Comment la crise climatique pourrait être le point de départ d’un changement de paradigme
La crise climatique, dans laquelle nous sommes plongés, est un fait indéniable. Le dérèglement climatique est aujourd'hui avéré et l'imputation de l'activité humaine sur ce phénomène est aujourd'hui considéré comme "extrêmement probable". De nombreux rapports scientifiques tentent de l'étudier en fournissant des évaluations détaillées pour mieux le cerner1.
Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat ) de 2015 : "Depuis le milieu du XIXe siècle, le rythme d’élévation du niveau moyen des mers est supérieur au rythme moyen des deux derniers millénaires. Entre 1901 et 2010, le niveau moyen des mers à l’échelle du globe s’est élevé de 0,19 m ".
Depuis quelques années, l'objectif de la communauté internationale est de ne pas dépasser 2°, seuil fixé dans les années 90 afin de mettre en place des mesures visant à limiter le réchauffement climatique.
Ces deux degrés correspondent en fait à des scénarios élaborés à partir des données récoltées. Au-delà de ces deux dégrés, un risque d'emballement conduirait à des réactions en chaîne que nous aurions du mal à contrôler.
Ces chiffres peuvent sembler assez anecdotique mais 1 ou 2 ° ont déjà d'énormes impacts sur la biodiversité, les ressources et notre condition de survie.
Selon le rapport de Stern 2 : si la Terre augmente sa température de 4° par exemple, c'est 30% des zones humides côtières qui disparaîtront, 30 à 50% des ressources d'eau douce disponible en Afrique et en Europe et la moitié de la toundra arctique qui risquerait de disparaitre.
L'élévation du niveau de la mer met également en péril la survie des pays insulaires (Maldives) mais également les pays qui sont situés en dessous du niveau de la mer (Egypte).
Il y a donc un véritable enjeu qui se pose actuellement à nous et pour les générations futures mais l'urgence de la crise climatique semble être amoindrie par la non efficience des politiques mises en place par les dirigeants des pays. La difficulté du dérèglement climatique réside dans le fait qu'il ne soit pas encore réellement visible dans les pays dits "industrialisés". Les zones les plus touchées et où l'on constate aisément le réchauffement climatique sont situées dans des hautes latitudes comme le Pôle Nord et les pays dits "en voie de développement" (en Afrique par exemple) et non dans des pays comme la France ou les Etats-Unis.
Un système incompatible avec les préoccupations environnementales
Cette crise climatique a toutefois le mérite de nous questionner sur nos modes de vie, notamment en ce qui concerne la consommation et la production. On voit bien que notre système économique ne fonctionne pas convenablement. Le capitalisme engendre une production excessive basée sur le gaspillage des ressources et les énergies fossiles 3. Comment peut-on vouloir mettre en place un développement durable au sein de notre société si notre système économique est étroitement imbriqué au système énergétique qui utilise des énergies fossiles ?
Le système actuel en place est en contradiction avec de nombreux principes édictés dans la Déclaration de Rio de 1992 et notamment dans son principe 4 :"Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément."
La pérennité d'un système limité et destiné à s'éteindre ne peut être qualifié comme un système durable.
Les négociations qui vont avoir lieu lors de la COP 21 en décembre 2015 à Paris auront pour but de mettre en place un accord universel sur le climat, applicable à tous les pays, et davantage contraignant afin de ne pas dépasser les 2°c.
Toutefois, force est de constater que malgré la bonne volonté des pays, pas un mot n'est dit sur le fonctionnement même de notre système qui a engendré le dérèglement climatique. Il est pourtant un coupable de premier choix.
Vouloir régler cela implique de changer de paradigme car les solutions qui sont proposées sont en réalité des "fausses solutions" qui ne font que retarder le problème.
Comme le montre Richard Smith dans son livre "Green capitalism : the god that failed", la production soutenable est possible oui, mais sans le cadre défini par le capitalisme.
En effet, le capitalisme se fonde sur une croyance que la croissance est infinie or, nous savons bien que nos ressources sont elles, limitées4. Tant que nos politiques fonctionneront sur ce paradigme, les solutions proposées seront toujours timides.
Nous avons un exemple avec le marché du carbone. Ce système de marché d'échange de quotas d'émission ou "permis de polluer" montre bien l'ambivalence des solutions proposées sous le prisme du capitalisme. Les bases de ce marché sont apparues avec le Protocole de Kyoto en 1997. Il s'agit d'un mécanisme mis en place qui impose une limite à une substance (généralement du co2). Les parties doivent alors prendre des mesures afin de produire en dessous de la limite imposée. Les états qui dépassent ce quota devront alors acheter des "permis de polluer" aux états qui sont en dessous. Les Etats qui dépassent le seuil devront acheter des "permis de polluer" aux Etats qui sont en dessous, ce qui arrange évidemment les pays favorisés, qui ont les moyens d'acheter ces permis.
Ainsi, Il apparaît clairement que l'incitation à polluer moins n'est pas particulièrement efficace.
La façon dont notre système fonctionne empêche de véritables politiques environnementales de se déployer.
Pour sortir de cette crise climatique, il faudrait transformer notre représentation du monde, sortir de la spirale individualiste et anthropocentrée. En ne représentant le monde que comme une succession d'intérêts individuels, nous nous empêchons d'avoir une vision globale et sur le long terme. Une société dont les assisses se fonderaient sur le développement durable se doit de prendre en compte le droit des générations futures au droit de jouir des mêmes biens naturels auxquels nous avons eu droit jusqu'ici.
