Adieu pibales
La pibale, alevin de l’anguille, est en voie de disparition et par voie de conséquence, l’anguille aussi. Afin d’enrayer le mécanisme, l’INRA, l’IFREMER et les pêcheurs travaillent ensemble pour préserver l’or blanc qu’est la pibale.
La pibale ou la civelle est l’alevin (ou leptocéphale) de l’anguille, c’est à dire la toute petite anguille qui revient de la mer des Sargasses. Elle est minuscule, presque transparente.
Contrairement aux autres migrateurs qui reviennent pour frayer en eau douce, c’est dans la Mer des Sargasses, située dans l’océan Atlantique, au creux des deux Amériques, au nord des Antilles , que les anguilles pondent.
L’anguille est un poisson amphihalin (vivant en eau douce et en eau salée), et sa migration passe par les estuaires. L’anguille naît et meurt dans la mer des Sargasses.
L’anguille fait partie des animaux anciens. Elle est moins évoluée que la truite ou le bar. Il y a même une théorie faisant le parallèle entre la migration de l’anguille vers les Sargasses et la dérive des continents. Elle irait ainsi toujours plus loin sur ses anciens lieux de fraie.
La larve, aidée par les courants (Gulf Stream...), entame une traversée de près de 6 000 km qu’elle effectue semble-t-il en un peu moins d’un an, pour arriver civelle sur nos côtes vers la fin octobre et jusqu’à avril-mai, avec un pic en janvier-février.
Elle mesure alors de 55 à 75 mm et pèse entre 0,20 et 0,30 g.
Elle est attirée par l’eau douce des fleuves et rivières débouchant en mer, au niveau des estuaires. C’est donc là que le pêcheur l’attend.
Cette pêche était le privilège de l’éclusier.
La pibale aime surtout l’eau saumâtre, bien riche, et chargée en micro-organismes. De fortes pluies, ou la fonte des neiges donnent une eau trop claire, peu propice à la pêche.
Jusqu’aux années 1970, appelées " plat du pauvre " les civelles ou pibales étaient en surpopulation, n’avaient aucune valeur financière, et étaient consommées d’octobre à avril par tous.
Dans une grande partie de l’Espagne et du sud-ouest de la France, la pibale est considérée comme un mets très fin lorsqu’elle est légèrement frite et servie en caquelon. Avec un prix avoisinant parfois 1 000 euros le kilo payé au pêcheur , la pression halieutique, est très forte sur cette espèce que l’on ne sait toujours pas faire se reproduire en captivité.
La demande croissante de l’aquaculture asiatique, la pollution, le braconnage, font que la pibale est en voie de disparition.
La pêche de la pibale est donc soumise au
Plan de gestion anguille de la France
En ce qui concerne le stade " civelle ", trois techniques de pêche sont couramment utilisées :
- Le pibalour
Seuls les marins pêcheurs détenteurs d’une licence " C.I.P.E. " sont autorisés à utiliser cette technique dans l’estuaire sous réglementation maritime. Cet engin est constitué d’un ou deux cadres métalliques supportant un filet de maille de 1,5 mm à moins de 1 mm dont la surface ne doit pas excéder 7 m2. Le principe de la technique est de pousser à contre-courant ces filets poches.
- Le tamis
Le tamis est une sorte de grande épuisette de forme circulaire ou ovale dont le diamètre autorisé est de 1,2 m pour les professionnels et de 0,5 m pour les amateurs. Le maillage est de 1,5 mm. Les marins pêcheurs, les pêcheurs professionnels fluviaux ainsi que les pêcheurs amateurs aux engins peuvent avoir recours à cet engin. Cette technique consiste à manier le tamis à la main depuis un bateau ancré (obligatoire en zone de pêche maritime) ou depuis la berge. Il s’agit d’écrémer les civelles à la surface de l’eau lors du flot et de la renverse de la marée.
- Le drossage
A partir du 1er janvier 1996, la technique du drossage a été autorisée aux seuls pêcheurs professionnels dans la zone fluvio-estuarienne Garonne-Dordogne-Isle sous réglementation fluviale.
