Voyage aux pays de la crise
Comme Erik Orsenna - qui nous fait voyager aux pays du coton dans son livre éponyme - je vous propose un rapide tour d’horizon des pays qui vont très mal. Et ils sont nombreux. Sans parler de la Somalie ni du Zimbabwe qui connaissent actuellement des conditions humaines dramatiques (des milliers de morts par la faim et les maladies), de nombreux pays dans le monde sont dans des situations économiques désastreuses, sans précédent depuis au moins 75 ans.
États-Unis : les banques zombies
Impossible de ne pas commencer par la cause du problème : c’est bien-sûr aux États-Unis que l’augmentation incontrôlée de la dette a été la plus forte. L’explosion de la bulle immobilière et la crise financière y ont été tellement violentes que les pertes des banques pourraient atteindre 3600 milliards de dollars, selon Nouriel Roubini, économiste désormais célèbre pour avoir prévu cette crise dès 2006. « Si c’est le cas, cela signifie que le système bancaire US est effectivement insolvable, car il ne dispose que de 1400 milliards de capitalisation. » La plupart des banques américaines ne sont donc encore en activité que parce qu’elle n’ont pas encore comptabilisé ces pertes. Georges Soros, investisseur milliardaire, a déclaré ce lundi 23 février : « Nous assistons à l’effondrement du système financier ». Pour lui ces turbulences économiques sont plus sérieuses que la dépression des années 30 et il a comparé la situation actuelle à celle de la fin de l’empire soviétique. Avis partagé par Paul Volker, ancien président de la Banque Centrale des États-Unis et actuel conseiller de haut rang du Président Obama : « Je ne me souviens pas que les choses se soient effondrées aussi rapidement et uniformément dans le monde entier, ni même pendant la Grande Dépression ».
Chine et autres exportateurs : chômage technique
Cette crise étant une profonde remise en question pour tous, comme l’explique de manière imagée mais pertinente Bill Bonner, la demande pour certains produits finis (voitures, téléphones, électroméngaer, textile, jouets...) ou intermédiaires (composants électroniques) s’est effondrée. Ceci impacte très fortement la Chine, dont la croissance est d’environ zéro depuis mi-2008 (peut-être en-dessous) ce qui a conduit des dizaines de millions d’ouvriers migrants à rester cultiver des champs au lieu de retourner travailler en usine après les congés annuels, ces usines ayant fermé par milliers. Les exportations, et donc la production, sont aussi en net recul chez d’autres pays exportateurs comme Taiwan, la Corée, Singapour et le Japon.
Europe de l’est : crise de financements
Pendant les quinze dernières années, la forte croissance de l’Europe de l’est a été favorisée par de grands investissements financés par des banques d’Europe de l’ouest en monnaie d’Europe de l’ouest. Soudain, la demande a ralenti et les investisseurs ont massivement retiré leurs capitaux, entraînant une chute des monnaies non arrimées à l’euro, comme le Hryvnia ukrainien, le Forint hongrois ou - plus près de nous - le Zloty polonais qui a perdu un tiers de sa valeur en 5 mois par rapport à l’euro et au franc suisse. Or, 60% des emprunts immobiliers polonais ont été souscrits en francs suisses (les emprunteurs ayant voulu profiter de taux plus bas mais ils viennent de perdre beaucoup plus que les quelques pourcents économisés jusque là). A moins que leurs monnaies ne remontent vite, nombre d’emprunteurs, particuliers et entreprises, vont faire défaut en Europe de l’est, entraînant des banques, voire mêmes des Etats à la faillite. Ceci est un risque de plus pour les prêteurs de l’ouest.
Irlande, Royaume-Uni et Espagne : effondrement d’une énorme bulle immobilière
On a construit beaucoup trop de logements (achetés à crédit), surtout en Espagne, ce qui a créé l’illusion d’une croissance durable. Une chute du PIB de 10% dans ces trois pays paraît un minimum avant une éventuelle stabilisation. L’Irlande, peut-être parce qu’elle est entrée en récession la première et que son déficit public dépassera 10% du PIB la première, l’a déjà admis et a commencé à "répartir" cette baisse : les traitements des fonctionnaires ont été diminués de 7,5%. Une hausse des impôts aurait peut-être été plus pertinente dans ce pays où ils sont très bas, mais c’est déjà un exemple courageux (et n’ayez aucun doute là-dessus) : on ne sortira de cette crise que lorsque l’on aura accepté d’abandonner une partie de notre niveau de vie.
Italie : premier pays à quitter la zone euro ?