L'aspect non contraignant du droit international rend l'application des textes internationaux particulièrement délicate, comme nous avons pu le voir dans l'application de la Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques 5 de 1992. Cette Convention n'a mis en place que des obligations générales et même si le protocole de Kyoto de 1997 a formulé des objectifs plus précis, la seule obligation qui était formulée était celle de soumettre un simple inventaire des émissions. Le refus des Etats-Unis, qui est pourtant l'un de plus importants pollueurs, montre bien qu'il va falloir essayer de convaincre les états de signer les convention et que les engagements pris sur le papier soient effectifs.
Comment changer de paradigme ?
Quelles solutions concrète peuvent être apportées ?
Changer de paradigme implique mettre l'accent sur une coopération internationale. Le dérèglement climatique affecte tous les états, dans des proportions différentes évidemment, mais il finira par affecter l'ensemble de la société internationale. Pour coopérer, il est nécessaire d'installer une confiance entre les états ainsi que de connaitre les intérêts mutuels de chacun.
Aussi, la réduction des émissions de Co2 doit s'accompagner d'un changement global. Il faut alors changer de trajectoire et axer la société sur le développement qui implique une amélioration, une qualité, et non sur la croissance, qui ne prend en considération de la quantité.
Il n'existe pas de solution unique et parfaite. En revanche, plusieurs alternatives peuvent être envisagées.
En ce qui concerne l'agriculture (qui représentait 14% des émissions de gaz à effet de serre en 2000) (source : climate analisys indicator tool), une des solutions serait de privilégier le local et d'essayer de produire au plus près du consommateur afin, d'une part, de diminuer les quantités de Co2 émises pour le transports des aliments et de respecter le cycle des saisons, et d'autre part de favoriser l'emploi.
Par ailleurs, des études récentes ont montré que les petites fermes étaient plus productives que les grandes 6.
L'explication est simple : les grandes fermes, avec l'utilisation massive de pesticides finissent par rendre le sol pauvre, contribuent à son érosion et finissent par faire diminuer les rendements.
On peut également mentionner le développement de l'agroécologie 7 qui permet actuellement de nourrir les personnes de forme durable. Grâce à la complémentarité des espèces, l'agriculteur arrive à avoir de meilleurs rendements comme on a pu le constater grâce à la Milpa 8 par exemple.
Pour l'énergie qui représente 25% des émissions de gaz à effet de serre, il est également important d'une part de laisser les hydrocarbures qui sont dans le sols inexploités et d'autre part de développer les énergies renouvelable (éolien, solaire, hydraulique, ect). A ceux qui pensent que les énergies renouvelables ne peuvent assurer la production mondiale d'énergie, il faut rappeler qu'un changement de mode de consommation et une amélioration de l'isolation des bâtiments par exemple, nous permettra de diminuer notre besoin en énergie.
Il faut donc coupler la transition d'énergies fossiles vers des énergies renouvelables, à un changement de notre mode de consommation. Le gaspillage n'existe pas seulement en terme alimentaire, mais également en terme énergétique.
Car en effet, ce qui caractérise notre société actuelle, c'est la surproduction. Une surproduction en énergie, en eau, en nourriture 9.
Des systèmes d'irrigation économiques et performants existent pourtant et il est nécessaire de pouvoir les rendre accessibles aux zones les plus vulnérables.
La surproduction est aussi une conséquence de notre façon de percevoir les biens. Une consommation excessive abouti à un système où aussitôt que l'on achète un bien, il est remplacé par une meilleure version, ou jeté au moindre dysfonctionnement. On retrouvre un exemple assez concret dans l'industrie de la mode et de la téléphonie mobile, s'établissant sur un perpétuel renouvellement/création de besoins.
Ainsi, résoudre le problème de la crise climatique implique de mettre en perspective plusieurs éléments et de les recouper entre eux. Le système capitaliste n'est pas le seul système disponible et il n'est pas compatible avec une société internationale fondée sur le développement durable. Il est possible de nous adapter à ce changement de paradigme imposé, mais pour s'adapter, il est nécessaire d'accepter de changer.
En réponse au défi environnemental, la notion de "décroissance" 10a émergé au cours des années 1970 où la population a commencé à prendre conscience des effets nocifs du productivisme sur l'environnement et sur les humains. Ce courant de pensée prône, entre autres, un équilibre entre les besoins et les ressources et cela pourrait être une véritable piste vers un changement global. En privilégiant la production locale, la coopération, l'auto-suffisance et l'échange, ou encore la fabrication de produits plus durables, il est possible d'inverser la courbe et de faire de cette crise l'occasion d'élargir nos perspectives, de modifier notre façon de produire et de consommer et plus largement sur notre représentation du monde.
Les événements tragiques du 13 novembre 2015 ne doivent pas réduire à néant le travail des ONG et des états pour la préparation de la COP21 à Paris. Plus que jamais, la nécessité de résoudre la crise climatique ne doit pas être occultée par ces attentats.
Les enjeux environnementaux sont liés à de nombreux conflits rattachés aux ressources énergétiques et aux tensions géopolitiques. Il faudra, pour construire une sécurité et une stabilité internationale, régler de façon parallèle, la question du terrorisme et de la crise climatique que nous vivons actuellement.
4Documentaire "Sacré Croissance" de Marie-Monique Robin.
7http://www.colibris-lemouvement.org/webzine/decryptage/permaculture-agroecologie-agriculture-bio-quelles-differences
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