Claude Allègre, un mammouth dans un magasin de porcelaine
« Étonnant et détonant personnage. Broussailleux et inventif, péremptoire et rigolard, aussi agaçant qu’attachant, réformateur que gaffeur, volontaire que volcanique. Assénant ses vérités jusqu’à la mauvaise foi, iconoclaste par principe, brutal par conviction. Rebelle, mais doté d’un solide appétit de pouvoir, toujours fonçant, fustigeant et ferraillant, toujours à l’étroit, dans les conventions comme dans son costume. » (Hervé Morin et Gérard Courtois, le 4 janvier 2025 dans "Le Monde").
Le géochimiste Claude Allègre est mort à Paris ce samedi 4 janvier 2025 quelques semaines avant ses 88 ans (il est né le 31 mars 1937). Compagnon de route politique de Lionel Jospin, il est connu pour avoir été le Ministre de l'Éducation nationale de ce dernier et pour son franc-parler provoquant de multiples polémiques. Mais il ne faut pas négliger d'abord le chercheur, à la forte personnalité, qui a été élu membre de l'Académie des sciences en 1995, après avoir reçu (entre autres récompenses scientifiques) la Médaille d'or du CNRS en 1994, la plus haute distinction scientifique en France et sorte de pré-Nobel. En outre, il est l'auteur de trente-quatre livres sortis de 1973 à 2014, principalement des essais de vulgarisation scientifiques mais aussi de réflexions politiques voire des essais polémiques et idéologiques dont le principal est "L'Imposture climatique ou la fausse écologie" sorti en 2010 (chez Plon).
Son allure faisait le bonheur des caricaturistes : silhouette ronde sur visage carré, les cheveux en brosse, petites lunettes surmontées d'épais sourcils et une bouche carnassière souriante assortie aux yeux riants, rendant vivant son propre patronyme. Son esprit polémique qui ne s'embarrassait pas de diplomatie ni de points de suspension faisait que tout le monde a, un jour ou l'autre, détesté celui qui a été pourtant une brillante lumière des sciences dures... dans son domaine ! Je l'ai croisé plusieurs fois au Salon du Livre de Paris dans les années 2010, il dédicaçait ses nombreux livres, une année avec une très nombreuse foule l'attendant comme le messie des climatosceptiques, l'année suivante il s'ennuyait seul derrière sa table désertée, le rush médiatique était passé et il retombait humblement dans l'anonymat.
À l'instar du navigateur Alain Bombard, Claude Allègre a toujours navigué en parallèle dans cette double-vie du chercheur atypique et de l'engagé politique. Après avoir milité contre la guerre en Algérie au sein du PSA, il a adhéré au PS en 1973 et proche de Lionel Jospin qu'il a rencontré à la résidence universitaire d'Antony à la fin des années 1950 (les deux sont nés en 1937), il a présidé le groupe des experts du PS quand son ami (de tennis notamment) était premier secrétaire du PS. Par son amitié fidèle, il est devenu le conseiller spécial de Lionel Jospin lorsque ce dernier était Ministre de l'Éducation nationale entre mai 1988 et mars 1992, considéré comme le vice-ministre (il a lancé le plan Université 2000, voulait bouleverser le système des classes préparatoires, a initié les IUFM, a encouragé le revalorisation des carrières des enseignants, etc.). Élu député européen en juin 1989 sur la liste socialiste de Laurent Fabius (il a démissionné immédiatement), Claude Allègre s'est présenté aux élections régionales de mars 1992 pour conquérir la présidence du conseil régionale du Languedoc-Roussillon (sa famille est originaire de l'Hérault). Il a échoué et est resté conseiller régional jusqu'à son entrée au gouvernement.
Car les circonstances furent favorables à son grand ami Lionel Jospin qui a gagné les élections législatives provoquées par une dissolution intempestive décidée par Jacques Chirac. Résultat, Lionel Jospin s'est installé à Matignon et n'a pas oublié Claude Allègre bombardé Ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie du 2 juin 1997 au 27 mars 2000. Pour ce fils d'institutrice et de prof de sciences naturelles, c'était une consécration qui allait bien au-delà de la simple reconnaissance scientifique.
Mais il était certain que Claude Allègre n'était pas fait pour faire de la politique. Il était un scientifique dans la grande tradition de nombreux que j'ai eu l'occasion de rencontrer, électrons libres, opportunément anarchistes mais modérés en réalité, forts en gueule, fortes personnalités, brillants chercheurs par une passion désintéressée inlassablement renouvelée. Je reviens plus loin sur son action politique, mais il faut saluer le chercheur, et j'ai eu pour lui une certaine fascination tant l'homme est complexe et simpliste... en même temps !
Docteur en sciences physiques en 1967 (sa thèse portait sur la "géochronologie des systèmes ouverts", base d'un travail au California Institute of Technology, aux États-Unis), Claude Allègre était d'une génération qui avait la facilité d'intégrer rapidement des organismes de recherche car on manquait de personnel (c'était l'âge d'or de la recherche française). Ainsi, rapidement, il a acquis des titres universitaires à un jeune âge : professeur des universités à Paris-Diderot (Université Paris-VII) à l'âge de 33 ans (chaire des sciences de la terre : il a dirigé 55 thèses de doctorat), il avait auparavant fondé le laboratoire de géochimie et cosmochimie. Son QG, c'était la tour 14 du campus de Jussieu.
Avant l'âge de 40 ans, il est devenu le directeur de l'important Institut de physique du globe de Paris qu'il a dirigé d'une main de fer de 1976 à 1986, un directeur qui restera encore longtemps dans les mémoires. Pour exemple, à peine a-t-il pris ses fonctions qu'il était en conflit avec Haroun Tazieff sur un volcan en Guadeloupe, celui de la Soufrière. Claude Allègre ne connaissait rien à la volcanologie, mais Michel Feuillard qui était son collaborateur comme directeur de l'observatoire volcanologique de la Guadeloupe avait des raisons de craindre une éruption avec nuées ardentes du volcan, considérant que la présence de verre dans les rejets montraient l'arrivée prochaine du magma. Au contraire, se fiant à sa propre expérience sur le terrain, Haroun Tazieff considérait qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter car le risque était minime.
Par précaution, le préfet de Guadeloupe a fait évacuer les 70 000 habitants de la région... et l'avenir a donné raison à Haroun Tazieff, la Guadeloupe fut sinistrée... économiquement par cette évacuation de la population. Claude Allègre, pour autant, a renvoyé Haroun Tazieff en tant que chef du service de volcanologie de l'Institut de physique du globe de Paris, décision qui a été annulée par la justice administrative. Cette polémique a montré toute la dimension polémique de Claude Allègre : prêt à s'enflammer pour la science, mais aussi prêt à s'enfoncer lorsqu'il avait tort. Du reste, les pouvoirs publics ont eu raison d'évacuer la population dès lors que des scientifiques n'étaient pas d'accord entre eux sur les risques encourus. Bien plus tard, paradoxalement, Claude Allègre critiqua l'intégration du principe de précaution dans la Constitution : « Le principe de précaution, c'est l'arme contre le progrès. », affirma-t-il dans un livre sorti en 2007.
Mais là, c'était le directeur qui s'était exprimé. Le chercheur, lui, a eu beaucoup de résultats intéressants avec son équipe. Il était à proprement parler un géochimiste, étudiant les éléments sur les couches terrestres, innovant en proposant des méthodes de datation isotopique. Cela l'a conduit à être récompensé à de nombreuses reprises avec des prix prestigieux, en particulier le Prix Crafoord pour la géologie en 1986 (l'équivalent du Nobel pour la géologie) et, comme dit au début, la Médaille d'or du CNRS en 1994. Il a été élu membre de l'Académie des sciences en France (le 6 novembre 1995), mais aussi, dès 1985, de la US National Academy of Sciences (l'Académie des sciences aux États-Unis), également prestigieuse, d'autres académies étrangères, et aussi membre en 1992 (chaire de géologie physique et chimique) de l'Institut universitaire de France, sorte d'antichambre du Collège de France, réservé aux chercheurs prometteurs, qu'il avait lui-même contribué à créer en 1991 quand il était conseiller du ministre.
Après sa première mission au Ministère de l'Éducation nationale (comme conseiller), Claude Allègre a hérité de la présidence du stratégique BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) de 1992 à 1997, qu'il a quittée pour devenir le Ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie pendant un peu moins de trois ans. Il supervisait une ministre déléguée chargée de l'Enseignement scolaire, une certaine... Ségolène Royal, qui tentait de récupérer politiquement les effets d'annonce de son ministère.
Être ministre, c'est faire de la politique, et faire de la politique, c'est laisser ses idéaux et regarder comment faire le souhaitable le mieux possible. Indépendamment de l'erreur de casting en raison de la personnalité de Claude Allègre, c'était aussi une erreur de mettre un mandarin (un grand universitaire) pour s'occuper de la scolarité du primaire et du secondaire, ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux, les savoirs s'effacent devant la pédagogie.
C'est d'ailleurs un désaccord que je peux avoir avec François Bayrou (le prédécesseur direct de Claude Allègre) qui, lui, a toujours été partisan de ce grand ministère qui rassemble l'Éducation nationale (c'est-à-dire le monde scolaire et le monde enseignant) avec le monde de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui est pourtant très différent et qui devrait être plutôt collé, sinon associé, à l'économie (comme cela avait été le cas entre 2017 et 2024).
Cela n'a pas manqué, dès le 24 juin 1997, trois semaines après sa nomination alors que celle-ci était perçue plutôt positivement par le monde enseignant, Claude Allègre a prononcé la phrase qui l'a définitivement déchu de toute crédibilité auprès des enseignants : « Il faut dégraisser le mammouth ! ». C'était la phrase qu'a rapportée "Le Monde" d'un dîner privé de la veille. Claude Allègre, qui n'a pas pu rétropédaler, évoquait l'administration centrale de son ministère qu'il fallait réformer, mais de toute façon, en pointant du doigt en septembre 1997 le supposé trop grand absentéisme des profs, il n'avait en face de lui que des opposants. Il aurait démissionné au bout de ces quelques jours s'il n'avait pas été un grand ami du Premier Ministre. Au lieu de quoi, après des grèves très longues des enseignants, il a fini par partir le 27 mars 2000, sur demande express de son ami, remplacé par l'indéboulonnable Jack Lang (encore, actuellement, malgré ses 85 ans, président de l'Institut du monde arabe !) pour l'Éducation nationale, et Roger-Gérard Schwartzenberg pour la Recherche.
Entre-temps, Claude Allègre avait multiplié les déclarations polémiques. Le 30 août 1997 à La Rochelle : « Les Français doivent cesser de considérer l'anglais comme une langue étrangère. ». Le 21 février 1999 sur TF1 : « Vous prenez un élève, vous lui demandez une chose simple en physique : vous prenez une boule de pétanque et une balle de tennis, vous les lâchez, laquelle arrive la première ? L'élève, il va vous dire la boule de pétanque. Eh bien non, elles arrivent ensemble, et c'est un problème fondamental, on a mis 2 000 ans pour le comprendre. Ça, c'est des bases, tout le monde doit savoir ça. ». En fait, ce n'est exact que si c'est dans le vide, sans tenir compte de la résistance de l'air. Le 29 novembre 1999 dans "France-Soir" : « Les maths sont en train de se dévaluer de manière quasi inéluctable. Désormais, il y a des machines pour faire les calculs. ». Pas étonnant que peu d'enseignants aient voté pour Lionel Jospin en 2002 !
Pour les universités et la recherche, en revanche, Claude Allègre a fait beaucoup, en particulier en amorçant la réforme de la restructuration des cycles universitaires pour harmoniser le système français avec l'Europe et permettre des équivalences (processus de Bologne initié le 25 mai 1998 à la Sorbonne à l'occasion de son 800e anniversaire, à la suite de la Convention de Lisbonne du 11 avril 1997) : licence, master, doctorat, alors qu'auparavant, le premier cycle était de deux ans (DEUG, DUT, classes préparatoires, etc.). Par ailleurs, il a fait adopter par le Parlement une importante loi, dite loi Allègre, la loi n°99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche, permettant la coopération entre la recherche publique et les entreprises privées, la possibilité donnée aux chercheurs de créer des start-up et de déposer des brevets.
Ses idées de rendre l'école plus accessible au monde réel des entreprises étaient excellentes, en décloisonnant la société, mais c'était une véritable révolution culturelle qui ne pouvait pas se faire avec un ministre aussi maladroit et polémique. C'était un projet politique de grande envergure, qui devait être porté par le Premier Ministre et toute une majorité parlementaire, et pas par la lubie d'un seul homme détesté de tous, et finalement, on y vient petit à petit, comme le stage de Troisième pour avoir au moins une expérience de quelques semaines dans une entreprise.
En 2007, après avoir échoué à pousser vers une nouvelle candidature de Lionel Jospin, Claude Allègre s'est opposé à celle de Ségolène Royal qualifiée de « Madame Michu, égotique et incompétente ». Mais les concurrents socialistes de la candidate socialiste avaient aussi des tares pour l'ancien ministre qui a répandu son venin dans un autre livre sorti aussi en 2007. François Hollande était un « mou », Laurent Fabius un « grand bourgeois médiocre ».
Il n'a franchi le pas qu'en 2008, après trente-cinq ans d'adhésion au PS, en affichant sa sympathie envers le Président Nicolas Sarkozy qu'il a soutenu en 2012. En 2009 et 2010, il était même question d'un retour de Claude Allègre au gouvernement, mais il n'a pas eu lieu. En mai 2009, Claude Allègre annonçait son soutien à Michel Barnier, tête de liste aux européennes à Paris pour l'UMP : « Je vais voter pour Michel Barnier, sans aucune hésitation, je n’ai pas d’état d’âme. D’abord j’aime bien Barnier, ensuite je pense que Sarkozy est la seule personne qui a fait bouger la Commission Européenne et la Présidence française de l’UE a été formidable. J’espère qu’il va continuer à la faire bouger (…). J’ai refusé d’entrer au gouvernement au début, mais j’ai beaucoup admiré la Présidence française de Nicolas Sarkozy. Je suis très admiratif : le fait qu’on a fait un plan de relance commun, le fait qu’on a secoué la Commission, c’est une performance. ».
Un infarctus le 17 janvier 2013 à Santiago du Chili l'a fragilisé, mais ne l'a pas empêché de poursuivre son activité éditoriale et intellectuelle, au ralenti, notamment pour fustiger ceux qui évoquaient l'origine anthropique du prétendu réchauffement climatique.
Beaucoup de scientifiques ont, depuis plusieurs décennies, rejeté catégoriquement les déclarations à l'emporte-pièce de Claude Allègre qui utilisait son statut de chercheur réputé pour parfois dire n'importe quoi sur le plan scientifique dans des disciplines qui lui étaient étrangères. Parmi ses opposants, un très honorable scientifique, le polytechnicien Édouard Brézin, président du CNRS de 1992 à 2000 et président de l'Académie des sciences de 2005 à 2007.
À l'occasion d'une soirée au Théâtre de l'Est parisien le 15 juin 2010 de soutien à "Politis" attaqué en justice par Claude Allègre pour diffamation, le message suivant d'Édouard Brézin a été lu : « La science est engagée dans un processus collectif où, si la confrontation des idées est indispensable, seule l'honnêteté intellectuelle permet en définitive de corriger les erreurs temporaires inévitables. Le choix des données, leur analyse, les modes de publication, appartiennent à l'exigence d'intégrité des professions scientifiques. Lorsque des scientifiques reconnus pour leurs contributions à un domaine où ils ont fait preuve de leurs capacités, se servent de leur prestige pour asseoir sur leur autorité des assertions non justifiées dans des domaines qui leur sont étrangers, lorsque l'insulte, le mépris, l'intimidation, viennent au secours des erreurs d'analyse, les scientifiques ne sont pas dupes, la science n'est en rien affectée. En revanche la perception par la société de la science et de ce que l'on peut en attendre, est complètement piétinée par cette attitude. Les déclarations de C. Allègre sur les mathématiques ou la relativité générale ont eu pour simple effet de ridiculiser leur auteur aux yeux de la communauté scientifique. Mais lorsque le pouvoir politique, hélas de tous les bords, lui donne les moyens d'agir ; lorsque la négation a priori de l'effet anthropique sur le climat renforce le pouvoir de nuisance de ceux qui protègent leurs intérêts et ne souhaitent que prolonger leur "business as usual", ce n'est pas la science qui est en danger, mais tout notre avenir. ».
J'ai reproduit la totalité de son message, dirigé contre les propos de Claude Allègre (sur la polémique ancienne du volcan de la Soufrière), mais qui pourrait aussi s'appliquer au réchauffement climatique et bien sûr à l'encontre de tous ces médecins autoproclamés depuis 2020 avec la pandémie de covid-19. Les imposteurs ont toujours existé, et de grands scientifiques se sont parfois fourvoyés, par idéologie, militantisme ou simplement excès d'ego, dans des propos qui n'ont jamais été validés par les scientifiques. Comme l'écrivait Édouard Brézin, ces gens-là ne trompent jamais les scientifiques (capables de relever les fausses affirmations) mais trompent la société, les médias, le peuple.
Dans un article publié le 8 juin 2021 dans "Charlie Hebdo", Fabrice Nicolino a dénoncé la figure tutélaire de Claude Allègre : « Imaginez un peu. Toutes les radios, toutes les télés, la plupart des journaux ont donné la parole à Allègre et ses affidés, feignant de croire que cela équivalait au point de vue documenté des milliers de chercheurs rassemblés dans le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Allègre n’était nullement spécialiste des complexes questions climatiques, mais qu’importait aux marchands de soupe ! ».
Le combat politique de Claude Allègre a évolué plus ou moins franchement en combat total contre les écologistes de toute obédience, n'épargnant ni Nicolas Hulot ni José Bové. Le 27 décembre 2012, il disait clairement, définitif : « Les écologistes (…) sont des cons ! Voilà, vous pouvez le dire et l’écrire. Ce sont des obscurantistes, des réactionnaires. Ils sont opposés à notre société et sont la cause du chômage en France ! ».
En juin 2010, Claude Allègre a créé sa fondation Écologie d'avenir, qui n'a pas vraiment fonctionné. Son objectif était de mettre en relation monde de la recherche et monde des entreprises : « Je veux montrer qu’il est possible de trouver des solutions aux problèmes écologiques grâce à la technologie. Contrairement aux autres fondations écologistes, je ne me sens pas du tout en opposition avec le monde de l’entreprise. J’aimerais que ma fondation soit une force de proposition pour les entreprises partenaires. Je ne veux pas opposer l’écologie et l’économie. Je souhaite, au contraire, faire rentrer l’écologie dans l’économie parce que les entreprises sont créatrices de richesse et, à ce titre, elles sont des actrices de la "croissance verte". Mais il ne suffit pas de soutenir cette idée pour créer des emplois et de la croissance ! ».
L'explication officielle de la création de cette fondation étaient en effet : « À une époque où l’écologie est trop souvent synonyme de vision catastrophiste et perçue comme un frein à la croissance économique, voire une incitation à la décroissance, il nous a semblé important de créer un lieu de réflexion, de débat et d’innovation fondé sur la science, le savoir et la confiance dans le progrès, ouvert aux acteurs de la recherche académique et du monde de l’entreprise. Tout en développant une écologie de progrès et de croissance, notre démarche vise à éclairer les citoyens sur les enjeux et les perspectives qui se profilent pour l’homme et la société. Parce que je crois en la capacité de l’homme à s’adapter, à innover en s’appuyant sur la science et le développement technologique. ».
Comme je l'ai expliqué plus haut, son livre le plus polémique, sorti le 3 avril 2010, a été "L'Imposture climatique ou la fausse écologie" (éd. Plon), qui a eu un grand succès commercial (150 000 exemplaires vendus). Des personnalités comme le géophysicien Vincent Courtillot, président de l'Institut de physique du globe de Paris de 1996 à 1999 et de 20024 à 2011, et le sociologue Luc Ferry (dont la science dure n'est pas son domaine) ont soutenu les thèses de Claude Allègre qui pêchaient par beaucoup d'inexactitudes et de biais, plus certains éléments visant à tromper ses lecteurs, comme l'a confié (par exemple) le paléoclimatologue suédois Hakan Grudd qui a retrouvé, ulcéré, dans le livre de Claude Allègre, une de ses courbes de température publiée... mais falsifiée, sans précision du lieu, ce qui signifie une température globale, or il s'agissait de la température locale d'un lieu donné non représentatif de la planète.
