Vins : à l’Est du nouveau
Trois nouvelles importantes en provenance d’Allemagne peuvent encore changer la donne dans le contexte d’une viticulture française en quête de solutions pour sortir de la crise qu’elle subit depuis bientôt dix ans.
Ces nouvelles proviennent d’articles récents du « Welt on Line ». Pour les non-germanistes le journal Die Welt, en version papier, est un peu l’équivalent du Monde français : le journal le plus « sérieux » d’Allemagne (avec l’hebdomadaire Der Spiegel). On peut dire que ces deux publications font référence outre-Rhin.
Je vais essayer de résumer, en les commentant quelque peu, l’essentiel de ces articles, libre à vous d’en lire l’intégralité sur le site www.welt.de si vous maîtrisez la langue de Goethe :
1re nouvelle : "Spitzenwinzer bieten ihren Wein bei Aldi an" soit : "Les vignerons « haut de
gamme » proposent leurs vins chez
Aldi". Cela veut dire qu’Aldi
(Sud Allemagne) va élargir sa gamme habituelle en vins de qualité courante (de
moins de 2 à juste 4 €) à des vins de qualité supérieure, allant de 6 à 8 €,
ouvrant ainsi, comme le dit Ernst Bücher du DWI
(Institut allemand
du vin), « la segmentation supérieure à une nouvelle
concurrence » .
Remarque 1 : rien d’étonnant à cela : le prospect
allemand, même aisé, toujours à l’affût d’une bonne affaire (voir mes articles
précédents), fréquente régulièrement le « hard discount », après
avoir « pris l’air » dans la boutique du caviste voisin, où les
bouteilles hors de prix ne font souvent plus que de la figuration .
Remarque 2 : enfin les viticulteurs français vont
pouvoir élargir leur gamme d’offre, la zone prix de vente 3,80 € (prix de vente
moyen en Allemage) était trop restrictive pour exprimer, à de trop rares
exceptions près, la richesse de l’offre française.
Rappel : le hard discount (surtout) et les
supermarchés de proximité représentent 80 % des ventes sur le marché allemand.
2e nouvelle : "Deutscher Wein wird zum
Exportschlager" soit "Le vin allemand devient un ’hit’ de l’export".
Alors qu’une certaine morosité règne encore sur le vignoble français, les vins blancs allemands gagnent de plus en plus de parts de
marché : Schindler (Steffen) également du DWI a listé les exportations
allemandes en la matière : total export de la branche : 290 millions
d’hectolitres pour une somme de 561 millions d’euros. Et ce avec la méthode pratiquée à tous les niveaux par la machine
export allemande : on se sert d’un produit-phare, ici le riesling* avec un
prix et une qualité (!) correspondant aux attentes du marché (de 2 à 4 €)
pour ancrer et élargir son offre. Comme je l’ai souligné dans l’un de mes articles précédents, les viticulteurs
français feraient bien de s’inspirer de cette méthode.
Remarque 1 : les principaux marchés de l’Allemagne en
la matière sont dans l’ordre : 1/ le Royaume-Uni, 2 / les Etats-Unis, 3/ Les
Pays-Bas, on pourrait en tirer bien des conclusions, mais ce n’est pas à l’ordre
du jour.
Remarque 2 : étant donné la zone de prix, il s’agit du marché des
« vins de bébé » (expression du « Weinkritiker » S. Pigott,
voir mes articles précédents). En France, on préfère le terme de "vins de plaisir" c’est-à-dire faciles et sans histoire(s) !
3e nouvelle : the last but
not least "Wie deutsche Winzer von der
Klimakatastrophe profitieren" autrement dit : "Comment les viticulteurs
allemands profitent du changement climatique".
Effet pervers de l’effet de serre : l’Allemagne se
réchauffe : certains cépages, tels le merlot et le cabernet sauvignon en
profitent et s’y adaptent avantageusement... le fameux pinot noir de la Bourgogne française va bientôt être
concurrencé part le burgunder allemand ; ce qui impliquerait que les viticulteurs d’outre-Rhin (et Moselle) étendraient leur appellation burgunder, fer de lance du blanc en consommation intérieure, au rouge qu’ils considèrent déjà comme pouvant supporter la comparaison avec nos meilleurs crus (ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui). Toujours pour les non-germanistes la traduction littérale de "burgunder" est... bourgogne, de quoi entretenir le doute !
Autrement dit : les vins rouges allemands veulent
maintenant jouer dans la cour des « grands » : aux viticulteurs
français de jouer leur carte et de relever le défi !
Remarque 1 : autre effet pervers : la culture du riesling va pouvoir s’étendre à l’ex-Allemagne de l’Est et compléter ainsi les quantités déjà insuffisantes à couvrir la demande des vins blancs allemands à l’export ! Alors qu’en France on ne sait plus quoi faire de nos surplus !
Remarque 2 : les cépages « résistants » merlot et cabernet sauvignon étant d’origine française, il serait peut-être bon de profiter de la dynamique engendrée par cette nouvelle concurrence pour parler cépages (à égalité avec appellation) sur les étiquettes françaises, cela parlera mieux aux consommateurs moyens d’outre-Manche et d’outre-Atlantique et ne pourra nuire à l’identité de l’élite de nos crus dont les positions sont, à mon avis, inexpugnables pour encore très longtemps.
En guise de conclusion : ces indications doivent servir d’orientation et d’aiguillon aux viticulteurs français soucieux d’exporter leurs produits en Allemagne. Qu’ils gardent en mémoire une donnée importante : même si les Allemands produisent et vendent plus à l’export, le label "France" est contre vents et marées (c’est-à-dire contre le travail de sape exercé dans le passé par des négociants peu scrupuleux) encore très apprécié outre-Rhin. Et qu’ils profitent de la bonne nouvelle : le hard-discounter Aldi a ouvert une faille dans la forteresse des prix : il serait dommage de ne pas profiter d’une occasion qui va probablement s’étendre à la totalité du marché ; alors montez au créneau, et en ordre groupé, même si cela ne correspond pas à l’esprit individualiste typiquement français : la réussite est aussi à ce prix !
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