Climatisation : faut-il sanctionner les portes ouvertes ?
« On va faire un plan de sobriété dans lequel on va demander à tous nos compatriotes de s’engager et on va faire un plan de sobriété aussi, ce qu’on appelle de délestage, c’est le gaz et l’électricité dont on parle là (…). Je pense qu’il faut aujourd’hui d’abord que ça passe par (…) deux choses, l’exemplarité et la responsabilité. » (Emmanuel Macron, le 14 juillet 2022 sur TF1 et France 2).
Et le Président Emmanuel Macron de poursuivre dans son interview du 14 juillet 2022 : « L’exemplarité, c’est que les administrations publiques, les collectivités, l’État, aussi les grands groupes privés, quand ils le peuvent, si ça ne touche pas le cœur de leur industrie, doivent commencer à faire des efforts et moins consommer. Ensuite, moi je crois à la responsabilité collective et je pense que c’est comme ça qu’on va avancer. Et ensuite, on va préparer ce plan. Donc, on doit faire un plan de sobriété et, si je puis dire, un plan de contingence et d’urgence (…). Nos premiers efforts ont déjà commencé à avoir des résultats ; on consomme un peu moins que l’année dernière. (…) C’est d’ailleurs une bonne chose parce que c’est la chasse au gaspillage énergétique, et vous savez, c’est à la fois bon pour passer le cap, mais les crises doivent toujours nous apprendre, comme le covid nous a appris. C’est très bon pour le climat et l’indépendance. C’est la même bataille. ». Alors, il reste à connaître ce plan de sobriété concrètement. La chasse aux gaspis, un petit arrière-goût des années 1970, à la suite du premier et du second chocs pétroliers.
Enfoncer des portes ouvertes ? Ou fermer les portes ? En proposant de sanctionner les commerces sous climatisation qui laisseraient leurs portes ouvertes, le gouvernement enfonce des portes ouvertes, ou plutôt, retourne au péché mignon de la bureaucratie française qui veut tout régenter et tout sanctionner, tendance très ancienne qu’on avait aussi reprochée dans la gestion de la pandémie de covid-19 (à mon sens injustement : comme pour le code de la route, il doit y avoir des règles pour préserver les vies humaines et des sanctions lorsque celles-ci ne sont pas respectées).
C’est tout le problème du juste dosage : où mettre le curseur entre la simple recommandation gouvernementale sans effet coercitif et l’obligation avec sanction à la clef (pouvant aller jusqu’à une sanction pénale) ? Avec la crise sanitaire, après des mesures très contraignantes (jusqu’au confinement sévère), le gouvernement n’oblige plus le port du masque malgré un encore fort taux d’incidence (heureusement en baisse en ce moment). Le sens des responsabilités s’acquiert généralement avec la liberté ; c’est souvent le grand problème des parents dans l’éducation des enfants : faire confiance tout en les guidant sur la bonne voie. La comparaison s’arrête là, car les Français, dans leur généralité, ne sont pas des enfants d’un gouvernement qui en serait les parents.
C’est Agnès Pannier-Runacher qui a présenté cette mesure dans le "Journal du dimanche" le soir du samedi 23 juillet 2022 en dévoilant une partie du plan de sobriété énergétique annoncé le 14 juillet 2022 par Emmanuel Macron : « Les Français sont à juste titre choqués par certaines pratiques. Dans les prochains jours, je vais prendre deux décrets : le premier généralise l’interdiction des publicités lumineuses quelle que soit la taille de la ville, entre 1 heure et 6 heures du matin, sauf rares exceptions comme les gares et les aéroports qui ne ferment pas la nuit. ». Cette mesure paraît logique : interdire et pas recommander car sinon, cela ferait de la concurrence déloyale pour les entreprises qui ne suivraient pas les recommandations. La sanction prévue est une amende de 1 500 euros.
Et la ministre a poursuivi : « Le deuxième interdit, pour un magasin, d’avoir ses portes ouvertes alors que la climatisation ou le chauffage fonctionne (…). Ce n’est pas acceptable ! ». Là, cette interdiction paraît plus étonnante.
Certes, certains commerçants laissent ouvertes leurs portes car portes fermées, les clients potentiels (les passants) peuvent penser que leur magasin est fermé et ainsi, ils perdent des clients et du chiffre d’affaires. L’interdiction généralisée serait donc une mesure aussi de non-concurrence déloyale.
Pourtant, on peut se poser la question de la pertinence de cette mesure d’interdiction. Car c’est une évidence, lorsque la climatisation d’un local est mise en marche, surtout en ces temps de grande canicule, il faut isoler le local en question. Cela tombe sous le sens. C’est aussi valable lorsqu’il fait froid et qu’il y a du chauffage. C’est un peu comme si on laissait le réfrigérateur ouvert dans la cuisine (ce que font parfois certains magasins avec leur rayon de produits frais).
Non seulement on consomme moins en isolant le local (on parle d’une économie d’énergie d’environ 20% en moyenne), c’est-à-dire que cela fait des économies financières, mais cela réduit notre pollution et les dégâts sur la planète, aussi cela renforce notre indépendance énergétique, et cette souveraineté, on le voit bien depuis la guerre en Ukraine, est une priorité absolue.
L’objectif de la ministre n’est pas mince : « Ce plan s’inscrit dans une stratégie énergétique globale qui vise à faire un effort de 40% sur notre consommation d’ici à 2050. Il s’appuie sur trois piliers annoncés par le Président le 10 février : la sobriété et l’efficacité énergétiques, l’accélération du développement des énergies renouvelables, et la relance du programme nucléaire. D’ici à 2024, notre consommation d’énergie doit baisser de 10%. Cette première marche est la plus facile à franchir. On commence par les gros acteurs, l’État et les grandes entreprises, car les Français ne peuvent légitimement accepter qu’on leur demande de faire des efforts si les grands acteurs n’en font pas. Pour montrer l’exemple, les administrations et les ministères sont les premiers concernés. (…) Les mesures annoncées sont très concrètes : baisse de l’intensité lumineuse, interruption de la ventilation la nuit, respect des températures de consigne (19°C en hiver, 26 en été). ».
Qui est Agnès Pannier-Runacher ? À 48 ans, elle est incontestablement une ministre clef de ce gouvernement, Ministre de la Transition énergétique et l’une des deux clefs de la transition écologique de la Première Ministre Élisabeth Borne avec Christophe Béchu qui a succédé à Amélie de Montchalin au Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Surdiplômée (HEC, IEP Paris, ENA), inspectrice des finances, elle a eu une carrière industrielle qui lui a donné une belle expérience de la vie économique du pays. Bien que novice en politique (elle n’a jamais encore été élue), elle a vite appris et elle a été l’une des révélations politiques du premier quinquennat d’Emmanuel Macron avec Élisabeth Borne, Julien Denormandie, Gabriel Attal et Clément Beaune. D’abord nommée le 16 octobre 2018 Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, elle a été nommée le 6 juillet 2020 Ministre déléguée chargée de l’Industrie avant de devenir ministre plein le 20 mai 2022 en charge de la Transition énergétique.
Depuis quelque temps, on se retrouve parfois avec des injonctions paradoxales. Typiquement, depuis deux ans et demi, on demande à ce que les salles réunissant au moins deux personnes soient, dans les lieux professionnels, aérées régulièrement afin de ne pas garder une concentration éventuelle de virus. Mais cela n’est pas bon pour les économies d’énergie (chauffage ou climatisation).
Dans le même ordre d’idée, il est préférable de proposer des bouteilles d’eau individuelle en plastique pour faire boire une assemblée alors même que certaines entreprises avaient fait l’effort d’éliminer la présence de plastique au profit de carafes d’eau en verre qu’on remplit et lave et de verres en verre, mais pour lesquels la sécurité sanitaire n’est plus assurée.
Plus grande contradiction est ce qu’Emmanuel Macron a défini comme "plan de contingence et d’urgence" (qu’on pourrait mettre au pluriel, je ne sais pas si dans l’esprit présidentiel, ce pluriel était déjà là). Or, continuer à réduire le prix du carburant, avec une aide de 30 centimes par litre, ce qui soulage les ménages dans cette conjoncture inflationniste, c’est en quelque sorte contribuer à favoriser la consommation d’énergie fossile alors qu’il faudrait au contraire inciter à d’autres énergies (pour le transports automobile, à court terme, le véhicule électrique est loin d’être généralisable).
C’est cela, le problème, pour réfléchir et prendre les bonnes mesures, certaines vont s’entrechoquer entre le court terme (se chauffer en hiver, ce qui va sans doute conduire le gouvernement à rouvrir la centrale thermique à charbon de Saint-Avold) et le long terme, en finir avec les énergies fossiles.
C’est cette complexité qui rend délicate la stratégie du gouvernement, sans compter, en plus, l’absence de majorité absolue au Parlement qui l’obligera à faire des compromis : mixer à la fois ce qui est bon pour l’écologie, le climat et la planète en général, ce qui est bon pour les finances publiques, ce qui est bon pour les Français (par exemple, pouvoir être au chaud l’hiver, ne pas trop payer pour le chauffage et les transports, etc.), et ce qui est bon pour la France en général, dans le sens géopolitique du terme, ne plus dépendre du gaz russe, être autonome au niveau européen, pas forcément changer de dépendance en se liant trop avec les États-Unis (pouvoir garder la pleine indépendance de notre diplomatie que notre appartenance à l’OTAN n’empêche pas), etc. Notre chance est notre parc de centrales nucléaires et la question serait de savoir si les autres pays européens pourront bénéficier de cette chance française, d’une manière ou d’une autre.
Mais je reviens à la mesure, très basique, de fermeture des portes quand les commerces sont chauffés ou climatisés : faudrait-il y mettre une obligation, avec une sanction financière à la clef (une amende à 750 euros) ? La police n’a-t-elle pas mieux à faire que de vérifier l’intérêt tant des commerçants eux-mêmes que de la France et de la planète ? Ne faut-il pas continuer à faire confiance en l’esprit de responsabilité des Français.
Je n’ai pas la réponse, car je sais qu’en France, on a besoin parfois d’un bâton pour aller dans le "droit" chemin (typiquement, les radars automatiques ont conduit la plupart des automobilistes à ne pas rouler trop vite sur les routes). Le curseur est très instable, mais je pense qu’il faut d’abord faire confiance.
Quelques jours auparavant, d’autres municipalités (PS ou EELV) avaient pris des arrêtés pour l’obligation de fermeture de portes dans les mêmes conditions, à Paris (le 22 juillet), à Besançon (le 22 juillet), à Lyon (le 20 juillet), et d’abord à Bourg-en-Bresse (le 15 juillet). À Paris, l’amende est de 150 euros à partir du 25 juillet 2022, pas de quoi dissuader un commerçant qui veut attirer le chaland. Précurseur en la matière, le maire PS de Bourg-en-Bresse, Jean-François Débat, s’insurgeait le 17 juillet 2022 au micro de RTL : « Je n’ai jamais compris comment des enseignes imposaient aux franchisés de laisser ouvert avec un raisonnement idiot qui consiste à dire "si c’est ouvert, les gens rentrent, sinon ils ne rentrent pas". (…) L’objectif est très clair : susciter une prise de conscience dans ma ville et ailleurs. Est-ce que nous allons continuer de tolérer ce gaspillage d’énergie ? ». L’amende à Bourg-en-Bresse est de 38 euros depuis le 18 juillet 2022, ce qui n’est pas très dissuasif.
Ce qui est essentiel, c’est que les autorités publiques réagissent avec intelligence et rationalité. Pas comme par exemple la maire de Paris Anne Hidalgo dont la stupide politique anti-automobile a renforcé la pollution parce qu’elle ne connaît rien à la mécanique des fluides et que ses interdictions ont renforcé les embouteillages et la durée pour trouver une place de stationnement. Ainsi, les préconisations d’éteindre le chauffage le week-end dans des établissements utilisés seulement en semaine peuvent se révéler contreproductive dans certains cas, plus coûteux de remonter le chauffage le lundi que de le laisser le week-end. Cette intelligence n’est pas forcément du bon sens ou alors, il fut du bon sens qui soit un minimum scientifique.
Pour finir avec une note amusante, je cite un lecteur de "La Charente libre" qui s’inquiète en souriant : « Est-ce que les lanternes rouges au-dessus des portes des maisons closes pourront rester allumées ? Si oui, c’est l’essentiel. ». Rideau !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Climatisation : faut-il sanctionner les portes ouvertes ?
Agnès Pannier-Runacher.
Essence : le chèque de 100 euros.
La relance du programme nucléaire.
Heure d’hiver : le dernier changement ?
La preuve par la canicule ?
La COP26.
L’industrie de l’énergie en France.
Le scandale de Volkswagen.
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