Cela concerne donc les professionnels fluviaux et les marins pêcheurs autorisés à entrer dans la zone dite mixte. la technique consiste à pousser deux tamis circulaires d’un diamètre inférieur à 1,2 m et d’une profondeur de 1,3 m, de chaque côté d’une embarcation ne dépassant pas 8 m et avec un moteur de 100 CV bridé à 60 CV. Le maillage utilisé est le même que pour les pibalours.
Cette pêche à pied, pratiquée depuis la nuit des temps, n’a pas évolué sur le principe. Le pêcheur a toujours recours au traditionnel " tamis ".
La pêche à la pibale est autorisée lors de sa remontée des cours d’eau du 1er novembre au 31 mars et le braconnage est étroitement surveillé ! Quant aux zones de pêche, elles sont bien sûr limitées et des licences spéciales sont accordées.
Cette pêche se pratique en général la nuit, de préférence par temps doux avec un vent de sud-ouest.
Lors de leur migration aller (de la mer vers les cours d’eau douce), les civelles se déplacent en cordon et cherchent à remonter le courant.
Lorsque la marée montante fait entrer les civelles dans les canaux et rivières, le pêcheur, éclairé par une lampe posée non loin et chaussé de cuissardes sur la berge face à l’eau, tamise celle-ci à contre courant, avec dans les mains une grande "épuisette à pibales", le pibalour ou tamis.
Il est constitué d’une armature de bois, d’acacias ou de chataigniers, de forme ovale, sur laquelle est fixée une poche en toile métallique, semblable à celle servant à réaliser les garde-manger de nos ancêtres, ou les cribles à grains. Ce tamis possède un manche de trois mètres qui permet au pêcheur de le maintenir à contre courant, alors que le cordon de pibale vient buter dedans, et de le relever quand il l’estime bien rempli.
Celui ci est régulièrement vidé dans une caisse équipée d’un tamis ne laissant entrer que les pibales et permettant de remettre à l’eau les autres espèces d’alevins.
Le déclin de l’espèce dans les eaux européennes s’est nettement révélé dans les années 80, quand a été constatée la forte diminution des remontées de civelles dans les estuaires.
Depuis cette période, la situation n’a eu de cesse de se détériorer.
Les pêcheurs sont les derniers témoins de l’évolution de la faune de l’estuaire. Des témoins privilégiés. Depuis sept à huit ans, à chaque " coup d’eau " - montée rapide du niveau de la Gironde la mortalité des civelles passe de 5 à 25 ou 30 %. À chaque fois qu’il y a un lâcher d’eau des barrages les pibales meurent.
L’estuaire, c’est le fond de la gamelle de toutes les rivières.
La pêche a certainement sa part dans la diminution des espèces,mais il faudrait approfondir les recherches sur ces pollutions qui font mourir le poisson.
La facilité, quand on est confronté à la diminution d’une ressource, c’est dire :on ferme la pêche pour protéger. C’est simple. Et ça ne coûte pas cher à l’État. Mais ça n’est pas la solution.
Le Comité national des pêches évoque aussi la pollution des milieux, et incite à remonter à la source.
Les professionnels s’inquiètent que le règlement européen se focalise principalement sur la limitation des activités halieutiques, sans s’attaquer aux autres facteurs de mortalité de l’anguille, pollution des habitats, installations hydroélectriques sur les cours d’eau, etc.
Le règlement européen du 18 septembre 2007 prévoit des mesures de reconstitution des stocks d’anguilles. La proposition française de plan de gestion qu’induit cette norme a été transmise fin 2008 à la commission européenne. Qui ne s’est pas encore prononcée.
La pêche française représente 80 % de la production totale européenne de civelles. 690 unités maritimes de 7 à 12 mètres, 225 pêcheurs fluviaux, travaillaient ce poisson en 2007, selon une étude socio-économique de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer. En croisant les données tirées de déclarations de pêche et les informations communiquées par les mareyeurs spécialisés, le Comité national des pêches a estimé la production de civelles entre 75 et 80 tonnes pour la campagne 2006-2007.
Le 13 mars prochain doit entrer en vigueur la convention CITES (dite convention de Washington) sur le commerce international des espèces sauvages menacées d’extinction. La fixation d’un quota à l’export vers la Chine, l’un des gros débouchés de l’espèce, est en discussion. La crainte ? Que toute exportation vers l’Asie soit interdite.
Alors, adieu pibales et pibaliers ?
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON