Calculez vos volumes de CO2 rejetés, payez sous forme de dons
Les sites de compensation de CO2 (CO2 off-setting) ont fleuri au cours des dernières années sur le Web. Ils ont plus récemment fait irruption dans l’actualité française à la suite de la sortie du film d’Al Gore (« An unconvenient truth ») et de la prise de conscience qu’il a provoquée dans l’opinion publique. Le principe de ces sites est simple. Ils offrent la possibilité aux particuliers et aux entreprises de calculer leur volume de CO2 rejeté, puis de payer sous forme de dons pour compenser ces rejets. Nul doute que l’intérêt croissant pour les questions touchant au climat et aux menaces de changements brutaux et irréversibles de notre milieu naturel ne contribue au développement rapide de ces offres de compensation. A y regarder de plus près, on observe des écarts très importants dans les services offerts, et dans les tarifs proposés aux internautes donateurs. Plus intrigant encore, la nature des organisations qui proposent ces services est très variable, allant de l’association à la société à but lucratif. Enfin, le choix quasi systématique de projets localisés à l’autre bout du globe peut laisser perplexe. Comme dans toute démarche citoyenne, nous souhaitons que l’organisme qui collecte les fonds soit au-dessus de tout soupçon et que l’usage qui en est fait soit utile et efficace. Comme dans toute démarche de consommateur averti, nous avons besoin de comparer pour mieux comprendre et mieux acheter. Voici donc les résultats d’un bilan comparatif de quelques « compensateurs » en ligne.

Une démarche et un marché
Ces sites sont généralement et logiquement implantés dans les pays d’Europe de l’Ouest, pollueurs et fortunés. Pour faire son marché, la pratique de l’anglais est fortement recommandée, les versions anglaises étant couramment proposées. Fidèle à notre mauvaise réputation en la matière, seul le site français www.co2solidaire.org ne propose pas cette option.
Première surprise, l’association à but non lucratif n’est pas le modèle juridique unique. www.ClimateCare.org (UK) déclare verser 10% de son chiffre d’affaire annuel sous forme de royalties à un trust « lui ayant apporté son soutien financier depuis son lancement ». On est content pour le trust, moins pour la planète. Nous avons envoyé un e-mail demandant des précisions sur ces royalties, nous n’avons à ce jour pas reçu de réponse. L’entreprise néerlandaise Greenseat www.greenseat.com (NL) déclare pour sa part que les bénéfices sont secondaires mais qu’elle ne les exclut pas. On saluera la transparence de ClimateCare, seul à proposer un accès en ligne à son rapport annuel avec des comptes détaillés.
Les trois autres, www.CO2solidaire.org (FR), www.atmosfair.de (ALL) et www.myclimate.org (CH) sont ouvertement à but non lucratif et présentent avec CV et photos leur comité de directeurs ou de parrainage dont l’éminence des membres force le respect, même si on peut être surpris de trouver le directeur du Bureau fédéral de l’aviation civile (FOCA) dans le comité directeur de MyClimate, ou le président de la Bourse suisse dans son comité de patronage.
Faire son shopping
La compensation le plus souvent proposée concerne sans surprise le transport aérien*. Question services, les offres sont proches mais certains détails ou raffinements font la différence. D’abord, les services peuvent être proposés aux particuliers, mais également aux entreprises (MyClimate, CO2solidaire).
Comme pour une réservation de transport en ligne classique, il suffit de saisir sa ville de départ et de destination et le type de trajet (aller simple, A/R). Le résultat apparaît en tonnes de CO2 rejetées et le montant correspondant en euros (livres sterling pour ClimateCare). Mention spéciale à Greenseat pour l’approche éducative, puisque le résultat présente le CO2 rejeté mais aussi le total tous gaz confondus, avec des prix de compensation différents. Malin aussi, MyClimate sur lequel les écolos en herbe peuvent choisir de ne payer que 50% du total de leurs émissions. Dans ce domaine, la palme revient à Atmosfair, qui propose à l’internaute de saisir lui-même la proportion de ses émissions qu’il souhaite compenser. Une façon habile de ne pas décourager les bonnes volontés encore hésitantes.
Le plus ennuyeux reste l’appréciation de la méthode d’un site à l’autre. En effet, les écarts peuvent aller, pour un même trajet, du simple au triple pour le prix de la tonne de CO2, et varier de 1 à 5 pour la quantité de CO2 rejetée.
Le tableau (A) présente le résultat comparé d’un aller-retour transatlantique.
Ces écarts considérables nuisent à la crédibilité de tous les acteurs. On aimerait comprendre, mais ni les méthodes de calcul ni les critères de prix retenus ne sont expliqués. C’est d’autant plus surprenant qu’en matière de prix, la bourse d’échange de CO2 mise en place dans le cadre des systèmes de quotas du protocole de Kyoto établit un marché et fixe de fait un cours « officiel » de la tonne de CO2. Les prix élevés pratiqués par certains comme CO2Solidaire peuvent dissuader de nouveaux écoconsommateurs, ce qui serait dommage, car en la matière, l’adhésion du plus grand nombre semble au moins aussi importante que les sommes collectées.
|
Tonnes de CO2 |
Prix total |
Prix/tonne |
1,53 |
11,47 € |
7,50 | |
1,22 |
20,60 € |
16,89 | |
3,78 |
76,00 € |
20,11 | |
2,22 |
53,00 € |
23,87 | |
5,56 |
134,00 € |
24,10 |
Tableau A - prix et calculs des rejets de CO2
Les acteurs se différencient également par la palette de services proposés. Depuis la compensation pour les émissions annuelles de son véhicule particulier (15
Une utilisation parfois déroutante
Autre préoccupation légitime du donateur, l’utilisation des fonds versés. Il faut saluer les efforts des sites pour présenter dans le détail les projets financés par le produit de la collecte. Dans ce domaine, Atmosfair se distingue en présentant pour chaque projet des rapports d’audit réalisés par des organismes indépendants.
