), malgré toute son importance, ne peut être le seul critère déterminant dans l’établissement des priorités. D’autres aspects sont à prendre en compte tels que la lutte contre la fracture territoriale, l’amélioration du transport du quotidien, la contribution à la transition énergétique et écologique ou encore les performances économiques et sociétales ». lien
Faisant le tri parmi les 70 projets à 245 milliards contenus dans le SNIT (schéma national des infrastructures de transport) la commission rejetait à plus tard le projet. lien
Elle l’a en effet considéré comme « non prioritaire ». lien
Considérant que ce projet pharaonique n’était pas finançable, elle signait implicitement la fin de ce grand projet inutile.
Mais il y a mieux.
Récemment on apprenait qu’une commission, voulue par le parlement européen, chargée d’analyser ce projet, publiait un rapport resté confidentiel jusqu’il y a peu, dans lequel elle conseillait d’abandonner le volet fret du projet, et de valoriser la voie historique, enlevant ainsi au projet le peu d’intérêt qui aurait pu lui rester. lien
Dans ce rapport on pouvait en effet lire à la page 11 : « les participants sont convenus de la nécessité de réactiver la ligne existante pour qu’elle devienne l’axe ferroviaire principal pour le transport des marchandises entre la France et l’Italie ». lien
L’information fut donnée par le site « Reporterre », animé par Hervé Kempf, l’ancien patron du journal « Le Monde », et elle provoqua de la part de la commission européenne une réaction pour le moins surprenante, puisque, contre toute attente, deux jours après cette publication, elle affirmait son soutien au projet lien
Dans la foulée, le ministre des transports vient de valider l’ouverture du chantier, alors qu’il avait fait savoir que : « le gouvernement suivrait les recommandations du rapport de la commission Mobilité 21 ». lien
Décision pour le moins surprenant d'autant que les opposants au projet ont déposé un recours suspensif en Conseil d’Etat, (lien) lequel vient de le valider, donnant 3 mois à l’état pour répondre point par point aux objections des contestataires.
Auparavant, ils avaient porté plainte pour pratiques douteuses, mettant en doute la sincérité de l’enquête d’utilité publique. lien
Plus grave, il faudrait s’interroger sur le financement de ce chantier, qui avance depuis 20 ans à la vitesse d’un tortillard.
Depuis tout ce temps, les promoteurs n’ont toujours pas réussi à boucler un budget, et « les possibilités de financement n’ont jamais été aussi floues » comme l’affirme Lionel Steinmann dans les colonnes des « Echos », ajoutant : « la recherche d’économies tous azimuts ne semble guère propice à un engagement direct du budget de l’état (…) si le gouvernement tient vraiment à ce projet, il lui faudra trouver des réponses d’ici à février 2015 ».. lien
Décidément ce gouvernement ne cesse d’étonner.
Il vient de se prendre une deuxième claque à l’occasion des élections européennes, touche le fond de l’impopularité, ne cesse de faire le contraire de ce qu’il promettait, et valide un projet pharaonique et inutile de 30 milliards alors que les dettes s’accumulent dans le pays, et que la misère ne cesse de gagner du terrain.
Comme dit mon vieil ami africain : « celui qui avale une noix de coco fait confiance à son anus ».
Le dessin illustrant l’article est de Raymond Burki
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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