Un article de la journaliste Vanessa Schneider, joliment intitulé "Retour sur un flagrant déni" et publié le 21 décembre 2018 dans "Le Monde", est revenu sur ce livre polémique de 2010 : « Et le scientifique de s’interroger avec la subtilité d’un pachyderme dans un champ de pivoines : "Est-il plus urgent de se préoccuper de la faim dans le monde (…) ou du chômage (…) ou faut-il se réunir à Copenhague avec 120 chefs d’État pour se préoccuper du climat dans un siècle et dépenser pour cela un demi-milliard d’euros ?". Énoncée ainsi, la messe semble dite et peu importe que Claude Allègre ne soit pas climatologue, il est géologue, et que la quasi-totalité des spécialistes du sujet contestent ses thèses. (…) Pendant plus de dix ans, l’impétueux a régné presque seul sur le débat. Une incroyable croisade climatosceptique, relayée à coups de tribunes tonitruantes dans la presse, qui ne fut pas sans conséquences sur la prise de conscience tardive de l’opinion publique et des politiques. ».
La journaliste a cité notamment deux chercheurs. Valérie Masson-Delmotte, chercheuse au CEA, a qualifié les thèses de Claude Allègre sur le climat : « Des propos de café du commerce sous un vernis scientifique (…). [Il] vient des sciences de la terre, et il y avait de sa part une méconnaissance totale des sciences du climat. Il n’a pas fait l’effort de s’y ouvrir, au contraire, il nous a méprisés. Et ça a nourri des rivalités entre scientifiques. (…) C’était un homme de pouvoir qui avait la possibilité d’appeler directement les directeurs de journaux, aucun autre scientifique ne peut faire ça. (…) Avec les politiques, il se présentait comme scientifique. Avec les scientifiques, il se posait en politique. (…) Un bonimenteur à la Bernard Tapie. Il avait cette capacité à parler à tout le monde et pas seulement à une élite avec une grande liberté de ton. C’est tragique qu’il ait utilisé ce don contre la science en parlant de sujets qu’il ne connaissait pas. ». Éric Guilyardi, directeur de recherches au CNRS, a parlé de la confusion entretenue par Claude Allègre : « Pour les gens, le globe, c’est le climat, il était donc considéré comme un expert, il a joué sur la confusion pour paraître légitime sur cette question. ». Par ailleurs, Claude Allègre, ancien ministre, restait encore un moment ministrable, ce qui faisaient réfléchir et hésiter beaucoup de ses contradicteurs scientifiques dans leur riposte intellectuelle, s'ils ne voulaient pas, plus tard, perdre certains budgets.
En fait, c'était dès septembre 2006 que Claude Allègre, dans ses chroniques hebdomadaires publiées dans "L'Express", a estimé qu'il n'y avait pas de réchauffement climatique et que les changements climatiques n'étaient pas issus de l'activité humaine, ce qui a ouvert une controverse de près d'une vingtaine d'années qui ne s'est véritablement refermée qu'à ce jour de deuil. Christophe Barbier, alors numéro deux de l'hebdomadaire, en était très gêné : « Il était à l’opposé de la ligne du journal édictée par Jean-Jacques Servan-Schreiber, qui était environnementaliste. Les journalistes ne supportaient plus ses chroniques, les abonnés s’arrachaient les cheveux, il nous posait problème. (…) Ses conférences faisaient salle comble, ses livres se vendaient très bien. Il aimait être applaudi, surtout par les femmes, il a été pris au piège de son narcissisme. (…) Le succès d’Allègre est né d’une rencontre avec une sociologie qui ne voulait pas changer ses habitudes et prenait les écolos pour des emmerdeurs. ». Pour simplifier, on pourrait résumer ainsi : Claude Allègre était au réchauffement climatique ce que Didier Raoult est au covid-19 et Éric Zemmour à l'histoire de France, d'érudits imposteurs !
Hervé Morin et Gérard Courtois, pour "Le Monde", ont commencé ainsi, samedi, leur nécrologie : « Combien de fois a-t-on décroché le téléphone pour l’entendre grogner, sans préambule, de cette voix qui boxait les mots et précipitait la syntaxe : "Vous n’avez rien compris ! ". Suivaient une engueulade, un plaidoyer, un cours magistral, ou les trois à la fois. Claude Allègre n’appellera plus. Il est mort samedi 4 janvier, a annoncé son fils à l’Agence France-Presse. ». C'est peu dire que Claude Allègre n'a pas laissé les journalistes indifférents. Ni les scientifiques, ni les responsables politiques.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Claude Allègre.
Benoît Mandelbrot.
Publication : Tan, Lei. "Similarity between the Mandelbrot set and Julia sets". Comm. Math. Phys. 134 (1990), no 3, 587-617.
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