Ce pays qui possède une grosse industrie exportatrice subit comme les autres la dépression mondiale, mais en plus il y était très mal préparé : déficit public déjà proche de 3% du PIB pendant les bonnes années (ça vous rappelle un de ses voisins ?), dette publique déjà supérieure à 105% du PIB, perte de compétitivité, un clown au pouvoir... En conséquence, les investisseurs exigent un taux d’interêt de plus en plus élevé pour financer cette dette : 4,5% alors qu’ils prêtent à 3% seulement à l’Allemagne (soit 50% d’écart alors que c’était moins de 10% d’écart il y a un an, comme le montre ce graphique emprunté à Jean-Pierre Chevallier). La menace est claire : il y a une probabilité croissante pour que soit l’Italie fasse défaut, soit elle quitte la zone euro et dévalue fortement sa monnaie.
Japon : effondrement général
Prenez les problèmes de l’Italie, multipliez les par deux : vous venez d’atterrir au Japon ! Déjà une dette publique de 194% du PIB et une déflation interminable qui n’aide pas à réduire ce ratio. Et enfin, une production industrielle qui vient de s’effondrer d’un tiers, essentiellement au cours des quatre derniers mois. C’est un cataclysme pire que les pires heures de la Grande Dépression aux États-Unis ! Avec la baisse du PIB, la dette deviendra vite insoutenable. La hausse du yen, due au dénouement des positions de carry trade et autres spéculations "chartistes" (vous savez "l’analyse technique" qu’utilisent les traders et qui dit - en gros - que si ça monte ça va continuer, et inversement), ayant causé cette chute brutale (plus forte qu’ailleurs), seule la baisse du yen, qui relancerait l’inflation, diminuant ainsi le poids de la dette par rapport au PIB, et redonnerait de la compétitivité à des firmes comme Toyota ou Sony, permettrait de ralentir la catastrophe. Celle-ci me paraît donc inévitable dès que les traders arrêteront de considérer le yen comme une valeur refuge en temps de crise.
Allemagne : victime de l’arrêt des investissements
Je terminerai par l’Allemagne, premier exportateur mondial, pour illustrer les effets de la panne d’investissements dans le monde. Les PME allemandes fournissaient de nombreuses machines aux usines (notamment chinoises) pendant la période de croissance, quand soudain la demande s’est effondrée. En effet, en période de décroissance, les usines n’ont pratiquement besoin d’aucune machine, pas même pour remplacer les anciennes et maintenir le niveau de production, puisque celui-ci décroît. La demande à l’industrie allemande peut potentiellement chuter très bas et très vite. Le PIB total a déjà baissé de 2,1% au quatrième trimestre 2008 par rapport au troisième et une chute de plus de 5% sur l’ensemble de 2009 n’est plus exclue par le chef économiste de la Deutsche Bank.
Et la France dans tout cela ?
Elle a un peu des problèmes de chacun, mais chacun en moins grave. Il faut avouer que le fort poids de l’Etat et des transferts sociaux dans l’économie, qui l’empêche de croître aussi vite que ses voisins pendant les bonnes périodes, l’empêche aussi de décroître trop vite quand cela va mal. Les indemnités chômage notamment évitent aux revenus et donc à la consommation de soudain s’effondrer quand beaucoup perdent leur emploi. Mais cela se fait au prix d’un déficit public qui augmente vite, très vite. Ceci constitue un fort plan de relance de fait (que les économistes appellent "les stabilisateurs automatiques"), supérieur à 70 milliards d’euros, puisque le déficit public sera passé de 50 milliards en 2007 à plus de 120 milliards en 2009.
En conclusion de ce rapide tour du monde, la soudaine baisse, de l’ordre de 20%, de la demande pour les biens manufacturés dans le monde crée instantanément des surcapacités énormes dans la plupart des secteurs, qui ont au moins trois conséquences :
- potentiellement 20% des emplois industriels peuvent être détruits très vite, comme le montre la hausse à une vitesse sans précédent du chômage, en France comme ailleurs, et ce alors que le bâtiment n’a pas encore commencé à détruire d’emplois (il devrait vraisemblablement détruire en quelques mois les plus de 200 000 emplois créés pendant la bulle immobilière)
- une baisse de la consommation de matières premières, qui certes réduira la pollution industrielle et les émissions de CO2, mais aura des conséquences graves sur les pays exportateurs non diversifiés (comme la Russie dont les recettes fiscales vont baisser de 32% cette année)
- l’arrêt des investissements et donc une brutale chute de la demande en équipements
www.NonALaDette.fr
13 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON