C’est vous qui consommez, c’est nous qui respirons
De petits riens gâchent une nuit, une journée, une existence. La propension de nos concitoyens à laisser leur moteur tourner pour le plaisir m’a toujours laissé pantois. Le prix du carburant n’est-il pas encore asssez haut ?
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Les nuits d’avril 2007 sont particulièrement chaudes. C’est donc fenêtres entrouvertes que le citadin peut goûter un peu de la douceur nocturne.
En ville, beaucoup de choses peuvent entraver votre repos mais, hier soir, c’est une vraie, une belle odeur de gasoil qui me tira du sommeil où j’étais. Je me levai donc pour voir par la fenêtre d’où venait ce bruit de vieux Merco qui claquait à mes oreilles, comme à celles de tout le quartier assoupi. Trois citoyens faisaient leurs adieux à leurs amis mes voisins. Tout le monde avait l’air joyeux et, donc, même le moteur tournait pour le plaisir.
Je me suis souvenu alors de tous ces cars pris dans mon enfance, vrombissant sur le parking en attendant les voyageurs et l’heure du départ. En essayant de retrouver le sommeil, m’est revenue en mémoire cette scène absurde, vécue avec ma femme et ma fille que je portais encore en écharpe. À notre descente matinale du train Rome-Paris en gare de Bercy, nous rejoignîmes la file d’attente d’une trentaine de personnes qui espéraient toutes un taxi, à cette heure de pointe où ils sont plutôt rares. Un petit car de ramassage d’enfants handicapés est alors venu se garer là, juste devant la queue des voyageurs à peine réveillés, à jeûn, et les embauma de suie noire. Personne ne bronchait. Je suis allé demander au chauffeur de gentiment éteindre les gaz, après un léger moment de nausée. Malgré sa stupéfaction, il reprit conscience qu’il vivait dans le même monde que nous. Peut-être que la vue du nourrisson endormi sur moi le fit s’éxécuter de bonne grâce. Cinq minutes passées derrière son camion avaient suffi à nous gazer. Le chauffeur était bien au chaud et ne se rendait compte de rien.
Je me suis donc souvenu de tous ces lecteurs distraits, de ces touristes perdus, de ces galants discrets, qui n’osent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas éteindre leur moteur à explosion sans que cela prenne une signification particulière.
Certes, à raccompagner une dame éteindre le moteur est équivoque. Elle ne se sent pas libre de descendre... C’est très curieux. Mais qu’est-ce qui empêche en revanche tel chauffeur de camion, tel coursier, tel voyageur de tourner la clef ? Pas le prix du litre de carburant, en tout cas. Qu’est-ce que ce petit geste simple peut induire comme sensation, si désagréable, que les amis de mes voisins en arrivent à oublier le bruit de leur camion, vers une heure du matin, et à déranger le repos de toute une rue de Paris ? Depuis un siècle que les moteurs explosent, le silence est devenu un luxe, pensai-je en essayant de retrouver le sommeil.
Un professionnel de la route me confiait que la force de l’habitude, le ronron du moteur, les réflexes de conduite sont des éléments de réponse à ce mystère. Combien reconnaîtraient qu’il y a une connotation négative attachée à l’arrêt du moteur ? De l’arrêt du moteur à l’arrêt cardiaque, il n’y a qu’un pas symbolique ; même un chauffeur de bus écolo peine à en avoir conscience.
Francis Lemarque dans sa chanson "Les Routiers" disait : "Le jour se lève et décline/ Sur la route qui chemine/ Il doit pousser sa machine/ Car c’est là qu’est son usine...". Peut-être alors que le routier aurait l’impression de chômer si son usine s’arrêtait de fumer. L’usine qui s’arrête, le souffle qui s’éteint.
Moins poétiques sont les raisons simples qui enjoignent le chauffeur d’un car de touristes à laisser son moteur tourner pendant la visite du Louvre : frileux l’hiver, ils suffoquent l’été. Les clients exigent ou le chauffage ou la clim’... Les passants, eux, n’ont qu’à passer.
Il fut un temps où les moteurs diesel avaient besoin de chauffer avant de fonctionner normalement. Le gasoil gelait facilement à cette époque et des habitudes furent prises. Un camion qui refroidissait manquait souvent de ne plus repartir. C’est ainsi que le charbonnier livrait ma grand-mère et remplissait sa facture sans éteindre son camion. Cela lui fournissait aussi un prétexte tout trouvé pour repartir aussi sec et refuser la goutte de Calva que chaque client livré se faisait un honneur de lui offrir. Le carburant ne gèle plus désormais et, mieux, les adjuvants qui entrent dans sa composition sont autant de particules polluantes supplémentaires.
Alors que faut-il ? Faudra-t-il longtemps continuer ce gazage généralisé ? Avons-nous bien conscience que nous sommes déjà en phase de déplétion pétrolière ? Chacun à notre mesure, combien de tonnes de pétrole pourrions-nous épargner en adoptant un comportement responsable ? En serait-il autrement si le litre de carburant passait à 3,50 € par litre ? Pas si sûr.
À Tokyo, dans les années qui précédèrent la mise en place du tout GPL, les automobilistes coupaient le contact au feu rouge. C’était une question de survie. En sommes-nous si loin, alors que les effets toxiques spécifiques au diesel sont connus, en particulier l’effet allergisant des microparticules issues de la combustion de ces hydrocarbures ? Nos pompes au GPL ont vu leur nombre chuter en dix ans. Et la pile à combustible ? Le premier bus à hydrogène roule déjà à Londres. (source Métro janvier 2005 n°647).
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AUTOBUS LONDONIEN Mercedes-Benz équipé d’une pile à combustible
Ballard. Il roule depuis janvier 2004 dans le cadre du projet européen "Cute" (clean urban transport for Europe) qui prévoit trente bus dans 1dix métropoles en deux ans. Dans l’ordre : Madrid, Londres, Porto, Luxembourg, Hambourg, Barcelone, Stuttgart, Stockholm, Amsterdam.
Paris ou Lyon, villes irrespirables, ne sont pas au programme. Que font nos députés européens ? En France, des recherches ont lieu, notamment au CEA. On conçoit des produits, par exemple chez Axane (filiale d’Air liquide). Renault et PSA participent à un des programmes européens. Subventions encore et toujours. Mais ces volontés seront-elles plus fortes que le lobby pétrolier ?
À l’avenir, les constructeurs automobiles vont-ils imaginer des pots d’échappement (la partie honteuse d’un véhicule) dirigés vers un collecteur de gaz, ou les fabricants de poussettes vont-ils adapter le masque à oxygène pour bébés des grandes villes ?
Je sais que le parcours dans l’existence tient quelquefois à peu de choses. Je ne sais pas si le voisin du troisième a retrouvé le sommeil cette nuit-là, après le départ du vieux Merco. Je m’en inquiète, car je sais que le matin suivant il devait passer un concours pour un emploi stable, et que son jeune enfant, asthmatique et couvert d’eczéma, lui donne quelque souci.
Lire l’excellent article "Le diesel en question" de Patrice Miran
Documents joints à cet article
![C'est vous qui consommez, c'est nous qui respirons](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L370xH246/Bus_Londonien_a_Hydrogene-21814.jpg)
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