Mais si le sérieux de la méthode ne semble pas pouvoir être remis en question, on est plus perplexe quand il s’agit de la nature des projets financés. Dans ce domaine, la règle semble être de développer des actions le plus loin possible des pays d’où proviennent les fonds.
Depuis la mise en service de fours à économie d’énergie au Cambodge, ou d’éclairage à faible consommation dans les écoles d’Ouganda, ou autres initiatives comparables en Inde, au Burkina Faso, en Erythrée, au Kasakstan, au Honduras... tous les projets présentés concernent des pays lointains et le plus souvent des zones rurales. La seule exception concerne Greenseat, qui se consacre exclusivement à la reforestation et opère notamment des projets en Hollande, où le site est installé.
La question n’est bien entendu pas de remettre en cause la pertinence ou l’impact positif sur l’environnement d’un projet en particulier, mais sur le fond, on peut se demander si l’objectif ne devrait pas être d’aider en priorité les occidentaux à balayer devant leur porte.
Nous sommes les premiers pollueurs, les dons sont recueillis pour compenser les conséquences de nos excès de transport, et il y a certainement des centaines d’initiatives qui permettraient d’établir une plus grande proximité entre les causes du mal, les donateurs et les projets qu’ils contribuent à financer. Sans compter que cette utilisation de proximité répondrait à une logique écologique qui privilégie les cycles courts, et que de tels projets seraient certainement plus contrôlables avec une rentabilité économique supérieure (moins de frais associés). Pour privilégier une démarche participative prônée par Nicolas Hulot dans son dernier ouvrage, ou Mme Royal dans sa précampagne présidentielle, on pourrait aisément imaginer que les internautes soient consultés sur le choix des projets financés par leurs dons. Ils pourraient même, dans la logique du Web 2.0, apporter leur contribution pour proposer des initiatives locales. Internet est le média idéal pour mettre en œuvre aisément ce type de système consultatif. L’adhésion et la fidélité n’en seraient que plus fortes, avec un effet d’essaimage très fertile en dons futurs.
Un engagement facile et immédiat
En matière d’environnement, nous sommes tous un peu victimes du syndrome de la fourmi, terrassés par un sentiment de découragement et d’impuissance face à l’ampleur de la tâche. Nous nous demandons tous quelle action concrète et efficace nous pouvons mener. Il est en la matière toujours utile de répéter que chaque geste compte, pour améliorer notre quotidien, pour ancrer de nouvelles habitudes et pour l’exemple indispensable qu’il faut donner à ceux qui nous entourent, à commencer par nos enfants, qui doivent et veulent changer d’héritage.
Compenser ses rejets de CO2 est l’un des moyens d’affirmer nos convictions et notre volonté d’engagement. L’offre structurée via Internet rend ce moyen accessible au plus grand nombre. Profitons-en, en attendant que rapidement des décisions politiques s’imposent à tous. L’exemple donné par Jean-Louis Debré il y a quelques semaines est un modèle d’ironie. En annonçant la souscription de l’Assemblée nationale à un programme de compensation de CO2, son président a certainement voulu se montrer exemplaire, mais on aimerait surtout que le Parlement donne la France en exemple par des mesures fortes en matière de climat, et notamment pour les rejets de CO2. Le bilan mondial révélé fin octobre par l’UNFCC (organisme de l’ONU en charge des changements climatiques) révèle une performance de la France juste dans la moyenne (-0,6% de rejets depuis 1990), loin des performances exemplaires de certains de ses voisins, allemands ou britanniques notamment. Il serait confortable de pouvoir dans ce domaine demander de la patience, mais le temps, comme les ressources naturelles, pourrait venir à manquer.
*Ce n’est que justice si l’on considère la liste des mauvais points que cette industrie collectionne en matière d’environnement : croissance de 9% par an, contribution pour 20% au total des rejets mondiaux de C02, rejet à altitude élevée de composés complexes de multiples gaz nocifs et de vapeur d’eau qui amplifient l’effet de serre. Selon le très écologique ODE Magazine (« Fly Sustainable Skyes », septembre 2006), si la croissance du trafic aérien se poursuit au rythme actuel jusqu’en 2050, celle-ci annulera à elle seule tous les autres efforts de réduction des émissions de CO2. Plus regrettable, malgré ce palmarès destructeur inégalé, les rejets dus au transport aérien sont explicitement exclus du protocole de Kyoto, et le kérosène est, exception faite des Pays-Bas, exempt de taxes.
La prise en compte de l’aviation dans le système d’échange de quotas de CO2 est prévue au mieux pour 2009-2010.
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